Etats-Unis. «L’insurrection à l’instigation du président»

Par Warren Murray

«L’extrême de ce que Donald Trump, ses facilitateurs et ses partisans les plus fous sont prêts à provoquer a été constaté à Washington DC après qu’une foule pro-Trump, comprenant des militants armés, a envahi le bâtiment du Capitole – forçant les représentants élus à fuir pour se mettre en sécurité et quittant la session conjointe du Congrès [Chambre des représentants et Sénat] incapable de certifier immédiatement l’élection de Joe Biden à la présidence.

Après que les forces de sécurité ont repris le contrôle du bâtiment, qu’un couvre-feu [dès 18h heure locale] a été imposé dans toute la ville, les élu·e·s se sont à nouveau réunis pour assurer la transition démocratique du pouvoir [certification des votes des grands électeurs]. Notre couverture en direct de ce processus et des retombées des événements extraordinaires se poursuit. Je m’appelle Warren Murray, je suis ici pour résumer le briefing de jeudi: «Journée d’infamie à Washington DC».

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Une femme a été abattue dans le bâtiment du Capitole pendant les troubles et est morte par la suite – elle était nommée dans les rapports de police comme Ashli Babbit, une vétéran de l’armée durant 14 ans et partisane de Trump. Selon les rapports, trois autres personnes sont mortes dans ce qui a été décrit comme des urgences médicales. Les membres du personnel du Sénat ont été félicités pour leur rapidité d’esprit et leur courage après avoir saisi les bulletins de vote du Collège électoral et les avoir mis en sécurité alors que les législateurs fuyaient. Joe Biden, le président élu, est passé à la télévision en direct et a demandé à Trump de «respecter son serment et de défendre la Constitution, et d’exiger la fin de ce siège… Ce n’est pas une protestation. C’est une insurrection.»

Mais M. Trump n’a émis que des appels discrets pour que la foule soit «pacifique» et a finalement publié une vidéo préenregistrée appelant ses partisans à «rentrer chez eux», dans laquelle il les a qualifiés de «très spéciaux» et a répété ses affirmations, démenties, selon lesquelles l’élection présidentielle avait été volée. Facebook, Twitter et Instagram ont maintenant verrouillé les comptes de Donald Trump pendant au moins 12 heures. Twitter a averti que de futures violations de ses politiques entraîneraient le blocage permanent de son compte.

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Lorsque les émeutiers ont été dégagés et que les délibérations ont repris, Mike Pence et le leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, tous deux républicains, ont prononcé des discours condamnant la profanation du Capitole sans toutefois mentionner les incitations du président. Mais Chuck Schumer, qui remplacera bientôt Mitch McConnell à la tête d’une majorité démocrate entrante [suite à l’élection en Géorgie des deux candidats démocrates au sénat: Jon Ossoff et Raphael Warnock], s’en est pris directement au président évincé et a qualifié la foule qu’il avait soulevée de «terroristes nationaux… Cette foule était en grande partie le fait du président Trump, incitée par ses paroles et ses mensonges.»

Le sénateur républicain Mitt Romney a été l’un des rares membres de son parti à lier directement Trump au violent soulèvement, décrivant la prise d’assaut du Capitole comme «une insurrection, incitée par le président des États-Unis». Dans un moment hautement symbolique, Kelly Loeffler de Géorgie, qui vient d’être éliminée du prochain Sénat, a annulé son objection à la certification de la victoire de Biden. Mais d’autres partisans de Trump, dont Ted Cruz [Texas] et Josh Hawley [Missouri], ont refusé de saisir ce moment bipartisan, liant la procédure au débat sur les objections [à la victoire de Joe Biden dans les Etats de l’Arizona et de Pennsylvanie] jusqu’aux petites heures du matin.

Des politiciens britanniques se sont joints aux réactions de dirigeants du monde entier qui étaient parfois dirigées directement contre Trump. Boris Johnson a condamné ce qu’il a appelé les «scènes honteuses du Congrès américain… Les États-Unis sont les défenseurs de la démocratie dans le monde entier et il est maintenant vital qu’il y ait un transfert de pouvoir pacifique et ordonné.»

