Etats-Unis: sécheresse, un nouveau Dust Bowl?*

Par Chris Williams

Plus de la moitié des comtés des Etats-Unis sont désormais officiellement désignés comme étant des «zones sinistrées»[1]. Dans 90% des cas, la raison mentionnée est celle de la sécheresse continentale qui dévaste la production agricole. 48% de la récolte céréalière est qualifiée de «pauvre à très pauvre», 37% de celle de soja; 73% des espaces agricoles dévolus au bétail souffrent de la sécheresse ainsi que 66% des terrains consacrés à la production de fourrages.

Les ramifications de cette sécheresse ont des implications bien plus vastes que la seule hausse des prix alimentaires aux Etats-Unis. Les Etats-Unis produisent la moitié de l’exportation mondiale de céréales. Alors qu’en l’absence de toute action coordonnée de l’Etat les récoltes fanent sous la chaleur, nous pouvons nous attendre à ce que se reproduisent les hausses désastreuses des prix alimentaires qui se sont déroulées en 2008. Celles-ci avaient conduit des populations affamées et désespérées à l’émeute dans 28 pays.

Bien qu’il y eût de la nourriture en quantités suffisantes, des centaines de millions de personnes ne pouvaient toutefois pas se permettre de l’acheter. Si les prix alimentaires devaient atteindre des niveaux semblables à ceux que nous avions rencontrés il y a quatre ans, il s’ensuivrait une catastrophe pour les 2 milliards de personnes qui sont contraintes de survivre avec moins de 2 dollars par jour.

Les pauvres vivant dans les «pays en voie de développement» consacrent 80% de leur revenu à l’achat de nourriture, dont la plupart à l’état de grains et non de produits manufacturés comme le pain ou les céréales transformées. Toute augmentation du prix de ces biens de subsistance les conduit par conséquent immédiatement dans une profonde détresse alimentaire.

Le prix du pain et des produits alimentaires dérivés des céréales ne connaîtront probablement pas aux Etats-Unis une hausse majeure. En effet, se soumettant aux priorités capitalistes, le coût de ces aliments est principalement déterminé par l’emballage, la publicité, le transport et le stockage [2] – ainsi que, in fine, par le travail qui est inclus dans ces activités – et non dans les coûts engendrés par la «base matérielle naturelle» et le fait de faire croître les céréales.

Etant donné, cependant, qu’environ un tiers des céréales produites aux Etats-Unis sont utilisées pour nourrir les animaux, le Département fédéral de l’agriculture (USDA) présage une augmentation de 4,5% ou plus – cette hausse dépendant du degré de désastre des récoltes – d’aliments tels que le bœuf, les produits laitiers, les œufs, les poulets et les dindes. Un impact similaire est attendu, en raison des sombres prédictions relatives à la production de soja, sur les prix de l’huile végétale – bien qu’il soit probable que les effets ne se fassent pas sentir avant le début de l’année 2013 [3].

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) publie ses statistiques mensuelles de l’indice des prix alimentaires le 9 août. Abdolreza Abbassian, l’un des économistes principaux de la FAO, commente: «Ils seront élevés […]. A quel point, c’est ce que tout le monde se demande.» Il ajoute, de façon inquiétante: «Cela me surprendrait beaucoup si nous n’observions pas une augmentation significative.»

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Toute augmentation des prix alimentaires constitue une terrible calamité – et même, pour beaucoup, une menace pour leur existence – que cela soit pour les 20% d’enfants des Etats-Unis qui vivent dans des ménages où règne «l’insécurité alimentaire» ou pour les millions d’Américains vivant au jour le jour, essayant encore de récupérer un logement, un emploi et des moyens d’existence après le crash de 2008 sans même parler pour les dizaines de millions d’autres pauvres du monde entier.

