Etats-Unis. Le nombre de sans-abri pourrait augmenter de 45% en un an en raison de la crise du chômage

Par Igor Derysh

La vague de licenciements déclenchée par la pandémie de coronavirus et les fermetures d’usines à l’échelle de l’ensemble des Etat-Unis devraient augmenter le nombre de sans-abri de 45%, selon une nouvelle analyse d’un économiste de l’université de Columbia.

L’analyse estime qu’environ 250’000 personnes pourraient se retrouver sans abri en raison de la montée en flèche du chômage. Le ministère du Logement et du Développement urbain a estimé qu’il y avait 568’000 sans-abri dans le pays en janvier 2020, avant l’épidémie.

Le Dr Brendan O’Flaherty, professeur d’économie qui a étudié le phénomène des sans-abri durant des décennies et a mené l’analyse, a déclaré que la hausse prévue serait «sans précédent». «Personne vivant n’a vu une augmentation de 10% du chômage en un mois», a-t-il déclaré.

Le modèle de Brendan O’Flaherty s’est appuyé sur les données relatives au sans-abrisme d’une étude antérieure publiée par le Journal of Housing Economics en 2017, qui a révélé que chaque augmentation de 1% du taux de chômage correspondait à une augmentation du taux de sans-abrisme de 0,65 pour 10’000 personnes. L’analyse a utilisé les projections du chômage de l’Institut de politique économique (Economic Policy Insitute), qui prévoyait un taux de 15,6% d’ici à juillet, et du Bureau du budget du Congrès, qui prévoyait également un taux de chômage de 16% d’ici à l’été.

«Si les projections de chômage faites maintenant s’avèrent exactes, et que la relation entre le chômage et le sans-abrisme suit le modèle historique, et qu’aucun autre changement majeur ne se produit, c’est ce à quoi nous pouvons nous attendre», a déclaré M. O’Flaherty.

Mais le taux de chômage pourrait être bien pire que ce que prévoient ces projections. Le Bureau des statistiques du travail (Bureau of Labor Statistics) a indiqué que le taux de chômage a atteint 14,7% en avril, un niveau jamais vu depuis la Grande Dépression. Ce chiffre ne dit pas tout, car 2,4 millions d’États-uniens ont déposé leur première demande d’allocation chômage cette semaine – ce qui suggère que le choc économique causé par le virus est loin d’être terminé.

Plus de 38 millions de personnes ont déposé une demande de chômage depuis le début du confinement en mars, ce qui représente près d’un quart de la main-d’œuvre totale du pays.

En Californie, qui compte déjà la plus grande population de sans-abri des États-Unis, le gouvernement de Gavin Newsom (démocrate) a déclaré que l’État prévoit que le taux de chômage atteindra 24,5% cette année.

Les pertes d’emplois ont été les plus importantes parmi les travailleurs et travailleuses qui gagnaient déjà bien moins que la moyenne nationale.

«Parmi les personnes qui travaillaient en février, près de 40% des ménages gagnant moins de 40’000 dollars par an avaient perdu leur emploi en mars», a déclaré la semaine dernière le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, en citant une enquête de la Fed. «Ce retournement de situation économique a provoqué un niveau de douleur difficile à traduire en mots, car les vies sont bouleversées dans un contexte de grande incertitude quant à l’avenir.»

L’augmentation du taux de sans-abrisme aggravera la crise sanitaire, car beaucoup de personnes se retrouveront sans logement dans lequel s’isoler.

«Nous sommes censés nous abriter chez nous. Nous sommes censés nous laver les mains», a déclaré O’Flaherty au Los Angeles Times. «Nous sommes censés faire toutes ces choses que les sans-abri ne peuvent pas faire. Ce n’est pas seulement une tragédie pour les personnes concernées. C’est une façon d’alimenter un peu plus le feu du Covid.»

L’analyse de O’Flaherty concorde avec ce que les défenseurs des sans-abri voient déjà sur le terrain.

