Myanmar-Birmanie. A Mandalay une coalition de moines, de grévistes, d’étudiants défie la junte, avec précaution et détermination

Par rédaction Frontier Myanmar

Deuxième ville du Myanmar et bastion de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), Mandalay a connu certaines des plus grandes manifestations contre le coup d’État depuis 1er février. Des moines, des grévistes du secteur public, des groupes de professionnels, des étudiants, des militant·e·s et des simples habitants ont tous pris part à des manifestations massives de colère contre le régime et ses dirigeants.

Comme ailleurs au Myanmar, les forces de sécurité de la ville ont d’abord fait preuve de retenue. Elles ont tenté de négocier avec les manifestant·e·s. Mais alors que les protestations s’amplifiaient et ne montraient aucun signe de relâchement, elles ont commencé à utiliser des canons à eau, des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des lance-pierres et, de plus en plus, des balles réelles. Au moins 45 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées ou arrêtées à Mandalay. Depuis fin février, le nombre de manifestants dans la ville a progressivement diminué.

Néanmoins, malgré tous leurs efforts, les forces conjointes de la police et de l’armée n’ont pas réussi à supprimer la marche de protestation de l’Association (bouddhiste: Shanga) Mya Taung [nom qui fait référence au monastère situé dans le district Maha Aung Myay de la ville de Mandalay], une marche de milliers de moines et de laïcs qui a lieu presque quotidiennement depuis le 8 février afin de demander le rétablissement de la démocratie. Les participants affirment que la présence des moines et la stratégie des dirigeants de l’Association ont permis de préserver la sécurité des participant·e·s, une seule personne ayant été tuée à ce jour. [L’inscription sur les pancartes We Stand with the CRPH. We support CRPH signifie: Nous sommes avec le CRPH. Nous soutenons le CRPH, autrement dit The Committee Representing Pyidangsu Hluttaw, c’est-à-dire le gouvernement en exil].

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Parmi les dirigeants de la marche de Mya Taung figure Sayadaw U Arsara, un moine illustre qui, en 2007, a pris part aux manifestations pro-démocraties – connues sous le nom de Révolution safran – qui ont été brutalement écrasées par le régime. Il a déclaré à Frontier, au début du mois de mars, que lui et d’autres leaders de la mobilisation de Mya Taung étaient déterminés à forcer les militaires à abandonner le pouvoir. «Renverser le gouvernement élu par le peuple et voler le pouvoir de l’État, c’est ignorer les votes du peuple et l’insulter», a déclaré Sayadaw U Arsara. «Je sais que la lutte pour restaurer la démocratie pourrait être longue. Tous les participants doivent faire preuve de patience et d’unité.»

Parce que la marche de protestation est dirigée par des moines, elle est plus sûre. Désormais, seule la marche de Mya Taung peut sortir dans la rue tous les jours.

Étant donné la réputation de Mandalay en tant que foyer de la culture bouddhiste du Myanmar, il n’est pas surprenant que les moines aient été à l’avant-garde du mouvement de protestation de la ville. Depuis la période coloniale, ils sont fortement impliqués dans la politique, la population locale se ralliant souvent aux membres de la Sangha, l’organisation du clergé bouddhiste.

L’Association tire son nom du monastère Mya Taung, situé dans le district de Maha Aung Myay, au centre de Mandalay, dont les moines sont tenus en haute estime par les habitants de la ville, notamment en raison de leur engagement dans l’activité politique et sociale. Le 8 février, jour de la première marche, les dirigeants de la manifestation se sont réunis au monastère. Ils ont obtenu la bénédiction des moines pour utiliser le nom de «Mya Taung Protest March». Au départ, seuls les laïcs participaient à la marche, mais à mesure que la réaction de l’appareil répressif contre les manifestations devenait plus violente, les moines ont commencé à y participer également.

Un jour normal, la marche attire plusieurs milliers de participants, dont environ 500 moines. Mais certains jours, leur nombre augmente considérablement. Il y a généralement deux cortèges, l’un en début de matinée et l’autre, plus important, dans l’après-midi. Les moines ne participent qu’à la seconde marche, conformément à la règle de la Sangha selon laquelle le matin est réservé à la tournée quotidienne de réception des aumônes et au repas qui s’ensuit.