Les vautours de la finance – connus aussi comme les «commodity speculator» –, face aux possibles pénuries alimentaires, vont une fois encore tourner en rond au-dessus des marchés alimentaires avant de s’abattre sur un cadavre. D’une manière semblable à celle d’il y a quatre ans, car les marchés financiers n’ont pas été régulés à la suite de la crise de 2008, les hedge funds et les vendeurs à court terme seront inévitablement à nouveau à l’affût pour jouer sur les prix alimentaires [le vendredi 10 août 2012, à la Bourse de Chicago, le prix du maïs a frôlé les 8,50 dollars le boisseau, soit un bond de plus de 60% en deux mois – Les Echos, 13.8.12].

La plupart des analystes précisent que la cause principale de l’escalade dramatique des prix alimentaires lors de la crise de 2008 trouvait son origine plutôt dans les spéculations financières dans le secteur des «food commodity» [denrées alimentaires] que dans une réelle pénurie de nourriture. Il s’agissait, en d’autres termes, d’une tragédie humaine fabriquée par les lois du fonctionnement capitaliste plutôt que par les lois de la nature.

Le Département fédéral de l’agriculture peut et doit prendre des mesures actives afin d’éviter que ne se reproduisent les événements de 2008, cela d’autant plus que le nombre de personnes étant en état «d’insécurité alimentaire» – c’est-à-dire affamées – atteint 1 milliard de personnes à l’échelle mondiale.

Sécheresse dans plantation de soja à Pirnceton

A brève échéance, toute pénurie de récoltes doit être compensée par un changement dans la répartition des céréales des Etats-Unis [entre les parties destinées aux aliments pour les humains, à celle pour les animaux et à celle consacrée à la production d’éthanol] ainsi qu’en empêchant les spéculations sur les denrées alimentaires et la chaîne de leur transformation. Sur le plus long terme, des mesures telles que l’augmentation des stocks de grains; la réduction du déficit d’infrastructures par le biais d’investissements appropriés; la mise en cause des pratiques inhumaines d’alimentation du bétail (qui sont dangereuses et affectent la santé des consommateurs) ainsi qu’un examen approfondit de la localisation, de la soutenabilité, du type de céréales et des grandes fermes de monocultures sont autant de questions qui méritent d’être étudiées.

Tom Vilsack, le secrétaire à l’agriculture, a toutefois résisté jusqu’à maintenant à toute demande de réduire ou d’éliminer le plus du tiers de la récolte des Etats-Unis qui est – sur mandat du gouvernement fédéral – destiné aux raffineries d’éthanol en vue de produire du «carburant bio» pour les véhicules. Le gouvernement fédéral a exigé que plus de 13 milliards de gallons [un gallon équivaut à 3,785 litres] d’éthanol soient fabriqués cette année à partir de céréales, ce qui signifie 40% de la récolte céréalière de cette année.

L’administration Obama a augmenté l’exigence de production d’éthanol à 36 milliards de gallons d’ici à 2022, dont au moins 15 milliards directement produits à partir de céréales [dans le cadre de ladite indépendance énergétique]. Cette mesure a été prétendument adoptée pour réduire la demande de pétrole en provenance d’outre-mer ainsi qu’en raison des préoccupations géopolitiques qui surgirent en 2008 lorsque le prix du baril atteignit presque 150 dollars.

Transformer des céréales en éthanol est, même en des jours meilleurs, une chose absurde. De nombreuses études ont montré qu’une énergie plus importante est nécessaire pour transformer les céréales en éthanol qu’il n’en est produit lorsque l’éthanol est brûlé dans un véhicule. A cela s’ajoute le fait que l’éthanol n’a pas la même densité énergétique que le carburant à base de pétrole. Les véhicules roulent de ce fait avec un mélange d’éthanol et de pétrole qui consomme plus de carburant sur une même distance [4]. Enfin, ce mélange a un coût supérieur au transport.

De telles pratiques, en tout temps, sont de mauvaises politiques. Elles deviennent criminelles lorsqu’il s’agit de gaspiller ainsi des aliments lors d’une année de forte sécheresse.

