Etats-Unis. Une bataille gagnée à Standing Rock

celebrating-dapl-victory-a_0Des milliers de personnes participant à l’organisation d’un camp établi sur la réserve sioux de Standing Rock afin de bloquer la construction du pipeline Dakota Access Pipeline [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 26 septembre 2016] ont pu fêter une victoire le 4 décembre 2016. En effet, à cette date, le United States Army Corps of Engineers (Corps des ingénieurs de l’armée des Etats-Unis) – une partie des terrains appartient à l’armée – n’a pas permis de faire passer le pipeline sous le Missouri. Cette décision représente l’aboutissement, à cette étape, d’une mobilisation visant à ce que le gouvernement fédéral reconnaisse la souveraineté de la population sioux (autochtone) sur les terres tribales. Cette décision est tombée un jour avant que des mesures soient prises pour raser le camp qui symbolisait l’opposition à la société pétrolière DAPL et traduisait la revendication de souveraineté sur des terres amérindiennes. Un slogan traduisait le sens de cette action collective qui réunissait des milliers de personnes venant de l’ensemble des Etats-Unis: «Mni Wiconi» (l’eau est la vie). Le camp fut aussi une occasion de faire revivre les traditions des Sioux et, de la sorte, de construire une véritable de ce qui est appelé aujourd’hui les Etats-Unis.

Parmi les contingents de supporters, l’arrivée de plusieurs cars d’anciens combattants (vétérans) a été un moment décisif. Nous reproduisons ci-dessous l’entretien effectué avec un de ces vétérans, Aurora Child. Il était membre de la Marine et s’était enrôlé en 2001, après les attentats du 11 septembre. Il a effectué deux périodes de mission en Irak et dans le golfe Persique jusqu’en 2006. L’entretien a été conduit par un correspondant du site socialistworker.org.

Dans la foulée de cet entretien, nous reproduisons une revue de la presse américaine qui a saisi l’importance de cette bataille, en particulier dans la conjoncture politique présente. (Rédaction A l’Encontre)

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«Des combats des anciens combattants sont similaires
aux luttes des autochtones»

Qu’est-ce qui vous amène à Standing Rock?

Aurora Child: Le premier terme auquel je peux penser est l’esprit de cette mobilisation.

Les Diné – nom que se donnent les Indiens Navajos, qui signifie «le peuple» – m’ont amené dans une de leurs cérémonies, et ils m’ont aidé à faire face à tant de problèmes auxquels je me confronte en tant que vétéran. Mais j’ai découvert comment les autochtones considèrent les anciens combattants, et encore plus ce qui leur est arrivé en tant qu’Amérindiens.

Lorsque je servais dans l’armée, je me suis vite rendu compte que les choses n’étaient pas exactement ce qu’on m’avait raconté. Quand j’étais jeune, je croyais que les Etats-Unis aidaient les gens à obtenir la liberté et les aidaient à établir la démocratie. Or, quand nous étions là-bas, en fait on se battait pour le pétrole, et tout le monde le savait.

vetJe les ai vu bombarder Falloujah [ville d’Irak] depuis mon croiseur. Et ils ont tué des milliers et des milliers de personnes pour le pétrole. C’est ce que je ressens de tout cela. J’ai participé à cela, et depuis lors je n’ai jamais été bien.

Quand j’ai entendu parler de ce qui se passait à Standing Rock, cela m’a fait penser que peut-être la seule raison pour laquelle ils n’avaient pas tué tout le monde, c’est parce que nous sommes sur le sol américain. Cela m’a fait peur pour eux, mais cela m’a aussi fait penser que nous ne pouvons pas laisser cela se produire. Si quelque chose comme ça se produit, c’est parce que nous le laissons faire. Je ne voulais pas de ceux qui laisseraient cela se produire à nouveau.

Je voulais vraiment venir, et quand je cherchais d’autres personnes pour venir avec moi, j’ai découvert d’anciens combattants qui venaient à Standing Rock, et je pensais que c’était parfait. Beaucoup de combats des anciens combattants sont très similaires aux luttes autochtones, et beaucoup de gens autochtones servent dans l’armée.

