Etats-Unis. «Ce verdict ne doit qu’être le début»

Par Joan Walsh

Derek Chauvin n’a pas seulement tué George Perry Floyd Jr. Il l’a torturé à mort.

C’est peut-être ce qui a amené le jury à déclarer Chauvin coupable des trois chefs d’accusation.

En examinant les arguments finaux du procureur du comté de Hennepin [de l’Etat du Minnesota], Steve Schleicher, j’aurais dû savoir que le jury ferait cela. Mais je ne me suis pas laissé aller à le croire.

Même si je ne couvrais pas le procès, je l’avais toujours à l’esprit ces dernières semaines. Et quand Steve Schleicher a commencé sa plaidoirie, j’ai commencé à prendre des notes, ce que je n’avais jamais fait auparavant. J’avais regardé les neuf minutes et 29 secondes de vidéo insoutenable. Mais là, c’était différent. J’ai quitté mon bureau et me suis assis sur le canapé, captivée.

J’ai vu Schleicher forcer le jury à prêter attention non seulement au genou de Chauvin sur le cou de Floyd, mais aussi à la façon dont le père, le fils, le frère et l’oncle noirs se tordaient de douleur sous ce genou, juste pour essayer de respirer. Les lacérations sur la joue et l’épaule de la victime, «le pavé déchirant sa peau», montraient comment il se battait pour rester en vie, pour ouvrir ses poumons, pour respirer, a dit Steve Schleicher au jury. Et à nous tous.

Floyd était «un être humain qui réclamait sa mère» dans ses derniers instants, a déclaré le procureur. Il a supplié Derek Chauvin, l’appelant «Monsieur l’agent», de l’aider, disant, en écho à un autre Noir assassiné par la police, feu Eric Garner [mort le 17 juillet 2014, dans l’arrondissement new-yorkais de Staten Island]: «Je ne peux pas respirer.»

On lui a refusé. Et il est mort. Et Derek Chauvin va aller en prison pour un long moment.

Je ne peux pas dire que cette plaidoirie en soit la raison. Mais ce fut dévastateur pour moi. Je ne peux qu’imaginer que les membres du jury – à qui l’on avait présenté une liste de témoins parfois captivants, parfois tranquillisants au cours des dernières semaines – ont dû ressentir la même chose. C’est de ça qu’il s’agit, nous a dit Steve Schleicher. Et il avait raison. Et le jury a confirmé qu’il avait raison.

Il est impossible d’extrapoler ce verdict à d’autres affaires, passées, en cours ou à venir. Cette affaire avait tout ce dont un procureur a besoin: de multiples flux vidéo et un chœur étonnant de témoins sur le trottoir à l’extérieur du désormais iconique Cup Foods – jeunes et vieux, Noirs et Blancs, un ambulancier de la ville et un enfant de 9 ans brillant et traumatisé – armés seulement de leurs téléphones, essayant de raisonner Derek Chauvin et les autres flics. (Le procureur Jerry Blackwell les a appelés un «bouquet d’humanité»).

L’avocat de la défense Eric Nelson, dépassé par la situation, a essayé de les dépeindre comme menaçants. Il a échoué lamentablement. Dans la plupart de ce que nous avons vu (j’ai peut-être manqué quelque chose), ce «bouquet d’humanité» n’a même pas bougé du trottoir. Ils n’ont pas osé. Ils savaient que s’ils faisaient un pas dans la rue, ils pouvaient se retrouver sous le genou de la police. Comme George Floyd.

Je ne crois pas à la théorie de la «pomme pourrie» de la police. Ces derniers temps, on dirait que l’arbre est pourri et que les pommes pourries sont plus nombreuses que les bonnes ou qu’elles les contaminent. Mais le fait qu’autant d’officiers de police de Minneapolis, y compris le chef Mederia Arrodando, témoignent en détail de ce que Derek Chauvin a fait de mal prouve que si vous avez le bon leadership, vous aurez au moins quelques bonnes pommes.

Je sais que cela ne nous promet pas de meilleurs résultats, que ce soit dans les conflits avec la police ou dans la poursuite de ceux qui tuent. Mais je vais le célébrer. Rejoignons tous le «bouquet d’humanité». (Article publié dans The Nation, le 20 avril 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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