Ce qui est, en outre, l’une des irrationalités les plus ridicules – semblable au serpent qui se mord la queue – produite par l’anarchie des décisions capitalistes: le coût du carburant mélangé éthanol-pétrole augmente aussi aux Etats-Unis. La culture de céréales est fortement dépendante en Occident du pétrole pour la production d’engrais et la mécanisation agricole! Cette dépendance est d’une ampleur telle que 10 calories de pétrole sont nécessaires pour produire une calorie de nourriture.

Dès l’instant où Vilsack, lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche [5], a prédit que la sécheresse entraînerait une «hausse importante des prix» d’ici à la fin de l’année, le secrétaire à l’agriculture aurait pu défendre une étape concrète immédiate: la suppression de l’obligation fédérale de produire du «carburant bio».

Les compagnies pétrolières, qui sont requises pour mêler l’éthanol au carburant à base de pétrole dans le cadre du programme improprement nommé «renouveau des standards de carburant» (RFS), sont autorisées à reconduire d’année en année les crédits RFS. Ils peuvent donc disposer d’un crédit disponible de 2,4 milliards de dollars afin de poursuivre leur acquisition de céréales destinées aux raffineries d’éthanol.

Il est toutefois difficile d’imaginer qu’une mise à disposition subite de 40% de ce qui reste de la récolte de céréales des Etats-Unis pour le destiner au bétail et aux êtres humains n’ait aucune conséquence sur le prix des céréales, cela même si l’on tient compte des activités des compagnies pétrolières. Ainsi que l’affirme Gawain Kripke, directeur du département de politique et recherche pour Oxfam America [Oxford Committee for Famine Relief, coordination de 15 ONG combattant la pauvreté et pour le commerce équitable]: «Le gouvernement fédéral peut […] mettre un terme aux quotas obligatoires de production de carburant bio et agir contre l’émission de gaz à effet de serre. Les quotas dévient de la nourriture pour en faire du carburant, ce qui conduit à un climat encore plus extrême et intermittent.»

Vilsack devrait défendre un tel changement de politique. La cheffe de l’Agence de protection de l’environnement, Lisa Jackson, a, de façon significative, le pouvoir de le faire sans qu’il soit nécessaire d’attendre une nouvelle législation.

Cela est d’autant plus nécessaire depuis que certains experts commencent à s’inquiéter au sujet de la prochaine récolte. La période de précipitation, pour la plus grande partie du corn belt [littéralement la ceinture céréalière, région agricole du Middle West des Etats-Unis où est notamment produit près de la moitié du maïs du pays], est déjà passée. A moins de quelque événement climatique hors saison avec des pluies abondantes, ainsi que le dit Mark Svoboda, du National Drought Mitigation Center sis à l’Université de Nebraska, ce qui importe c’est d’avoir suffisamment de précipitations pour le début des récoltes de l’année prochaine: «Cette sécheresse ne va plus nulle part […]. Les dégâts sont déjà faits. Ce que nous devons rechercher, afin d’éviter une seconde année de sécheresse, c’est des niveaux suffisants d’humidité.»[6]

Vilsack pourrait également proposer d’annuler les dettes contractées par les petits paysans auprès des banques. Le seul pas qu’il ait pris dans cette direction a été d’accorder 30 jours supplémentaires aux paysans pour payer leurs primes d’assurance, comme si un mois supplémentaire faisait une quelconque différence pour un paysan qui n’a pas de récolte à vendre.

Le secrétaire à l’agriculture pourrait aussi faire campagne pour que des aides soient développées en direction des paysans des pays du Sud, en particulier par la construction d’installations de stockage de nourriture. Les investissements dans de telles infrastructures – qui permettent d’égaliser hausses et baisses du volume des récoltes – ont été drastiquement réduits au cours des décennies 1980 et 1990 lorsque les prêteurs internationaux exigèrent des réductions des dépenses étatiques dans ce domaine en contrepartie de leurs prêts. Une telle «assurance» était, en outre, regardée comme n’étant pas nécessaire du fait que «le marché» s’ajusterait automatiquement lors de chaque pénurie. Pour des raisons semblables, les réserves de céréales aux Etats-Unis sont faibles et incapables de compenser une quelconque diminution des stocks de grains.