Honnêtement, je me sens comme les autochtones qui aiment ce pays plus que quiconque. C’est vraiment quelque chose qui devrait faire honte, autrement dit la façon dont ont été traitées ces communautés et pourquoi il n’y a jamais eu une action afin de les traiter correctement. Et voir que cela continue actuellement, alors que nous pensons être si ouverts et si libres. Mais, en réalité, ce n’est qu’un petit certain pourcentage de gens qui vivent de cette façon.

Je suis venu ici pour essayer de donner quelque chose en retour. Je pense que de toutes les communautés des Etats-Unis, ces communautés-ci sont celles qui nous ont fait tout ce que nous sommes. Aucun de nous ne serait ici, et aucun de nos modes de vie ne serait le même si tous ces gens n’avaient pas été tués.

Il s’agit d’une bataille beaucoup plus importante que d’arrêter un pipeline. Je suis au courant de cela, et je sais que beaucoup d’autres personnes sont au courant. Même si nous arrêtons ce pipeline, c’est juste le début d’une bataille vraiment grande, et je suis là pour la gagner.

vetacQuand le déploiement des anciens combattants arrivera demain, qu’attendez-vous?

Je n’ai aucune idée. Ce que les anciens combattants ont dit et espéré, c’est que si nous sommes suffisamment nombreux sur le terrain, ce ne sera pas un problème, c’est-à-dire que les constructeurs de pipelines cesseront leur opération. Leur concession prend fin en janvier; ils sont donc en difficulté, et ils le savent.

Je pense que la présence des anciens combattants va être dissuasive. Je parie que beaucoup de gars qui travaillent pour DAPL (Dakota Access Pipeline) sont des anciens combattants, et ils vont se sentir un peu honteux de ce qu’ils font.

Je pense que c’est l’avantage d’avoir les vétérans ici dans le camp – nous savons ce que c’est d’être du mauvais côté. La plupart d’entre nous ne feront probablement plus jamais ce genre d’erreur. C’est une occasion de faire ce qui est juste et d’obtenir un peu de rédemption pour nous-mêmes. (Traduction A l’Encontre)

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Trump face au «serpent noir»

Le «serpent noir» est le nom que les Sioux ont donné à cet immense oléoduc de près de 2000 km de long, dont le projet de construction prévoit qu’il serpente à travers pas moins de quatre Etats américains, afin d’acheminer le pétrole extrait dans le Dakota du Nord (à la frontière canadienne) jusque dans l’Illinois (plus au sud). Commencé au printemps dernier, ce chantier titanesque est désormais achevé à près de 80%. Problème: non seulement le tracé voulu par la société de construction envisage d’empiéter sur des sites funéraires indiens sacrés, mais le passage du pipeline sous la rivière Missouri (au niveau du lac Oahe) inquiète également les Amérindiens qui redoutent des conséquences désastreuses sur leurs sources d’eau potable, en cas de fuite.

Et c’est ainsi, écrit The New York Times, que ce projet est devenu, peu à peu, un point de cristallisation à l’échelle internationale à la fois pour les populations indigènes, mais aussi pour les défenseurs de l’environnement. Ce qui avait débuté comme un mouvement de protestation de petite taille mais farouche, dans un coin reculé le long du fleuve Missouri, s’est transformé en une lutte homérique, impliquant des centaines de tribus indiennes, des militants venus de tout le pays et diverses célébrités, rappelle The Washington Post, parmi lesquelles nombre d’artistes mais aussi le révérend Jesse Jackson (militant historique pour les droits civiques), ou bien encore l’ancien candidat à la primaire démocrate Bernie Sanders, ainsi que Jill Stein (ex-candidate du parti Vert à l’élection présidentielle).

Cette lutte a même donné lieu à des affrontements violents. Il faut dire que le terrain, situé à quelques centaines de mètres seulement de la réserve indienne de «Standing Rock», appartient à l’armée américaine. Et voilà comment, ces dernières semaines, on a pu voir dans les pages des journaux des images qu’on croyait relever d’un autre temps, avec des militaires dans le rôle de la cavalerie n’hésitant pas à tirer sur les Indiens à grands coups de balles en caoutchouc, de canons à eau et de bombes lacrymogènes. Au total, au moins 400 personnes ont été arrêtées depuis le début des manifestations et parmi elles, certaines auraient souffert de conditions de détention dégradantes, selon un rapport de l’ONU.

