Dans les jours et les semaines qui ont suivi la preuve des abus sexuels de Harvey Weinstein depuis des décennies, des millions de femmes, de transgenres et transsexuelles, y compris des hommes, ont dénoncé l’ampleur de la violence sexuelle dans notre société en racontant leurs propres histoires en utilisant le hashtag #MeToo.
Une foule d’hommes en position de pouvoir – du ministre britannique de la Défense Michael Fallon à l’acteur Kevin Spacey, et maintenant des politiciens américains tels que Roy Moore et Al Franken – ont été accusés d’inconduite sexuelle et beaucoup d’entre eux sont finalement confrontés à de véritables répercussions. #MeToo a déclenché un profond moment de courage collectif, un moment qui aurait été impossible sans une large solidarité et un soutien qui ont accueilli les personnes qui ont exposé les actes subis.
Je me souviens encore vivement de ressentir la puissance d’un tel soutien lors d’une manifestation SlutWalk en 2012 [littéralement «marche des salopes», commencé en 2011 à Toronto, contre le viol, les violences sexuelles], alors que nous nous rassemblions à Praça Roosevelt à São Paulo, au Brésil. Nous étions toutes réunies en formant un énorme cercle. A un moment, un manifestant s’est approché de l’une des femmes qui menait le rassemblement avec un mégaphone et lui a parlé à l’oreille. La femme avec le mégaphone a annoncé qu’il y avait un homme dans le dos, elle l’a désigné, nous l’avons toutes désigné. Il portait une chemise grise, une casquette bleue et lunettes de soleil. Il touchait les femmes sans leur consentement. Des centaines d’entre nous lui ont scandé de sortir, nos voix devenant de plus en plus fortes, plus rapides, plus en colère. Il a fui. C’était la première fois que je pleurais à propos de mon viol.
Pourtant, en dépit de la propagation massive d’histoires sur #MeToo, nous savons qu’il y a des millions d’autres personnes qui ne peuvent ou ne choisissent pas de parler de cette façon particulière. Dans l’écrasante majorité des cas où les victimes se présentent, elles sont licenciées, leurs noms sont traînés dans la boue, les institutions tentent de dissimuler les méfaits ou de se venger contre elles. Blâmées et contraintes de garder le silence, leurs expériences sont désignées comme relevant d’une réalité courante. Elles devraient donc simplement être considérées comme faisant partie de ce que signifie être une femme dans la société; et non pas des expériences éprouvantes d’oppression qui remodèlent complètement la vie des personnes.
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Pendant des décennies, des femmes ont fait part de leurs expériences d’abus, de harcèlement, d’agression et de viol par des hommes de renom. La différence maintenant est qu’elles sont crues. La confiance que l’accueil #MeToo a donnée aux victimes va au-delà des cercles des riches et des célèbres.
A l’approche de la marche «Take Back the Workplace», qui a envahi les rues d’Hollywood, le 12 novembre, l’Alianza Nacional de Campesinas, une organisation composée de femmes agricultrices et de femmes issues de familles d’agriculteurs a publié une lettre émouvante de solidarité avec les femmes d’Hollywood qui se sont manifestées à la suite du scandale Weinstein.
«Même si nous travaillons dans des environnements très différents, nous partageons une expérience commune d’être la proie de personnes qui ont le pouvoir d’embaucher, de licencier, d’établir une liste noire et de menacer notre sécurité économique, physique et émotionnelle.» La lettre poursuit: «Alors que vous faites face à l’examen minutieux et à la critique parce que vous avez courageusement choisi de dénoncer les actes déchirants qui ont été commis contre vous, sachez que vous n’êtes pas seules, nous vous croyons et sommes à vos côtés.»
Selon une étude publiée en 2010 dans la revue Violence Against Women, 80% des travailleuses agricoles sont victimes d’abus ou de viol dans les champs. Parce qu’un si grand nombre de ces travailleuses sont des immigrantes sans papiers – entre 50% et 75% d’entre elles – s’exprimer peut signifier risquer la déportation et être arrachées à leur famille.
La violence et le harcèlement sexuels s’étendent à tous les niveaux de la société, mais les femmes de la classe ouvrière en subissent souvent l’impact de façon disproportionnée. La violence sexuelle, l’une des expressions ultimes de la déshumanisation et de la réification, fait partie intégrante d’une société qui fonctionne sur la base de l’exploitation des femmes. Elle découle et renforce l’inégalité des femmes et les différentes façons dont ces dernières vivent cette inégalité.
Les femmes sont accablées par le travail domestique non rémunéré et l’éducation des enfants. Elles gagnent moins que leurs homologues masculins pour le même travail. Quelque 60% des familles dirigées par une mère célibataire vivent dans la pauvreté. Les Etats-Unis sont toujours le seul pays au monde, à l’exception de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et du Lesotho, qui ne garantit pas le congé maternité payé aux nouvelles mères. Le déclin des dépenses sociales – de la destruction des programmes d’aide sociale à la réduction des coupons alimentaires et des coupes dans les crèches – a rendu la situation des femmes et de leurs familles encore plus précaire.
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La dévalorisation des femmes parcourt toute l’échelle sociale, jusqu’au sommet – et vient d’en haut (du pouvoir). Au cours des derniers mois, par exemple, la secrétaire à l’Education du gouvernement Trump, Betsy DeVos, a annulé les gains du Titre IX [de Education Amendments qui interdit les discriminations sur la base du sexe] remporté par les militant·e·s contre les violences sexuelles sur le campus; le ministère de la Santé définit la vie comme commençant lors de la conception; les soins portant sur la santé reproductive et les cliniques appliquant le droit à l’avortement sont sous des attaques permanentes; et un violeur reconnu est en place à la Maison Blanche.