Une chose encore plus importante que pourraient faire Vilsack et l’administration Obama en général, s’ils se souciaient du sort de l’humanité et des pauvres du monde: entamer une campagne agressive visant à réguler à nouveau les spéculations financières dans le domaine des prix alimentaires sur les marchés internationaux des commodities. Une telle attaque contre les banquiers, les spéculateurs et les courtiers serait sans aucun doute très populaire.

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Les priorités aveugles du capitalisme dictent, en pratique, les solutions du côté de l’offre. Vilsack a promulgué des palliatifs sur le court terme qui vont très probablement rendre la situation bien pire encore sur le long terme.

Les fonds dirigés vers l’aide contre la sécheresse d’urgence – que le Congrès vient juste d’adopter et qui s’élèvent à 383 millions de dollars – destinés aux paysans proviennent directement des coupes réalisées dans les programmes de protection des terres. Ceux-ci ont pour but de promouvoir des pratiques agricoles plus soutenables. Les coupes dans ces programmes sont, en effet, trois fois plus élevées que le montant alloué à l’aide d’urgence, ce qui a conduit une coalition de groupes écologistes à marquer leur opposition dans une lettre envoyée à tous les membres du Congrès: «Une utilisation disproportionnée des coupes budgétaires dans les programmes de préservation environnementale afin de financer l’assistance contre les désastres met à mal les programmes réussis qui sont en cours de réalisation […]. De telles coupes disproportionnées dans ces programmes sont à courte vue. Les investissements de long terme prévus pour la protection ne doivent pas être substitués à des décisions de court terme destinées à faire face à la sécheresse.»

A la place de limiter l’ampleur de la puissante industrie de transformation de céréales en éthanol – dont la plus grande partie est basée, au troisième rang des capacités productives, dans l’Etat d’origine d’Obama, l’Illinois; tandis qu’en Iowa (un Etat clé lors de la campagne électorale de 2008 et un Etat capable de faire pencher la balance entre Romney et Obama cette fois-ci) sont localisées les premières –, dans le but d’apaiser la colère des propriétaires de bétail contre les producteurs d’éthanol, Vilsack a sacrifié 3,8 millions d’hectares de terres consacrées à la préservation de l’environnement pour qu’elles soient utilisées en pâturages et en terres productrices de foins.

Plus absurde encore, si l’on considère que nous vivons, après tout, au XXIe siècle, Vilsack a fait part – lors de la même conférence de presse durant laquelle il a annoncé une augmentation des prix alimentaires – de sa solution personnelle à la crise provoquée par la sécheresse: «Je m’agenouille tous les jours et je dis une prière supplémentaire. S’il y avait une prière à la pluie ou une danse de la pluie que je pouvais faire, je le ferai.»

Porcs de Lorraine (France): le prix du porc (« bien nourri ») baisse, le cours des céréales augmente!

Alors même qu’une solution claire et réalisable est à portée de main – à savoir le transfert des céréales destinées à la distillation d’éthanol pour la production alimentaire –, le secrétaire à l’agriculture du plus important pays exportateur de céréales au monde considère qu’il est plus utile de passer son temps à faire des génuflexions devant une divinité toute-puissante et invisible résidant dans les cieux.

Les pratiques industrielles d’alimentation du bétail au moyen de céréales dans des usines gigantesques et fermées dans le but d’accélérer le processus de production de viande doivent être reconsidérées de façon urgente, autant pour le bien-être des animaux que pour celui des êtres humains. Afin d’accroître les profits marginaux, des animaux de plus en plus gros ont été sélectionnés au cours du temps de telle sorte que les animaux eux-mêmes ont changés. Plus gros un animal est, plus importante est la proportion de profits que vous en obtenez lorsque vous le charcutez.

