Etats-Unis. L’offensive trumpiste: redécoupage électoral et attaques contre le mouvement syndical. Quelle orientation?  

Elus démocrates de Californie «manifestant» contre les redécoupages électoraux à la Trump, 4 août 2025.

Par Lance Selfa

Deux événements qui se sont produits à quelques jours d’intervalle début août témoignent de l’état de l’opposition aux attaques du président Trump contre les travailleurs et travailleuses et les droits sociaux et démocratiques.

Le 1er août, la cour d’appel du 9e circuit (censée être la plus libérale des Etats-Unis) a confirmé le décret pris en mars par Trump qui, sous prétexte de «sécurité nationale», annulait les contrats syndicaux dans plusieurs agences du gouvernement fédéral.

En quelques jours, des agences fédérales, notamment l’Administration des anciens combattants, ont dénoncé leurs conventions collectives.

Le deuxième événement notable s’est produit quelques jours après la décision judiciaire anti-syndicale. Tous les démocrates de l’Assemblée législative du Texas ont quitté l’Etat afin d’empêcher le gouverneur Greg Abbott [en fonction depuis janvier 2015] et ses acolytes républicains d’atteindre le quorum législatif nécessaire pour mettre en œuvre un découpage électoral [1] qui réduirait le nombre de députés démocrates de 13 à 8. Cela aurait laissé la délégation du Texas au Congrès à près de 80% de républicains dans un Etat où Trump a remporté 56% des suffrages en 2024.

La plupart des libéraux et des démocrates ont accueilli avec indifférence, voire sans même le remarquer, la décision de la cour de sanctionner la répression syndicale. Mais la menace de perdre des sièges au Congrès a poussé les démocrates à se mobiliser.

Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom [en place depuis janvier 2019], s’est engagé à demander aux électeurs et électrices californiens de voter lors d’un référendum afin de donner à la chambre législative de Californie le pouvoir de redécouper les circonscriptions de l’Etat pour en créer au moins cinq, et jusqu’à neuf nouvelles favorables aux démocrates. Gavin Newsom a galvanisé les démocrates partisans qui le voient comme l’un des rares hommes politiques démocrates capables de tenir tête à Trump. Même l’ancien président Barack Obama, toujours prudent, a soutenu le plan de Gavin Newsom.

Au-delà des détails des batailles sur le redécoupage électoral qui pourraient se dérouler dans plusieurs Etats avant les élections de mi-mandat de 2026, nous devrions nous demander pourquoi les démocrates et bon nombre de leurs partisans libéraux s’émeuvent autant du redécoupage électoral, mais restent passifs face à la plupart des autres exactions du régime Trump.

Il n’est peut-être pas surprenant que les hommes politiques se soucient davantage de leur propre emploi que de celui de leurs électeurs et de leur base électorale, ni de leurs droits. Mais cela montre également à quel point la logique de ce que Karl Marx (en 1879) appelait le «crétinisme parlementaire» a envahi une grande partie de l’opposition à Trump.

L’opposition libérale à Trump ne peut concevoir que de le vaincre, lui et le trumpisme, par la voie des urnes. Tout ce qui pourrait y faire obstacle est donc une question existentielle pour elle.

Pour revenir à l’exemple du mouvement syndical, il est clair qu’à part les efforts héroïques d’un groupe encore restreint de militants du Federal Union Network, le mouvement syndical n’a guère réagi à la politique antisyndicale de Trump. Les poursuites judiciaires intentées et soutenues par les dirigeants syndicaux ont ralenti, mais pas arrêté, la détermination de Trump à désyndicaliser la fonction publique fédérale.

Dans un mouvement syndical qui compte encore 14 à 16 millions de membres, dont plus d’un million travaillant pour le gouvernement fédéral, il existe un potentiel pour des actions de protestation de masse, notamment des grèves, des blocages, des occupations, des journées d’action et autres, sans parler de la syndicalisation des non-syndiqués, afin de galvaniser une véritable opposition à Trump. Mais pour la plupart des dirigeants syndicaux, cela ne fait même pas partie de leur réflexion.

