Par Belén Fernández
Bénéficiaire une fois encore du népotisme dominant l’administration Trump, Jared Kushner [gendre de Donald Trump] vient d’obtenir la tête de la task force fantôme «coronavirus». Problème? Il ne connaît rien du Covid-19, pas plus qu’à la réforme de l’immigration ou à la paix au Moyen-Orient, ces autres «mandats» qui lui ont déjà été confiés.
Alexandra Petri, chroniqueuse au Washington Post, a écrit en janvier dernier: «Je viens de lire 25 livres et je suis ici pour vous opérer à cœur ouvert.» Son article s’inspirait de Jared Kushner qui venait d’affirmer avoir lu exactement 25 livres sur le conflit israélo-palestinien, ce qui faisait de lui le mieux qualifié pour résoudre enfin plus de 70 ans de gâchis (ceci bien sûr en entubant définitivement les Palestiniens).
«Soyons clair: la médecine n’est pas mon métier», écrivait Alexandra Petri, pastichant Kushner. «Disons que c’est mon nouveau hobby. En fait, mes responsabilités sont beaucoup plus importantes, et franchement, je suis un peu agacé d’avoir cette tâche sur le dos! Mais il faut bien que quelqu’un le fasse.»
Le hasard fait bien les choses. Le gendre et très estimé conseiller de Trump est parvenu à se propulser pour de vrai dans le domaine médical. Le coronavirus lui a fourni une chouette opportunité de bénéficier à nouveau du népotisme régnant – en plus des autres activités qu’il a au feu, comme résoudre à la question de l’immigration ou échanger sur WhatsApp avec le prince saoudien homicide Mohammed ben Salmane (MBS).
A l’heure qu’il est Kushner préside une «task force» fantôme. Elle est supposée affronter la pandémie mais ajoute encore plus de confusion et de chaos à la politique en soi schizophrène des États-Unis. Selon Politico, les grandes manœuvres de Kushner, basées sur le secteur privé, comportent «un groupe de conseillers externes à l’administration, dont son ancien camarade de chambre [à l’Université de New-York], et des consultants du cabinet McKinsey». Kushner est chargé «des défis les plus importants auxquels le gouvernement fédéral est confronté». Une position de leadership a donc été confiée à l’homme qui assurait Trump que le coronavirus n’était pas grand-chose et qui est donc largement responsable du retard mortel qu’a pris la lutte contre l’épidémie.
Politico note également que l’initiative «coronavirus» de Kushner ne prévoit qu’«un contrôle limité des intérêts financiers des entreprises privées qui s’y retrouvent et de leurs dirigeants, ce qui pose problème quant à leurs motivations et aux conflits d’intérêts potentiels». D’autre part, les divers projets qu’elle englobe sont «si décentralisés qu’aucune équipe ne peut avoir une idée claire de ce que font les autres. Mais toutes dépendent de Kushner.» Comme si quelqu’un avait jamais douté de l’efficacité du secteur privé.
Il semble que Kushner ait également fait tout son possible pour rendre son opaque groupe de travail aussi obscur que possible. Les communications entre ses membres passent par des courriels personnels plutôt que par des voies officielles, et aucun rapport public ne rend compte de ses attributions précises. En plus d’être apparemment illégal, un tel comportement conduit à penser que l’objectif principal de l’opération n’est pas de bénéficier à la santé publique mais au compte bancaire de la famille Kushner. La révélation récente qu’une compagnie d’assurance maladie liée à Kushner et à son frère concevait un site Web gouvernemental sur les coronavirus a illustré cette hypothèse. (Le projet a été abandonné à la dernière minute.)
Pour sa part, le New York Times cite un haut responsable de l’administration américaine qui décrit l’équipe Kushner de «clique d’étudiants» sortis d’un OVNI pour envahir le gouvernement fédéral» – fournissant ainsi l’une des expressions les plus adéquates du gendre présidentiel et de son boys’ band sur la scène politique contemporaine. Pour sa part, le Times, a titré «Jared Kushner va tous nous faire tuer», dans un premier temps, un de ses éditos, pour observer ensuite que «nommer Jared Kushner est de la folie furieuse».
Et pourtant, il est déjà complice d’un nombre incalculable de morts, au-delà des morts qu’il a provoquées en décourageant Trump de se bouger le cul. Selon Gabriel Sherman de Vanity Fair, Kushner a dézingué le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, qui a dit que son Etat – épicentre du coronavirus – manquait de trente mille respirateurs: «J’ai toutes les données sur la capacité des soins intensifs. Je fais mes propres projections et je suis bien mieux informé sur le sujet. New York n’a pas besoin de tous ces respirateurs.» (Naturellement, Trump l’a immédiatement répété.)
Cela ressemble à son ancien baratin sur les «25 livres».
Ensuite, il y a eu l’argument de Kushner, inquiétant sociopathe, selon lequel le stock national de fournitures médicales des États-Unis pour les urgences de santé publique n’était pas supposé être utilisé par les États qui composent la nation.
Et puis différents États ont tenté de se procurer leur propre équipement via le «Project Airbridge» (Pont aérien), autre instrument de Kushner pour transporter des fournitures médicales depuis l’étranger. Leurs tentatives auraient été parfois contrecarrées par le gouvernement fédéral, saisissant et réorientant à son gré les envois.
Parfois, cependant, les gens n’ont même pas besoin de passer officiellement commande pour obtenir ce qu’ils veulent – comme la fois où Trump a entendu «des amis» lui dire le besoin quelque part de masques N95. En un claquement de doigts Kushner les a fournis. Ceci, figurez-vous, est un exemple que Kushner lui-même présente comme preuve de son efficacité miraculeuse. Peu importe qu’en ces temps de crise extraordinaire un favoritisme aussi aléatoire et incontrôlé signifie pour d’innombrables personnes qu’elles passent à travers les mailles du filet, et soient pour beaucoup conduites à leur mort.
Écrivant sur le blog «Law and Political Economy» (La loi et l’économie politique) à propos du «capitalisme des taudis» et du Covid-19, John Whitlow, professeur à la «CUNY Law School» [Faculté de droit de l’Université de New York], souligne que la réponse des États-Unis a été déterminée par le fait que le gouvernement est «dirigé par des propriétaires, des promoteurs immobiliers, et des financiers dont la fortune a été faite – et la vision du monde façonnée – par des années de pratiques commerciales prédatrices et extractives». Parmi ces dirigeants, bien sûr, Kushner, qui, «comme Trump, a hérité des biens immobiliers de sa famille, adapté son business plan et étendu son empreinte géographique» – en persécutant les locataires pauvres et en exacerbant les inégalités raciales et socioéconomiques tout en exploitant simultanément les aubaines fiscales et les failles juridiques lucratives.
Sans surprise, ces structures inégalitaires se sont maintenues pendant la pandémie: les communautés pauvres et ouvrières étant particulièrement touchées, les Noirs mourant de manière disproportionnée.
Et tant que Kushner est autorisé à faire face à toute nouvelle crise dont il ne connaît absolument rien, il est à peu près l’équivalent d’un fléau contre l’humanité. (Article publié dans le magazine Jacobin en date 18 avril 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
Belén Fernández rédactrice en cheffe de Jacobin. Elle est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, Martyrs Never Die: Travels through South Lebanon (Verso, 2011) et, plus récemment, de Exile: Rejecting America and Finding the World (OR Books, 2019).
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