Le bétail parqué dans de gigantesques «usines à gaver les animaux» atteint un poids typique de 1200 à 1300 livres [entre 545 et 590 kg] au lieu des 900 à 1000 livres habituelles [entre 410 et 455 kg]. Une vache destinée à être transformée en viande, dont la masse corporelle totale est 30% supérieure «à la normale», devrait manger une quantité énorme d’herbe ou de foins afin de grossir si elle était élevée à l’extérieur. C’est pourquoi les entreprises agroalimentaires ont créé un type de vache que ne peut survivre à moins d’être nourri de force au moyen de céréales dont la production nécessite l’utilisation d’énormément d’énergie.

Si l’on met de côté la distribution erronée des céréales, les retombées de ces pratiques sur le bien-être des animaux et des êtres humains – lesquelles comprennent l’incubation et la mutation de pathogènes ainsi que la destruction, dans des espaces restreints, d’un nombre énorme de carcasses d’animaux toxiques chargés d’antibiotiques et d’hormones de croissance – nourrissent une agriculture capitaliste dont la nature, outre la production d’une quantité incroyable de déchets, est dangereuse et insoutenable.

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Alors que la réalité du caractère anthropogénique [d’origine humaine] du changement climatique est devenue actuellement si difficile à ignorer que même de fameux «climat sceptiques» ont renoncé à en mettre en doute la réalité [7], la sécheresse est devenue un facteur d’une importance croissante. Elle doit être prise en compte par les planificateurs agricoles. Il est par conséquent suicidaire de supprimer des fonds destinés à rendre l’utilisation de la terre plus soutenable.

Ainsi que Joseph Romm, blogger climatologue, l’a indiqué dans un article publié dans la revue Nature, dans lequel il suppose que le «business as usual» – ce qui est exactement ce qui va se produire en l’absence de mobilisations populaires d’une importance éclipsant celles de 2011 – aboutira à une cascade de changements déstabilisants en chaîne dont l’impact sera négatif sur notre capacité à faire croître de la nourriture: «Il est prévisible que le régime des précipitations se modifie, élargissant les régions à régime sec, subtropical. Le type de précipitations à venir sera probablement des déluges extrêmes dont l’eau ne pourra être absorbée par la terre plutôt que par une atténuation de la sécheresse. La chaleur entraîne une évaporation plus importante et, dès que le sol est sec, l’énergie solaire chauffe le sol ce qui conduit à une augmentation encore plus grande de la température de l’air. C’est la raison pour laquelle, autant de records de température ont été, par exemple, enregistrés lors du Dust Bowl des années 1930. C’est aussi la raison pour laquelle, en 2011, un Texas frappé par la sécheresse a été témoin de l’été le plus chaud jamais enregistré dans un Etat des Etats-Unis. De nombreuses régions, in fine, vont connaître une fonte prématurée des neiges de telle sorte qu’une quantité plus faible d’eau sera «emmagasinée» au sommet des montagnes pour s’écouler lors de la saison estivale sèche.»

Les résultats combinés de 19 différents modèles climatiques récents prédisent, pire encore, que la sécheresse deviendra une donnée permanente pour de nombreuses zones du continent nord-américain [9]: «Si le changement climatique provoque, ainsi que de nombreux experts s’y attendent, un réchauffement global des températures de 2,5 degrés Celsius au-dessus de ce qu’elles étaient avant l’ère industrielle [la quasi-intégralité du Mexique, le centre-ouest des Etats-Unis ainsi que la plus grande partie de l’Amérique centrale] connaîtra des conditions de sécheresse permanentes et sévères. Il est prévisible que les conditions à venir seront pires encore que la sécheresse actuelle au Mexique ou que l’époque du Dust Bowl des années 1930 aux Etats-Unis qui a provoqué l’exode de centaines de milliers de personnes.»

Nous ne faisons, en d’autres termes, qu’apercevoir les contours d’une situation qui deviendra encore pire si aucune action radicale visant à changer cela n’est entreprise au plus tôt. Le changement climatique, dont l’origine repose principalement sur la consommation de carburants fossiles, aboutit à l’apparition de sécheresses en expansion. Celles-ci menacent notre capacité à nous nourrir. Plutôt qu’une réorientation des priorités de la société – vers la préservation énergétique, l’utilisation de technologies renouvelables ainsi que des pratiques agricoles soutenables – nous assistons à la place à une poursuite et à une extension des politiques qui nous ont conduits là où nous sommes arrivés aujourd’hui.