Comme l’a déclaré Chris Townsend, militant syndicaliste et socialiste de longue date, dans une récente interview (Michael D. Yates in Monthly Review, 16 juillet 2025): «Nous sommes entrés dans une période où le déclin, la décadence, la stagnation et la timidité des dirigeants sont devenus la norme dans notre mouvement syndical. Aujourd’hui, dans de nombreux syndicats, le «leadership» est au mieux une couche administrative: des fonctionnaires qui s’occupent avec soin du déclin, qui maintiennent le cap alors que nous sommes poussés vers la disparition. Il existe des exemples contraires, mais pas beaucoup d’après mon expérience.»

L’atrophie de l’organisation des mouvements sociaux et la loyauté aveugle à l’égard des démocrates de la plupart des dirigeants d’organisations non gouvernementales nous ont conduits à cette situation. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, la crainte que la Cour suprême des Etats-Unis ne remette en cause la légalisation de l’avortement a donné lieu à des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes à Washington. Cette mobilisation a empêché la Cour suprême, alors comme aujourd’hui majoritairement composée de juges nommés par les républicains, de prendre cette décision.

Mais lorsque la Cour suprême a annulé l’arrêt Roe v. Wade en 2022, aucun grand groupe de défense du droit à l’avortement n’a appelé à une manifestation nationale, et les protestations ont été le fait de groupes d’activistes dévoués, mais disposant de peu de ressources, dans différentes localités. Le message implicite (et souvent explicite) des organisations nationales était que les partisans du droit à l’avortement devaient placer leur confiance dans le processus électoral des référendums au niveau des Etats et dans l’élection de démocrates au Congrès et à la Maison Blanche. A cette époque, même les démocrates pro-choix avaient du mal à formuler des promesses simples concernant l’adoption d’une loi nationale sur le droit à l’avortement (Jenny Singer, 28 février 2022, in Glamour) surtout si cela impliquait (comme cela serait presque certainement le cas) de supprimer l’obstruction systématique au Sénat [procédure permettant à un ou des membres du législatif de prolonger un débat sur une loi pour retarder ou empêcher une décision: filibuste].

La réponse du président national de l’American Federation of Government Employees, Everett Kelley, à la décision anti-syndicale de la cour a montré à quel point les dirigeants syndicaux sont également prisonniers du formalisme procédurier du Parti démocrate: «Nous allons bien sûr nous battre pour notre existence. La décision rendue par la 9e cour d’appel est très inquiétante et très troublante. Je ne pense pas qu’un président, quel qu’il soit, devrait disposer d’un pouvoir illimité et incontrôlé. C’est en partie pour cette raison que les syndicats existent, pour garantir l’existence de freins et contrepoids au sein des agences.”» (The Hill, 15 août 2025)

Inconsciemment, Everett Kelley fait écho à la rhétorique de démocrates tels que le chef de la minorité au Sénat, Chuck Shumer (démocrate de New York), qui appelle régulièrement le Congrès et les tribunaux à respecter le système constitutionnel séculaire des «checks and balances» (contrôles et contrepoids) contre l’autocrate de la Maison Blanche.

Dans un essai intitulé «The Dead End of Checks and Balances » (Boston Review, printemps 2025), la politologue Lisa L. Miller souligne à quel point la prise de pouvoir autoritaire de Trump suit la Constitution américaine, qui donne le pouvoir à une minorité riche aux dépens des besoins de la grande majorité de la classe laborieuse. Lisa L. Miller soutient que les «checks and balances» invoqués par des personnalités telles que Schumer – c’est-à-dire le fédéralisme, les tribunaux, la division du Congrès en deux chambres – ont historiquement servi les intérêts des capitalistes et des riches pour opposer leur veto à des initiatives populaires telles que l’assurance maladie universelle, plutôt que d’aider les gens ordinaires.

Les périodes de réformes populaires n’ont eu lieu que lorsque des mouvements de masse ont contraint le système politique à sortir du carcan des «checks and balances».