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Entre-temps, un mouvement visant à évincer rapidement Donald Trump de ses fonctions a été lancé, la députée Ilhan Omar [élue démocrate à la Chambre des représentants du Minnesota] ayant annoncé qu’elle rédigeait des articles de mise en accusation. «Nous ne pouvons pas lui permettre de rester en fonction, il s’agit de préserver notre République et nous devons respecter notre serment», a écrit Ilhan Omar.

D’autres ont demandé l’invocation du 25e amendement à la Constitution [1], qui permettrait au président d’être sommairement suspendu par le vice-président [Mike Pence] et les membres du cabinet – qui auraient des discussions à ce sujet. Lindsey Graham, sénatrice républicaine de Caroline du Sud, a déclaré: «Trump et moi… nous avons fait un sacré voyage. Je déteste que cela se termine de cette façon. Oh mon Dieu, je déteste ça… mais aujourd’hui, tout ce que je peux dire, c’est “Ne comptez pas sur moi. C’en est assez”.» (Article publié dans The Guardian en date du 7 janvier 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Adopté le 23 février 1967, cet amendement implique que le vice-président devient le président, si le président en exercice est démis de ses fonctions s’il est incapable d’exercer ses pouvoirs. (Réd.)

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Donald Trump et «la prise du Capitole»

Par Annie Karni et Maggie Haberman

Mercredi soir 6 janvier, le président Trump a ouvertement toléré sur les médias sociaux la violence qui se déroule à l’autre bout de Pennsylvania Avenue [à un kilomètre de la Maison Blanche] après qu’une foule de ses partisans a pris d’assaut le Capitole, conduisant Facebook et Twitter à supprimer ses messages et à verrouiller ses comptes.

«Ce sont les choses et les événements qui se produisent lorsqu’une victoire électorale sacrée est si peu cérémonieuse et si vicieusement retirée à de grands patriotes qui ont été mal et injustement traités pendant si longtemps», a tweeté M. Trump mercredi soir 6 janvier, après avoir passé une grande partie de l’après-midi dans le Bureau ovale à regarder des images de l’escalade de la violence qui se déroule au Capitole. «Rentrez chez vous avec amour et en paix. Souvenez-vous de ce jour pour toujours!»

Le tweet qui semblait soutenir les violents manifestants comme des «patriotes» et affirmer des revendications sans fondement sur le résultat de l’élection est arrivé après que le président, sous la pression publique et privée de conseillers, n’ait offert qu’une timide réponse tiède au fait que le Capitole a été violé pour la première fois dans l’histoire moderne et qu’une femme soit morte après avoir été abattue dans les couloirs du Capitole.

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Donald Trump a publié le message sur ses comptes Twitter et Facebook. Facebook a supprimé le message. Twitter a d’abord apposé une étiquette d’avertissement sur le tweet, indiquant qu’il faisait état d’une fraude électorale contestée, avant de retirer le tweet en entier, affirmant qu’il «violait les règles de Twitter».

Dans un message de suivi, Twitter a déclaré qu’il suspendait le flux Twitter du président pendant 12 heures – et peut-être plus s’il ne supprimait pas son message – et a menacé d’une suspension permanente si Donald Trump violait ses règles à l’avenir. Ce faisant, la plateforme a ôté au président son moyen de communication préféré pour communiquer directement avec ses partisans, un moyen qu’il a souvent utilisé depuis l’élection pour répandre de fausses affirmations sur la fraude électorale généralisée.

Puis, vers 20h30 mercredi soir, un porte-parole de Facebook a déclaré que les fonctionnaires avaient identifié «deux violations de la politique sur la page du président Trump», et qu’en conséquence, ils l’empêcheraient de publier sur la plateforme pendant 24 heures.

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Alors même que d’anciens responsables de l’administration et des dirigeants démocrates ont appelé le président à dire à ses partisans de «rentrer chez eux», Donald Trump n’a pas fait grand-chose pendant des heures pour les dissuader de prendre d’assaut le bâtiment. Au lieu de cela, il a publié deux tweets superficiels dans lesquels il leur demandait simplement de rester «pacifiques».