Pour les femmes travailleuses, la grande majorité des femmes, leurs conditions économiques et sociales n’ont fait qu’empirer depuis la crise financière de 2007-2008, car elles font face à des politiques d’austérité accompagnées d’un discours portant sur leur «responsabilité personnelle». En l’absence d’un système de sécurité sociale, davantage de travail retombe sur les familles, et les femmes en particulier, alors qu’on leur reproche de ne pas toujours faire face à ce qui devrait être fourni gratuitement par des services et des moyens socialisés, à disposition de tous.
Il n’est donc pas surprenant que les femmes de la classe ouvrière soient particulièrement vulnérables à la violence sexuelle sur le lieu de travail. Un récent sondage ABC News/Washington Post a révélé que 3 femmes sur 10 ont fait face à des avances non désirées de la part de collègues masculins et qu’un quart les a éprouvées en provenance des hommes qui ont une influence sur leur travail (hiérarchie). Parmi les femmes qui ont été victimes de violences sexuelles sur leur lieu de travail, 95% affirment que les agresseurs masculins restent généralement impunis.
L’étude donne également un aperçu des conséquences émotives et psychologiques de ces expériences sur les femmes: 83% des victimes sont fâchées de ce qui leur est arrivé, 64% se sentent intimidées et 52% se sentent humiliées.
La violence sexuelle sur le lieu de travail aide à maintenir le statut inégal des femmes et crée de plus grands obstacles pour que les femmes puissent se défendre elles-mêmes. La légitimation de la violence sexuelle sur le lieu de travail contribue à la légitimer en dehors du lieu de travail, en contribuant à façonner des idées sexistes dans la société en général.
Les femmes sont considérées comme un secteur permanent à bas salaires. Beaucoup sont assignées dans des emplois essentiellement féminins, fondés sur des idées sexistes selon lesquelles les femmes sont supposées être prédisposées «naturellement» à les faire, comme les soins infirmiers et l’enseignement (de la maternelle à la 12e année). Les femmes constituent plus de 75% de la main-d’œuvre dans les 10 professions les moins rémunérées aux Etats-Unis, dont près de la moitié sont des femmes de couleur, selon le National Women’s Law Center. Dans les emplois à bas salaire, les femmes, en particulier les femmes afro-américaines, sont confrontées à des niveaux astronomiques de harcèlement et d’abus.
Une étude réalisée en 2014 a révélé que 80% des femmes travaillant dans le secteur de la restauration subissaient du harcèlement sexuel de la part des clients, de leurs directeurs et de leurs collègues, dans des proportions différentes. Quatre-vingts pour cent des travailleuses de l’hôtellerie subissent également la violence sexuelle au travail. Les travailleuses du secteur du nettoyage, de la conciergerie – des femmes de couleur, dont 70% sont des sans-papiers – font également face à des niveaux stupéfiants de harcèlement, d’agression et de viol.
Un rapport publié en 2016 par le Berkeley Labour Center de l’Université de Californie raconte l’histoire d’Erika, une femme sans papiers qui a travaillé comme concierge pendant huit ans: «Un de ses contremaîtres récents, Raul, a déclaré qu’il allait renvoyer Erika si elle n’avait pas des rapports sexuels avec lui. Raul la menaça: “Je sais où tu vis, qui s’occupe de tes enfants et à quelle heure tu les ramasses”. Le harcèlement et les menaces ont duré un an.»
Erika et sa collègue Laura, qui avait également fait l’objet de harcèlement constant de la part de Raul, «ont eu le courage d’approcher le directeur… celui-ci a répondu “qu’il devait enquêter”. L’enquête a abouti à des représailles contre Laura. Son horaire de travail de cinq jours a été réduit à deux jours.»
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La campagne #MeToo a suscité un tel engouement et est devenue une expression puissante de la colère grandissante non pas parce que la plupart d’entre nous ont été victimes d’abus et d’exploitation à Hollywood, mais à cause de la réalité omniprésente de la violence sexuelle dans la vie quotidienne. Nos expériences vécues vont à l’encontre de tout ce qu’on nous a dit sur la façon dont nous vivons dans une ère «post-féministe».
Nous comprenons la signification du moment #MeToo, tout comme nous avons compris la signification de millions de personnes descendues dans les rues pour les marches des femmes le jour suivant l’inauguration du mandat du président Trump; ce qui est devenu le plus grand jour de protestation dans l’histoire américaine. Ces événements sont ce qui nous permet de reconnaître que l’oppression qui pèse sur nous n’est pas de notre propre fait, mais qu’elle nous dépasse. Notre compréhension commune est ce qui nous permet de commencer à contester la violence basée sur le genre non individuellement, mais sur le plan social, contre les institutions et les inégalités systémiques qui dictent et déforment les conditions dans lesquelles nous vivons.
Cette manifestation de SlutWalk à São Paulo en 2012 m’a non seulement aidée à comprendre mes émotions liées mon viol, mais c’était aussi la première fois que je réalisais que nous, la majorité, unies, organisées, avions le pouvoir et le potentiel de gagner. (Article publié sur le site Indypendent.org en date du 16 novembre 2017; traduction A l’Encontre)
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