Bien qu’il ait commencé à Mya Taung, le groupe comprend maintenant des moines d’autres monastères importants de la ville et de sa périphérie, notamment Mahagandayon, Mogaung et Taungthaman, entre autres. Les moines contribuent à offrir aux laïcs de la marche un certain degré de protection, car les autorités – dont la plupart sont également bouddhistes – sont censées être peu enclines à recourir à la violence contre les membres de la Sangha.

Mais ils ne comptent pas uniquement sur la religion pour assurer leur sécurité. Ces dernières semaines, la marche a modifié son heure de départ ainsi que son itinéraire, empruntant de plus en plus les petites rues et les ruelles plutôt que les routes principales afin d’éviter d’affronter les forces de sécurité. Le temps que la police localise les marcheurs, ceux-ci ont généralement pu se disperser.

Un journaliste basé à Mandalay, qui a couvert les manifestations dans la ville chaque jour depuis début février, a déclaré que les manifestants de Mya Taung sont restés déterminés malgré les violences et les intimidations auxquelles ils se sont affrontés.

«La manifestation de Mya Taung est comme une fleur parmi les épines. Elle continuera à fleurir, quelle que soit la répression», a déclaré le journaliste. «Le régime militaire peut tuer ou arrêter un ou deux manifestants chaque jour, mais d’autres prendront leur place.»

«Faire passer les forces de sécurité pour des imbéciles»

Si le mouvement de protestation Mya Taung est aujourd’hui dirigé par des moines, les jeunes qui s’identifient à la «génération Z» [qualification de la génération post-millennials, dite Y] représentent une grande partie de ses membres. Ils sont tout aussi déterminés à lutter contre le régime militaire au Myanmar.

Ko Min Htet, 24 ans, quitte son village à 5 heures du matin pour rejoindre la manifestation. Il est l’un des membres de la marche qui ont la dangereuse tâche de protéger les autres manifestants avec des boucliers de fortune qui ne peuvent rien contre les balles réelles. Il a déclaré qu’il manifestait depuis le 9 février et qu’il avait rejoint le groupe Mya Taung cinq jours plus tard parce qu’il était important et bien organisé. «Je n’ai pas pris un seul jour de congé depuis plus d’un mois», a-t-il déclaré à Frontier. «Comme la marche de protestation est dirigée par des moines, elle est plus sûre. Maintenant, seule la marche Mya Taung peut sortir dans la rue tous les jours.»

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Elle réunit également des travailleurs en grève de la compagnie ferroviaire publique Myanma Railways. Malgré les menaces et les pressions exercées sur eux pour qu’ils reprennent le travail, ils continuent de participer au mouvement de désobéissance civile, par lequel les fonctionnaires tentent de saper le régime en refusant de travailler ou d’obéir aux ordres. On estime que 80% du personnel de la gare centrale de Mandalay est en grève et que les services ferroviaires de la ville – et d’une grande partie du pays – ont été interrompus.

«Nous n’aimons pas le dictateur», a déclaré un employé de Myanma Railways, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait décidé de rejoindre le CDM (Civil Desobedience Movement). «Amay Suu [Daw Aung San Suu Kyi], [le président] U Win Myint et d’autres dirigeants compétents ont été écartés du pouvoir et placés en détention… Nous faisons grève et participons au CDM parce que nous ne voulons pas travailler sous leurs ordres [des militaires].»

Ce gréviste, qui a demandé à ne pas être nommé, a déclaré que les travailleurs étaient bien conscients que la grève pouvait leur coûter leur emploi, et plus encore. «Si nous sommes obligés de quitter nos logements [qui appartiennent à la société de chemins de fer], nous déménagerons. Si nous sommes licenciés, nous n’y pouvons rien. Mais nous continuerons à nous battre pour la démocratie», a-t-il déclaré. En effet, les cheminots de Mandalay ont commencé à devoir quitter leurs logements depuis le 20 mars, après avoir reçu des avis d’expulsion pour ceux qui refusaient de reprendre le travail.