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Rien ne peut expliquer le paradoxe entre, d’une part, la poursuite de pratiques de production alimentaires insoutenables (qui ne parviennent pas même à nourrir les gens avec succès) et, d’autre part, la manière par laquelle les «fonctions naturelles» participent d’un ensemble dont les parties sont reliées à un tout à l’échelle mondiale si ce n’est la compréhension des facteurs qui aboutissent à une société artificiellement divisée en classes sociales antagoniques et dont les priorités sont opposées.

Nous vivons dans un système qui nous conduit vers des désagrégations climatiques de plus en plus importantes. Celles-ci trouvent leurs origines dans la dynamique anti-écologique qui lui est inhérente et qui repose sur une croissance exponentielle ainsi que sur la priorité accordée aux mesures de court terme prises dans l’intérêt du profit.

Le même processus irrationnel est à l’œuvre en Inde. Ce pays souffre d’une réduction de 20% des précipitations avec certains Etats enregistrant des réductions de 70% des moyennes historiques. 60% de la population indienne (qui compte 1,2 milliard d’habitants) est active dans l’agriculture, ce qui représente 20% du PIB de l’Inde.

Des précipitations plus faibles n’affectent pas seulement directement les paysans. Des précipitations plus faibles conduisent à une production hydroélectrique plus faible, ce qui signifie que les paysans doivent utiliser leurs propres pompes pour pomper de l’eau dans les aquifères souterrains afin d’assurer l’irrigation de leurs cultures et de sauver leurs récoltes. Ces pompes fonctionnent à l’électricité. Au moment même où il y a moins d’électricité disponible en raison de la sécheresse, le réseau électrique est soumis à une demande supérieure pour limiter les effets de la sécheresse. C’est là un facteur qui a conduit au gigantesque black-out en Inde.

Le pompage des eaux souterraines a abouti, en outre, à une diminution du niveau des aquifères entre 60 et 200 mètres selon les endroits. Il s’ensuit la nécessité d’utiliser des pompes plus grandes et plus puissantes afin de puiser l’eau plus profondément dans le but de poursuivre les pratiques insoutenables d’absorption des réserves d’eaux souterraines pour des volumes si importants.

Ces pratiques se déploient malgré le fait que si 90% de l’eau en Inde est utilisée pour l’agriculture, seuls 10 à 15% atteignent les cultures car la plus grande partie s’évapore avant d’avoir pu les atteindre. Au lieu d’investir dans des pratiques agricoles soutenables pour faire face à ce problème, le gouvernement indien a fortement encouragé la Révolution verte – appuyée par l’occident – des années 1960 ainsi que promu la culture de plantes nécessitant beaucoup d’eau telles que le riz.

Selon Upmanu Lall, directeur du Columbia Water Center du Columbia University’s Earth Institute, «la totalité des problèmes énergétiques et hydrauliques [en Inde] sont désastreux et trouvent leur origine dans les politiques du gouvernement». Il donne l’exemple du Punjab qui, malgré des précipitations annuelles variant entre 40 et 80 centimètres, fait pousser du riz, une plante qui nécessite 1 mètre 80 de précipitations annuelles.

La relation entre énergie, eau et nourriture avec le développement capitaliste est illustrée de façon remarquable dans le cas de l’Inde. La solution est toutefois, si l’on fait abstraction des limites imposées par une société de classes, une fois encore assez simple: les plantes devraient être cultivées dans les régions dont le climat leur est le plus adapté et non là où elles produiront le plus d’argent ou augmenteront les réserves de devises étrangères ou encore assureront un statut à un Etat.

Toutefois, plutôt que de s’engager dans ce type de mesures ou de faire face au changement climatique, l’Inde construit encore plus de centrales nucléaires et de centrales à charbon. Elle reste aussi l’un des pays les plus réticents à prendre des mesures efficaces contre le changement climatique.