Certaines sections plus militantes des syndicats le comprennent. L’article co-rédigé par trois dirigeants des syndicats d’enseignants de Chicago et de Los Angeles plaide en faveur de la relance de la grève générale dans le cadre de la stratégie syndicale pour vaincre l’autoritarisme trumpien. Jusqu’ici, tout va bien. Mais il est clair qu’ils voient le militantisme syndical comme un moyen de ressusciter le Parti démocrate à temps pour les élections de 2026 et 2028. Comme le souligne l’article «Labor’s Strategy Must Lean Into Synergies, dans Convergence du 25 juillet, «les grèves et le travail électoral se renforcent mutuellement».

Cela fait de leur appel à la militance moins une rupture audacieuse avec la direction actuelle du mouvement syndical qu’une refonte de la stratégie classique «interne-externe» visant à réformer le Parti démocrate. Autrement dit, s’organiser «en dehors» du Parti démocrate pour faire pression en faveur de réformes «à l’intérieur».

La longue histoire de ces efforts pour réformer le Parti démocrate (voir mon article datant du 9 février 2020 republié le 22 août 2025 dans International Socialism Project) a surtout servi à accommoder les radicaux et les militants au statu quo des démocrates plutôt qu’à faire basculer le parti vers la gauche. Nous l’avons vu l’année dernière lorsque la députée Alexandria Ocasio Cortez et le sénateur Bernie Sanders, qui se qualifient eux-mêmes de socialistes démocrates, se sont engagés sans réserve en faveur de Kamala Harris, malgré la politique favorable aux entreprises de cette dernière et son soutien à la guerre génocidaire d’Israël à Gaza. (Soit dit en passant, il est intéressant de noter que l’article des trois dirigeants syndicaux et d’un professeur d’études syndicales, tous se qualifiant eux-mêmes de radicaux et de socialistes, ne mentionne pas Gaza).

Il est clair que la gauche et les mouvements sociaux et syndicaux sont aujourd’hui dans une situation très précaire, et les débats sur la manière de lutter contre l’autoritarisme trumpien seront cruciaux. Mais les élections et les tribunaux ne nous sauveront pas, comme l’a souligné Chris Townsend, cité plus haut:

«Les élections de novembre dans le New Jersey et en Virginie pourraient donner un coup de pouce au Parti démocrate, mais Trump s’en fiche complètement. Il prévoit manifestement d’étendre sa guerre unilatérale contre les travailleurs et travailleuses, et les tribunaux vont le laisser faire. Ce type gouverne comme n’importe quel patron déjanté que les syndicats voient tous les jours. Des patrons qui ignorent les contrats et commettent des actes illégaux. Parce qu’ils savent qu’il y a peu de chances que vous vous révoltiez. Ils savent que le temps joue en leur faveur, pas en notre faveur. Ils contrôlent la plupart des aspects de la situation. Donc, tout comme lorsque cela se produit dans un contexte syndical, nous devons reconsidérer l’ensemble de notre position, notre réponse, nos tactiques. Nous avons besoin de dirigeants syndicaux qui envisagent des réponses audacieuses, des réponses militantes, des tactiques qui défient les idées reçues.» (Article reçu le 22 août; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Le recensement américain a lieu tous les dix ans, la première année de la décennie (par exemple, en 2010 et en 2020). Le recensement détermine ensuite le nombre de représentants à la Chambre des représentants des Etats-Unis, sur un total national de 435, auquel chaque Etat a droit.

Ensuite, les assemblées législatives des Etats ou d’autres organismes, tels que les commissions de redécoupage électoral, établissent des cartes des circonscriptions qui sont approuvées par les assemblées législatives et les gouverneurs des Etats. En général, cela a lieu une fois par décennie et s’applique généralement à la première élection nationale après la publication des chiffres de population par le Bureau du recensement. Dans les Etats dominés par l’un des principaux partis politiques, le parti majoritaire est tenté de tracer des cartes électorales qui garantissent le nombre maximal de membres de son parti réélus. C’est ce qu’on appelle le «gerrymandering». Ce qui est inhabituel dans le redécoupage électoral au Texas, c’est qu’il revient sur les cartes approuvées il y a seulement quelques années afin de les rendre encore plus favorables aux républicains. (L.S.)

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