«Je pense que nous allons assister à une énorme augmentation des déplacements, des sans-abri, des expulsions – des gens qui sont déjà dans une situation limite vont être poussés à bout», a déclaré au San Jose Mercury News Andrea Henson, l’organisatrice principale du groupe de sensibilisation aux sans-abri «Where do we go? Berkeley».

Le Congrès a dépensé des milliards pour augmenter les allocations de chômage et aider les petites entreprises à continuer à payer leurs employés grâce au programme de protection des salaires. Mais de nombreuses petites entreprises, et la grande majorité des entreprises appartenant à des minorités, sont restées sans aide. De nombreux travailleurs licenciés ont eu du mal à s’orienter dans les systèmes de chômage des États qui ont été submergés de demandes. Les législateurs républicains prévoient déjà de supprimer les prestations de chômage fédérales lorsqu’elles arriveront à échéance en juillet – même si les dernières demandes de prestations de chômage montrent que le problème n’a pas disparu alors que les 50 États s’apprêtent à mettre fin au confinement.

La semaine dernière, les démocrates de la Chambre des représentants ont approuvé un projet de loi de 3000 milliards de dollars qui prolongerait les allocations de chômage, augmenterait le financement des entreprises appartenant à des minorités et fournirait 100 milliards de dollars d’aide d’urgence au loyer. Le projet de loi prévoit également d’allouer 11,5 milliards de dollars aux programmes de prévention du sans-abrisme et 75 milliards de dollars pour aider les propriétaires à rembourser leurs hypothèques.

Les républicains ont déclaré qu’ils n’étaient pas intéressés à discuter d’une autre phase d’aide avant une bonne partie du mois de juin et ont déclaré que le projet de loi des démocrates était «mort à l’arrivée» au Sénat.

Des États comme New York et des villes comme Los Angeles ont annoncé des moratoires sur les expulsions, mais ceux-ci devraient expirer dans les mois à venir.

«Il y aura un jour où il faudra faire face aux échéances», a déclaré au Los Angeles Times Dan Flaming, le responsable de l’Economic Roundtable, une association à but non lucratif basée à Los Angeles. «Quand quelqu’un doit payer trois ou quatre mois de loyer, que se passe-t-il alors?»

Dan Flaming a déclaré qu’il existe clairement un «lien très fort entre le chômage et le sans-abrisme», mais que le plein effet ne se fera pas sentir avant un certain temps.

«Les gens font tout ce qui est en leur pouvoir pour s’accrocher à un abri et le dénuement total est un résultat tardif», a-t-il déclaré. «La reprise après un dénuement total est encore plus lente, de sorte que l’augmentation du nombre de sans-abri que nous constatons est susceptible de se poursuivre pendant un certain temps.»

Si le nombre de sans-abri monte en flèche au milieu de l’été, comme le prévoit l’analyse de l’université de Columbia, cela pourrait avoir des résultats dévastateurs à l’automne, lorsque les chercheurs s’attendent à une deuxième vague d’infections par coronavirus.

Les Centres de contrôle et de prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention) ont constaté que le coronavirus se propageait de manière agressive dans les foyers pour sans-abri des grandes villes, en particulier celles qui connaissent de graves épidémies, selon un rapport publié le mois dernier. Les chercheurs ont découvert que dans les foyers pour sans-abri qui n’avaient signalé que deux cas de coronavirus au cours des deux semaines précédentes, jusqu’à 66% des résidents et 30% du personnel étaient infectés.

«À certains égards, le problème dans les refuges est similaire à celui des maisons de retraite ou des prisons», a déclaré à Reuters le Dr Daniel Kuritzkes, chef de la division des maladies infectieuses au Brigham and Women’s Hospital de Boston. «Les résultats sont… un autre exemple de la façon dont l’épidémie a mis en évidence nos lacunes en termes de protection de certains de nos citoyens/citoyennes les plus vulnérables.» (Article publié par Truthout, le 23 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Igor Derysh est un écrivain politique basé à New York dont les travaux sont publiés dans le Los Angeles Times, le Chicago Tribune, le Boston Herald et le Baltimore Sun.

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*