Des preuves de plus en plus nombreuses sont accumulées partout dans le monde qui indiquent qu’il n’y a apparemment aucune circonstance – ni même une aussi cataclysmique que celle d’un changement climatique à l’échelle mondiale – qui supplanterait la nécessité de l’accumulation du capital en faveur des étroites couches de la société qui tirent activement profit de ce processus.

Il n’est pas possible, considérant tout ce qui précède, d’éviter la conclusion selon laquelle si nous voulons toutes et tous survivre sur une planète qui apparaît de loin comme celle sur laquelle nous sommes nés, nous devons affronter le système qui produit une société qui se tient, pour la même raison, en contradiction avec elle-même ainsi qu’avec le monde naturel: la stratification en classes sociales.

Il s’ensuit la nécessité de construire une résistance organisée sur tous les lieux de travail, les quartiers, les écoles et les fermes à travers le monde. L’exploitation et l’oppression qui sont infligées à l’écrasante majorité de la population mondiale sont une conséquence du fonctionnement du système. Elles sont le reflet de l’exploitation de la biosphère qui forme, en dernière instance, la base de la vie. Il s’agit là d’un fait scientifique que les capitalistes semblent capables d’ignorer.

Nous ne pouvons pas les laisser s’en sortir ainsi. C’est la raison pour laquelle nous devons nous organiser afin de pouvoir dire: pour le bien de l’humanité et celui de la biosphère dont nous dépendons pour vivre, vous devez dégager! (Traduction A l’Encontre)

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* Article publié sur le site Socialist.Worker.org le 6 août 2012. Chris Williams est l’auteur d’un ouvrage intitulé Ecology and Socialism: Solutions to Capitalist Ecological Crisis (Haymarket Books, 2010). Le titre fait référence à l’épisode de grande sécheresse – littéralement «boule de poussière» en référence aux tempêtes de nuages de poussière – qui a bouleversé la région des grandes plaines des Etats-Unis et du Canada au cours de la décennie 1930 (en particulier en 1934 et 1936). Le Dust Bowl s’est déroulé lors de la Grande Dépression et alors que les cultures agricoles étaient en crise (faible rotation des cultures, érosion importante en raison du surlabourage, endettement massif des petits paysans qui perdaient leurs terres, etc.). La combinaison de ces deux éléments a conduit près de 3 millions de petits agriculteurs à l’exode, notamment en direction de la Californie. Cet épisode a connu son expression littéraire au travers du roman Les raisins de la colère de John Steinbeck.

Au sujet des «biocarburants» ou agrocarburant, dont il est notamment question dans cet article, nous renvoyons nos lecteurs à l’important dossier que le numéro 1 de la revue La brèche avait consacré à cette question. (Rédaction A l’Encontre)

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[1] http://www.latimes.com/news/nation/nationnow/la-na-nn-drought-strikes-over-half-of-us-20120801,0,2541774.story

[2] http://www.eenews.net/login

[3] http://www.guardian.co.uk/environment/2012/jul/25/drought-higher-food-prices

[4] http://www.nytimes.com/2012/07/31/opinion/corn-for-food-not-fuel.html

[5] http://socialistworker.org

[6] http://www.guardian.co.uk/environment/2012/aug/02/drought-worsens-midwest-corn-crop

[7] http://www.nytimes.com/2012/07/30/opinion/the-conversion-of-a-climate-change-skeptic.html?pagewanted=all

[8] http://socialistworker.org

[9] http://www.ipsnews.net/2012/05/action-needed-now-to-prepare-for-severe-drought/

2 Commentaires

  1. Nous avons les yeux rivés sur la crise de l’Euro (crèvera ou crèvera pas… la belle affaire!) alors que la crise agricole qui s’annonce est autrement plus grave puisqu’elle atteindra le besoin essentiel de l’être humain : se nourrir.

    Pour en savoir plus sur les « dust bowls » à la française tapez « Claude Bourguignon » dans un moteur de recherche. Pour lui 90% des terres agricoles de notre pays sont épuisées!

    L’Histoire nous jugera durement, nous Occidentaux de ce début du XXième siècle…

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