Etats-Unis. Face au duopole Biden-Trump, pourquoi n’y a-t-il pas d’alternative en 2024?

Jill Stein et Cornel West lors d’un entretien avec «New Politics».

Par Lance Selfa

Ce n’est pas un secret que la plupart des électeurs et électrices des Etats-Unis sont insatisfaits du choix du grand bloc bipartite Biden-Trump pour l’élection présidentielle de novembre 2024. Et ce n’est pas un secret que les Américains souhaitent que le système politique leur offre plus de choix que le seul duopole démocrate-républicain. A l’automne dernier, un sondage Gallup a révélé que 63% des adultes états-uniens estimaient qu’un troisième parti était nécessaire parce que les grands partis ne parvenaient pas à représenter le peuple des Etats-Unis. Bien qu’il s’agisse du plus haut niveau de soutien à un troisième parti que Gallup ait perçu en 20 ans, le soutien à un troisième parti est resté à peu près à ce niveau depuis 2013.

Avant 2013, les données de Gallup montraient une baisse du soutien à un troisième parti et une augmentation de l’opinion selon laquelle les principaux partis «font un travail adéquat» pour représenter le peuple des Etats-Unis lors des années d’élection présidentielle. Mais les choses ont changé depuis 2012, même si le comportement de l’électorat états-unien –qui se range derrière les deux grands partis lors de chaque année électorale – continue de refléter l’ancienne tendance.

Ce n’est qu’en 2016, lorsque l’électorat a dû choisir entre Hillary Clinton et Donald Trump, que les votes pour des partis autres que les Démocrates et les Républicains ont augmenté. Environ 5% des électeurs qui ont participé à l’élection présidentielle cette année-là ont choisi un troisième parti, comme les libertariens [Gary Johnson, Libertarian Party] ou les Verts [Jill Stein du Green Party], plutôt que Clinton ou Trump.

Les libéraux [gauche des démocrates] continuent de reprocher à Jill Stein, du Parti vert, d’avoir enlevé à Hillary Clinton des victoires dans des Etats clés en 2016, même si Clinton était une candidate déplorable qui a mené une campagne minable. Il est un peu fort de la part des responsables démocrates d’accuser Jill Stein [qui a obtenu 1,256 million de voix, soit 0,98% des suffrages] d’avoir permis à Trump de gagnier dans l’Etat «charnière» du Wisconsin, alors que Hillary Clinton n’a pas fait campagne dans cet Etat pendant l’élection. On pourrait également affirmer que le libertarien Gary Johnson a retiré suffisamment de voix à Trump [4,489 millions de voix, soit 3,27% des suffrages] pour permettre à Hillary Clinton de remporter de justesse des Etats comme le Colorado, le New Hampshire, le Maine et le Nouveau-Mexique.

Tous ces calculs découlent de l’absurdité du choix d’un président basé sur les votes Etat par Etat d’un «collège électoral» [constitué au total par 538 grands électeurs; l’élection présidentielle se fait donc au suffrage indirect] qui surreprésente les Etats conservateurs peu peuplés. Hillary Clinton a remporté près de 3 millions de voix de plus que Trump au niveau national en 2016. Pourtant, elle a perdu l’élection parce qu’environ 78 000 votes dans trois Etats ont donné la victoire à Donald Trump.

Les démocrates sont déterminés à ne pas répéter l’expérience de 2016 en 2024. Mais au lieu de s’efforcer de donner à l’électorat une raison de voter, ils font régner la peur au sujet de Trump et organisent une campagne de plusieurs millions de dollars pour disqualifier les candidatures de partis alernatifs (third party). Les démocrates ont rassemblé une «armée d’avocats» qui chercheront à dresser des obstacles juridiques sur la route des candidats alternatifs qui défient Biden.

«L’offensive juridique, menée par Dana Remus, qui a été jusqu’en 2022 la conseillère juridique du président Biden à la Maison Blanche, et Robert Lenhard, avocat indépendant du parti, sera assistée par une équipe de communication chargée de contrer les candidats dont les démocrates craignent qu’ils ne jouent les trouble-fêtes face à Joe Biden. Il s’agit d’une sorte de «Whac-a-Mole» [Jeu de la taupe: taper à l’aide d’un marteau sur les taupes en plastique qui sortent de manière aléatoire des trous de la console de jeu] juridique, d’un plan de contre-insurrection Etat par Etat avant une élection qui pourrait dépendre de quelques milliers de voix dans des Etats clés», a rapporté le New York Times le 20 mars.

Cette campagne a remporté sa première grande victoire au début du mois d’avril, lorsque le comité d’action politique No Labels [créé en décembre 2010 avec comme slogan «Not Left. Not Right. Forward»] a annoncé qu’il ne mènerait pas de campagne présidentielle en 2024. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais No Labels – l’émanation de lobbyistes de Washington qui s’imaginent que les électeurs américains aspirent à une alternative «modérée» aux partis du business «extrêmes» – n’a pas pu trouver un politicien traditionnel entrant dans le moule du défunt [en mars 2024] – et non regretté – sénateur Joseph Lieberman qui aurait accepté de figurer sur un ticket présidentiel.