«Souvenez-vous, NOUS sommes le Parti de la loi et de l’ordre… respectez la loi et nos grands hommes et femmes en bleu [républicains]», a-t-il écrit, après que des scènes choquantes de fenêtres brisées et de drapeaux confédérés [le Sud confédéré ségrégationniste] agités au Capitole eurent été diffusées à la télévision pendant des heures.

Les partisans de Trump s’étaient rendus au Capitole sur ordre du président, après avoir assisté à un rassemblement près de la Maison Blanche, où Trump a affirmé sans fondement que les résultats de l’élection étaient frauduleux.

Ce n’est que quelques heures après le début de la mêlée, et après qu’un engin explosif a été trouvé au siège du Comité national républicain, que M. Trump a diffusé un message disant à la foule de partir.

«Vous devez rentrer chez vous maintenant», a-t-il déclaré dans un message vidéo filmé à la Maison Blanche et diffusé sur Twitter. «Nous devons avoir la paix. Nous devons avoir la loi et l’ordre. Nous ne voulons pas que quelqu’un soit blessé.» Pourtant, le président a fini par encourager la foule, notant «Nous vous aimons. Vous êtes très spéciaux» et «Je sais ce que vous ressentez».

Mais de nombreux conseillers autour du président craignaient que son message dans la vidéo ne soit pas assez fort et que certains de ses partisans l’interprètent comme un encouragement à continuer à se battre pour lui.

Alyssa Farah, qui a démissionné le mois dernier de son poste de directrice de la communication de la Maison Blanche, a tweeté un message plus direct aux partisans du président.

«Cher MAGA [Make America Great Again] – Je suis l’une d’entre vous. Avant de travailler pour @realDonaldTrump, j’ai travaillé pour @MarkMeadows & @Jim_Jordan & the @freedomcaucus», a-t-elle déclaré, établissant sa bonne foi conservatrice. «J’ai participé aux rassemblements du Tea Party 2010. J’ai fait campagne avec Trump et j’ai voté pour lui. Mais j’ai besoin que vous m’écoutiez: l’élection n’a pas été volée. Nous avons perdu».

Plus tôt dans la journée, le président avait également encouragé ses partisans avec un message alternatif. «Nous ne céderons jamais», a déclaré Donald Trump lors du rassemblement.

Au Capitole, certains élus – qui ont été emmenés dans des lieux sûrs – ont accusé le président d’être à l’origine du soulèvement. «C’est ce que le président a provoqué aujourd’hui, cette insurrection», a déclaré le sénateur Mitt Romney, républicain de l’Utah.

Certains anciens responsables de l’administration ont publiquement essayé d’encourager Donald Trump à adopter une position plus ferme pour mettre fin à l’escalade du chaos, tandis que d’autres alliés l’ont pressé, en privé, d’en faire plus. «Le tweet du président ne suffit pas», a écrit Mick Mulvaney, l’ancien chef de cabinet par intérim de la Maison Blanche, sur Twitter. «Il peut arrêter cela maintenant et doit faire exactement cela. Dites à ces gens de rentrer chez eux.»

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Dans une déclaration commune, le sénateur Chuck Schumer et la présidente du parlement, Nancy Pelosi, les leaders démocrates, ont déclaré: «Nous demandons au président Trump d’exiger que tous les manifestants quittent immédiatement le Capitole et les terrains du Capitole des États-Unis.»

Mais M. Trump a résisté à ces appels privés et publics pour condamner sans réserve la violence. Sa colère s’est plutôt portée sur le vice-président Mike Pence qui, plus tôt dans la journée, a clairement fait savoir qu’il avait l’intention de rejeter les pressions du président pour bloquer la certification par le Congrès de la victoire de Joe Biden. Mike Pence a été évacué de la salle du Sénat alors que la tension montait.

Donald Trump a écrit sur Twitter: «Mike Pence n’a pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre pays et notre Constitution, en donnant aux États une chance de certifier un ensemble de faits corrigés, et non les faits frauduleux ou inexacts qu’on leur avait demandé de certifier auparavant. Les États-Unis exigent la vérité!» (Article publié le 7 janvier 2020 dans le New York Times; traduction rédaction A l’Encontre)

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