Par Dave Zirin
La vague de grèves des athlètes contre les violences policières racistes ne faiblit pas. Jeudi soir (27 août), les New York Mets (baseball) et les Miami Marlins sont entrés sur le terrain, ont observé un silence de 42 secondes (en l’honneur de Jackie Robinson – premier joueur à évoluer dans l’élite, décédé en 1972), puis sont partis. Ils ont laissé derrière eux un t-shirt sur lequel était inscrit «Black Lives Matter» sur le marbre.
De nombreuses équipes de la NFL (National Football League) ont annulé leurs entraînements. Les Ravens de Baltimore, après une réunion d’équipe de quatre heures, ont publié une déclaration d’action remarquable. Les arbitres de la NBA (National Basketball Association) ont même organisé une marche dans le stade Orlando Bubble (siuté en Floride, près d’Orlando), portant des t-shirts sur lesquels on pouvait lire «Tout le monde contre le racisme». Même la Ligue nationale de hockey, après avoir d’abord ignoré ce qui se passait, au grand dam de nombreux joueurs, a annulé une série de matchs par solidarité avec les initiatives qui se multipliaient dans le monde du sport.
Les athlètes professionnels se sont montrés prêts à se battre et à se faire entendre. Les athlètes noirs disent qu’ils ne seront plus un objet d’adulation avec leur uniforme, mais qu’ils risquent d’être tués par la police lorsque l’uniforme sera enlevé. C’est un moment historique à tous points de vue, et sans aucun plan directeur. Nous ne savons pas où cela va nous mener, ni combien de temps cela va durer. Mais les gens se demandent déjà ce que cela peut réellement accomplir, au-delà de la sensibilisation à la mort de Jacob Blake (qui a été frappé – le 23 août, à Kenosha, Wisconsin – par quatre balles sur les sept tirées dans son dos; il est paralysé).
Pour l’instant, il s’agit de centrer le débat dans ce pays sur la violence policière raciste et non pas sur la détraquée grandiloquence «loi et ordre» (Law and Order) qui sort du RNC (Convention nationale républicaine) ou l’incitation à la violence pendant une période d’obscurité implacable. Franchement, si rien d’autre n’en sortait, ce serait quand même important. Mais les joueurs veulent plus. Les supporters veulent plus. Tous ceux qui sont étranglés par l’absence d’oxygène politique dans ce pays brisé veulent plus.
Les joueurs clés de la NBA veulent que les propriétaires de franchise mettent un peu de leur «peau en jeu». Ils veulent que les propriétaires milliardaires – qui sont non seulement riches mais aussi politiquement liés à chaque municipalité où ils ont un stade financé par l’Etat – fassent pression pour obtenir une législation et utilisent leur influence pour riposter. Comme le réputé journaliste Shams Charania, qui couvre la NBA dans The Athletic, l’a écrit sur Twitter lors d’une rencontre entre joueurs et propriétaires, «les joueurs ont mis les propriétaires au défi d’être proactifs, et non réactifs, face aux changements de justice sociale; de susciter des actions, et pas seulement passer des engagements financiers».
Je suis tout à fait d’accord pour que les milliardaires fassent des concessions. Mais il y a une autre voie que le mouvement peut emprunter. Ce que font ces joueurs n’est rien de moins que de lutter pour la vie des Noirs. Ils utilisent leur pouvoir en tant que travailleurs pour protester non seulement contre les tirs de la police sur Jacob Blake et le terrorisme suprémaciste blanc [Kyle Rittenhouse, 17 ans, a été arrêté pour le meurtre de deux manifestants] à Kenosha, mais aussi contre le fait que, comme l’a dit un des joueurs, «rien ne change». Après un été de marches, de soulèvements et d’occupations, la législation a peu évolué et la police agit toujours en toute impunité.
En exerçant leur pouvoir en tant que travailleurs, les joueurs inspirent une partie incroyablement dormante de la résistance au racisme et au trumpisme: le mouvement ouvrier. Si la NBA peut fermer ses portes pour protester contre les violences policières racistes, pourquoi pas d’autres industries? Pourquoi pas les villes? Pourquoi pas des secteurs entiers de l’économie du pays? Les grèves ne doivent pas nécessairement porter sur les salaires et les avantages sociaux. Il y a une longue histoire cachée dans ce pays de grève pour les droits de l’homme – «pas seulement du pain mais des roses». C’est une histoire que les joueurs pourraient contribuer à faire revivre.
Cela peut paraître tiré par les cheveux, mais je peux dire que j’ai reçu une demi-douzaine d’appels de syndicalistes ou de responsables syndicaux hier soir me disant qu’eux et leurs membres avaient l’impression d’avoir été piqués par un aiguillon électrique. L’idée que tout le monde dans le pays parlait de cette «grève» en cours donnait à tant de ces travailleurs le sentiment qu’ils avaient aussi du pouvoir.
Ce n’est pas seulement une question de solidarité. C’est une question de résultats. Si les joueurs veulent les résultats qu’ils désirent, et si le pays est aussi brisé qu’ils le croient, c’est une solution réelle: faire la grève contre la violence policière raciste, faire la grève contre le trumpisme, faire la grève pour les vies noires. Rien d’autre n’a fonctionné. Mais en se retirant de leur travail, les joueurs de la NBA ont immédiatement amené leurs patrons à la table et lancé un débat national. Si ce message se répand dans tout le pays – et si les dirigeants syndicaux se montrent à la hauteur de la situation et répondent avec le même courage – nous pourrions enfin voir des solutions et ne pas avoir l’impression d’être tous à bout de souffle, attendant simplement le prochain hashtag. (Article publié dans The Nation, le 27 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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Dave Zirin est l’auteur fort connu de nombreux ouvrages sur le sport, parmi lesquels on peut citer: People’s History of Sports in the United States: 250 Years of Politics, Protest, People, and Play (New Press People’s History, 2009); Jim Brown: Last Man Standing (Blue Rider Press, 2018); The John Carlos Story. The Sport Moment That Changes the World (Haymarket Books, reprint 2013).
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