Les démocrates s’intéressent désormais à la candidature indépendante de l’avocat écologiste et anti-vax Robert Kennedy Jr (RFK Jr.). Malgré l’appartenance de Robert Kennedy au célèbre clan Kennedy du Parti démocrate et ses antécédents en matière de protection de l’environnement, il est surtout connu aujourd’hui comme l’un des principaux pourvoyeurs de fausses informations sur les vaccins, dont le profil a été renforcé au plus fort de la pandémie de Covid-19. Les démocrates craignent qu’il puisse jouer sur son nom et collecter suffisamment d’argent [avec l’appui de son épouse milliardaire] pour poser un défi à Biden au niveau de l’Etat fédéral.

Certains sondages effectués l’année dernière suggèrent que Robert Kennedy pourrait obtenir un résultat à deux chiffres, voire même atteindre les niveaux que le milliardaire cinglé Ross Perot a atteints en 1992. [Perot a obtenu environ 19% des voix au niveau national lors de l’élection contre le président sortant George H.W. Bush et le challenger Bill Clinton]. Néanmoins, il est peu probable que RFK Jr. obtienne un soutien supérieur à 2 ou 3% au total. En outre, sa campagne ne figure que sur les bulletins de vote de six Etats à l’heure où nous écrivons ces lignes. Il s’est déjà présenté aux primaires démocrates, mais a abandonné après avoir échoué.

Néanmoins, les démocrates ne prennent aucun risque. Ils ont fait appel à presque tous les membres de la famille de Kennedy pour qu’ils le désavouent et mènent actuellement une campagne médiatique de dénigrement le visant. Le lobby libéral MoveOn.org, aligné sur les démocrates, a même embauché un membre de son personnel dont la description du poste comprend «l’aide à l’inoculation [vous voyez le jeu de mots? – LS] des groupes progressistes et autres groupes non-MAGA» contre l’appel de RFK Jr. Candidat néophyte, RFK Jr. a fourni aux analystes des opposants au Parti démocrate un trésor de déclarations et d’apparitions dans les médias qui vont des étranges théories de la conspiration aux diatribes antisémites et racistes. Et quiconque pense que RFK Jr. est une alternative à Biden sur Israël et la Palestine se trompe.

Pour les socialistes engagés dans une alternative de gauche aux deux partis du monde des affaires, No Labels, RFK Jr. et les Libertariens n’offrent rien.

Mais deux autres campagnes vraisembables – la campagne du Parti vert de la Dresse Jill Stein et la campagne indépendante du professeur activiste Dr Cornel West [connu du monde des African-American studies] – offrent des moyens de protester contre le statu quo bipartisan. La question est de savoir dans quelle mesure ces campagnes nationales seront viables. Pour saisir le contenu des campagnes des Verts et de Cornel West, ainsi que leur relation, la contribution de l’écosocialiste et candidat au Parti vert en 2020 Howie Hawkins vaut la peine d’être lue (New Politics, hiver 2024, n° 76).

Comme le souligne Howie Hawkins, les Verts ont obtenu un peu moins d’un demi-million de voix lors des élections présidentielles de 2012 et de 2020. Mais leur total a grimpé à environ 1,4 million lors de la compétition Clinton-Trump de 2016 et, comme indiqué ci-dessus, ils ont obtenu des totaux significatifs dans des Etats clés comme le Wisconsin et le Michigan. Les Verts sont actuellement inscrits sur les listes électorales dans 20 Etats, tandis que Cornel West n’a pas encore réussi à se qualifier [chaque Etat détermine un certain nombre d’exigences et de délais pour le dépôt d’une liste qui permette que ce candidat figure sur le bulletin de vote de l’Etat, ce qui doit être acquis avant les primaires ou les caucus – réd.].

Un ticket commun Stein-West est une possibilité, note Howie Hawkins. Un ticket Stein-West soutenant la fin de la guerre à Gaza et la solidarité avec les Palestiniens, les soins de santé pour tous, les droits reproductifs et une «transition socialement juste» pour sortir d’une économie militarisée et basée sur les combustibles fossiles offrirait une alternative de gauche à des millions de personnes qui en ont assez du statu quo Biden/Trump.

Mais si un tel ticket représente une menace pour Biden, la puissance de feu des Démocrates actuellement dirigée contre RFK Jr. sera redirigée contre les verts et West. Une campagne soutenue par les verts devra également faire face à d’énormes pressions de la part de la «gauche large» pour qu’elle se retire face à la menace Trump – ou pour qu’elle se concentre uniquement sur des Etats comme la Californie ou l’Utah, où la victoire ou la défaite des Démocrates ne se jouera pas sur un nombre limité de votes.

Au fur et à mesure que le mois de novembre se rapproche, le soutien aux «third party» diminuera. Mais pour que les démocrates parviennent à étouffer toute alternative à un statu quo dirigé par Biden, il faut une indépendance politique vis-à-vis des partis capitalistes et la construction de mouvements sur les lieux de travail et dans les collectivités pour remettre en cause ce statu quo dans la pratique. (Article publié le 13 avril 2024 par International Socialism; traduction rédaction A l’Encontre)

Lance Selfa est l’auteur de The Democrats: A Critical History (Haymarket, 2012) et éditeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty: Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).

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