Dimanche, les autorités américaines ont finalement annoncé avoir rejeté le tracé initial de l’oléoduc. «La meilleure façon de procéder de manière responsable et rapide est d’explorer des routes alternatives», a notamment déclaré le sous-secrétaire aux travaux publics de l’armée américaine. Bien entendu, pour les Sioux comme pour les milliers de personnes qui ont afflué ces derniers mois pour protester contre le serpent noir, c’est une victoire monumentale, se réjouit à nouveau The Washington Post. La hache de guerre est donc, a priori, enterrée. Sauf que dans les grandes plaines du Dakota et en dépit du froid glacial, les Sioux ont choisi de maintenir, toutefois, leur position et ce pendant tout le mois de décembre, malgré les risques d’évacuation. Les opposants espèrent ainsi bloquer la construction de l’oléoduc jusqu’au 1er janvier. Car si cette date butoir est dépassée, une majorité des parties prenantes au projet, ayant des contrats pour transporter le pétrole dans ce pipeline, pourront les renégocier ou les annuler. Hier, plantés sur le sol enneigé, les tipis sont donc restés dressés. La célébration de la victoire de la veille a laissé place, une fois encore, à la mobilisation, au cri de «Mni Wiconi»! (L’eau c’est la vie).

«L'industrie pétrolière presse Trump de donner la priorité à permettre la finalisation du Dakota Access Pipeline» (6 décembre)
«L’industrie pétrolière presse Trump de donner la priorité à permettre la finalisation du Dakota Access Pipeline» (6 décembre)

Et de fait, il reste encore des questions en suspens. La plus importante de ces interrogations consiste à savoir, notamment, ce que l’administration Trump va faire. Car le président élu (qui doit entrer à la Maison Blanche le 20 janvier prochain) est en effet plus enclin que son prédécesseur à entériner ce projet. Potentiellement, la prochaine administration Trump a encore les moyens de renverser la décision et d’accorder, in fine, le permis de construire.

Plusieurs médias américains, dont The New York Times, rappellent que Donald Trump possède des parts dans l’entreprise qui construit l’oléoduc. Et quand bien même ce dernier a déclaré que son soutien au projet n’avait, évidemment, rien à voir avec son investissement, les doutes persistent. Le représentant du Dakota du Nord à la Chambre des représentants a d’ailleurs d’ores et déjà critiqué une «décision malheureuse, qui envoie un signal effrayant», dit-il, à ceux qui veulent entreprendre des travaux d’infrastructure aux Etats-Unis. Par ailleurs, l’équipe de transition de celui qui a mené une campagne populiste a également rencontré la sénatrice du Dakota du Nord, Heidi Heitkamp [démocrate décrite par le Washington Post du 1er décembre comme «une supporter loyale de l’industrie pétrolière, charbonnière et de l’utilisation de la fragmentation hydraulique pour l’extraction du pétrole et gaz»], autre soutien affiché du projet d’oléoduc. Quant à l’entreprise chargée de la construction, elle a aussitôt dénoncé une décision «purement politique» de l’administration du président Barack Obama.

Quoi qu’il en soit, la lutte des Sioux contre le grand «serpent noir» vient à présent illustrer la polémique qui enfle, depuis l’élection du milliardaire républicain, autour de possibles conflits d’intérêts impliquant le nouveau président. Récemment, The Washington Post évoquait déjà des conflits d’intérêts sans précédent dans l’histoire de la présidence américaine. Selon ses déclarations d’actifs, au moins 111 entreprises liées à Trump ont fait des affaires dans 18 pays et territoires à travers l’Amérique du Sud, l’Asie et le Moyen-Orient. De son côté, The Guardian précise les liens financiers étroits qui unissent Donald Trump à ce projet d’oléoduc. L’homme d’affaires a investi entre 500’000 et 1 million de dollars dans l’entreprise chargée de la construction (Energy Transfer Partner). Il aurait également investi des montants peu ou prou identiques dans une autre compagnie (Philipps 66) qui soutient, elle aussi, le projet. Quant au directeur de l’entreprise de construction, il a donné plus de 100’000 dollars pour élire Donald Trump. (Thomas Cluzel, sur France Culture, le 6 décembre 2016)

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