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Malgré tous les efforts des participants, la marche Mya Taung n’a pas toujours été en mesure d’éviter les affrontements avec les forces de sécurité. Le premier manifestant tué l’a été le 13 mars; la journée le plus meurtrière de la ville à ce jour, lorsque sept personnes ont été tuées. Ko Linn Htet, 19 ans, a été abattu près de la pagode Koe Lone Takar, dans le district central de Chan Aye Thar Zan, à Mandalay.

Deux jours plus tard, les personnes en deuil ont dû organiser une cérémonie funéraire sans le corps de l’étudiant, qui était en deuxième année de géologie, car les forces de sécurité n’avaient toujours pas rendu sa dépouille. Malgré cette tragédie, la famille de Linn Htet a déclaré qu’elle était «fière» de son sacrifice. «Je ne suis pas découragé [par la mort de mon fils]. Je suis fier de mon fils parce qu’il a donné sa vie en luttant contre le régime militaire pour que nous puissions retrouver notre démocratie», a déclaré son père à Frontier.

Ce sentiment est partagé par Ko Bala, 33 ans, qui est l’un des dirigeants du groupe de la ligne de front, porteur de boucliers. Bala a déclaré que s’il était bouleversé par la perte d’un ami proche, il était fier du rôle de Linn Htet dans le mouvement.

Bala a déclaré que les tactiques de la marche de protestation avaient permis d’éviter de nombreux autres décès. «Les jeunes de la manifestation de Mya Taung n’affrontent pas bêtement les forces de sécurité – ils utilisent leur cerveau lorsqu’ils manifestent», a-t-il déclaré. «Ils se battent pacifiquement pour la démocratie».

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Mais le régime n’a pas seulement utilisé la violence pour tenter de perturber la marche de Mya Taung. Sayadaw U Arsara est accusé de propagande contre le régime en vertu de l’article 505(a) du Code pénal [qui menace d’emprisonnement ceux qui critiquent le régime]. Il continue toutefois à vivre dans son monastère et les forces de sécurité n’ont pas encore tenté de l’arrêter. Mais, au moins deux autres moines de Mandalay – du monastère de Wah Khin Kone, dans le district de Chan Aye Thar Zan, et du monastère de Bagayar, dans le district d’Amarapura – ont dû se cacher après avoir été l’objet d’accusations relevant de l’article 505(a) du Code pénal.

Les forces de sécurité ont également fait une descente au monastère Mya Taung le 14 mars, prétendument après avoir été informées de la présence d’armes artisanales et de manifestants qui y auraient cherché refuge. Selon des témoins oculaires, les forces de sécurité se sont montrées «agressives» envers les moines, exigeant qu’ils livrent les personnes qui se cachaient dans le monastère. Devant le refus des moines, la police a fouillé des locaux et a saisi quelques objets, dont des boucliers artisanaux, mais n’a procédé à aucune arrestation.

Peu après, les deux Associations bouddhistes – la Saffron Sangha Upper Myanmar Mandalay et la Sangha Union Mandalay – ont publié une déclaration indiquant que si le harcèlement des moines se poursuivait, tous les membres du clergé du Myanmar sortiraient pour protester contre le régime militaire.

Les 20 et 21 mars, l’Association Mya Taung a décidé de ne pas organiser de manifestations le matin, car l’absence de moines rendait les protestations trop dangereuses. Néanmoins, malgré le risque accru que les participants soient arrêtés, blessés ou tués, elle a repris les manifestations le 22 mars, le matin et l’après-midi. «Il n’est pas facile de protester contre les autorités lorsqu’elles ont des armes. Le moment est venu pour tous les manifestants de s’unir pour se révolter contre le régime», a déclaré Ko Phyo Gyi, responsable de la sécurité au sein de la Shanga Mya Taung. «Peu importe la manière avec laquelle ils essaient d’utiliser la violence pour nous écraser, peu importe la manière dont ils bloquent et attaquent notre marche, nous trouverons un moyen de nous frayer un chemin et de les faire passer pour des imbéciles.» L’un des moines important de la Shanga a fait écho à ce sentiment. «Nous avons organisé des manifestations en faisant face à un grand danger – nous pouvons être arrêtés à tout moment – mais nous n’avons pas le choix», a-t-il déclaré. (Article publié sur le site Frontier Myanmar en date du 24 mars 2021; traduction par la rédaction A l’Encontre)

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