Venezuela. Elections et négociations. Le pouvoir et les élites    

Entretien avec Emiliano Terán Mantovani conduit par Elena Casaus et Eimeel Castillo

Le gouvernement vénézuélien s’assoit pour dialoguer et cherche à se libérer des sanctions économiques qui l’empêchent d’accéder à ses avoirs à l’étranger et de survivre à l’étranglement économique. La Plate-forme unitaire – formée dans la perspective des négociations se tenant à Mexico [elles sont suspendues: voir note 1] – cherche à revenir dans l’arène électorale afin d’accéder à des quotas de pouvoir partagés avec l’officialisme (le parti au pouvoir). Dans cet entretien avec le sociologue et chercheur vénézuélien Emiliano Terán Mantovani, nous retraçons l’origine de la crise et analysons la situation actuelle à la lumière des négociations entre le gouvernement et une partie de l’opposition vénézuélienne.

Peut-on dire qu’il y a une dictature au Venezuela?

Au-delà du débat sur ce qu’est une dictature aujourd’hui, dans le XXIe siècle mondialisé, et ce qui ne l’est pas – un débat que je crois nécessaire – il y a eu trop d’excès médiatiques, de propagande, de manichéisme et de frénésie autour du Venezuela. Mais éloignons-nous des généralisations médiatiques et essayons de regarder concrètement le profil du gouvernement actuel: il n’y a absolument aucune séparation des pouvoirs, et non seulement cela, mais les institutions ont été drastiquement dégradées, au même rythme que le pays dans son ensemble a souffert d’un délabrement dans cette crise.

Ce qui prévaut, c’est la loi du plus fort, la volonté des pouvoirs de fait liés à la bureaucratie d’Etat, au secteur militaire et à ceux qui font des affaires. La corruption est le principal mécanisme de distribution des excédents et de répartition dà partir du pouvoir d’en haut. Elle n’est plus déguisée par des protocoles démocratiques, tout est devenu autoritarisme et vol à ciel ouvert. Le système électoral a été totalement corrompu et les gens n’ont pas confiance dans le système électoral. Les décisions sont prises par la force, sans aucune consultation, et bien pire, avec des niveaux de secret qui ont augmenté avec le manque de données et de statistiques publiques, avec la déclaration d’états d’exception permanents depuis 2016 – qui fait que tout est géré comme dans une économie de guerre – et qui est couronné par la Ley Antibloqueo de 2020 [décret publié le 12 octobre 2020, puis loi ratifiée par l’Assemblée nationale constituante-ANC], qui légalise le secret dans les projets et les accords comme jamais auparavant [2].

Comme je l’ai mentionné, les protestations populaires ont été réprimées de manière de plus en plus violente, un schéma qui se répète dans tout le pays. Le rôle des différentes forces de sécurité, légales et parallèles, est crucial dans cette situation. Et l’impunité est totale et généralisée. Cette altération politique a pulvérisé l’Etat de droit, le fondement des droits qui protège la société.

Tout cela peut être corroboré non seulement par des acteurs institutionnels internationaux tels que le Bureau du HautCommissariat aux droits de l’homme de l’ONU, mais aussi par des organisations sociales du Venezuela, tant de l’opposition que pro-Chávez, ainsi que par le témoignage de personnes vivant dans des quartiers populaires, où des massacres ont été perpétrés par les forces de sécurité. C’est une connaissance partagée, tout à fait évidente. Même certaines déclarations de hauts fonctionnaires de l’Etat ont reconnu les «excès» des forces de sécurité. Récemment, le Procureur général [Tareek William Saab, nommé à ce poste en 2017 par l’ANC] a assumé la responsabilité de l’Etat vénézuélien dans la mort du conseiller municipal Fernando Albán [le 8 octobre 2018 Fernando Alban est tombé du 10e étage du bureau des services de renseignement à Caracas, quelques jours après avoir été arrêté] et de l’étudiant Juan Pablo Pernalete [tué le 26 avril 2017 lors d’une manifestation de l’opposition], ce qui est très grave. Il y a beaucoup d’intimidation dans la société pour critiquer et protester, et encore plus avec ladite «Loi contre la haine» [édictée le 8 novembre 2017] qui peut être utilisée contre beaucoup de personnes qui expriment des critiques frontales contre le pouvoir. Comment pouvons-nous appeler tout cela?

Il est vrai que le terme de dictature a été usé et abusé par un secteur ultraconservateur et de droite en Amérique latine, ainsi que par des médias aux orientations éditoriales très aigries et manipulatrices, pour établir un contraste plutôt hypocrite entre le régime vénézuélien actuel [de Maduro] et les «démocraties» de l’hémisphère. Mais des gouvernements comme ceux d’Iván Duque (Colombie), Sebastián Piñera (Chili) ou Jair Bolsonaro (Brésil), pour ne citer qu’eux, sont déplorables même s’ils maintiennent une façade institutionnelle. Ils sont répressifs, violents et corrompus. Toutefois, cela n’enlève rien au fait que l’évolution du régime de Maduro s’apparente aujourd’hui à une dictature. Cela a-t-il toujours été le cas? Je ne le pense pas. Les cinq premières années du processus bolivarien ont connu un niveau d’effervescence et de participation populaire très intéressant.

Les élections au Venezuela ont été gagnées proprement par Chávez [décédé le 5 mars 2013], son parti et son gouvernement. Tout a changé en 2015, après que le gouvernement national a été balayé lors des élections législatives de cette année-là, et que l’opposition a remporté deux tiers de l’Assemblée. Il semblait que la nuit tombait pour le gouvernement de Nicolás Maduro, qui avait failli perdre aux élections présidentielles face à Henrique Capriles en avril 2013. [Nicolás Maduro, président par intérim, obtient 50,61% des suffrages contre 49,12% à Henrique Capriles]. A partir de 2015, on a commencé à faire fi de cette instance électorale et de tout autre organisme échappant au contrôle du gouvernement national, et à mener une action autoritaire croissante, de plus en plus drastique et violente. Et j’insiste, cela est tombé même sur les dissidents du chavisme, aussi chavistes soient-ils.

Ce que l’on ne peut pas dire, en revanche, c’est qu’au Venezuela, le seul acteur politique en fonction est le gouvernement. Depuis l’arrivée de Chávez, il y a eu diverses formes d’interventionnisme, principalement de la part des Etats-Unis, avec des incidences variables, fortes dans les premières années de Chávez, qui ont ensuite diminué. Elles se sont intensifiées à nouveau avec Maduro. Avec l’administration Trump, c’est devenu très intense et grotesque. Plus que par des menaces d’invasion – qui à mon avis n’a jamais été une première option – les interventions se sont concrétisées par des sanctions internationales, qui ont eu un fort impact, et qui sont aussi des crimes contre l’humanité. Cependant, il est essentiel de dire que l’effondrement économique et social du Venezuela a commencé avant les sanctions internationales.

Les sanctions qui nous ont véritablement affectés en tant que pays sont celles appliquées depuis 2017, et principalement depuis 2019. Elles ont durement frappé PDVSA et concernent l’or vénézuélien [31 tonnes d’or stockées dans les coffres de la Banque d’Angleterre ne sont pas restituées au gouvernement de Maduro au nom de la reconnaissance de Juan Guaidó comme président par intérim; la Cour suprême britannique doit trancher dans les mois à venir]. Les sanctions ne sont pas la cause principale de la crise vénézuélienne. Les principales causes de l’effondrement national et du déclin chaviste se trouvent fondamentalement dans les facteurs internes du processus bolivarien.

Un autre élément qu’il convient d’ajouter est que l’interventionnisme n’est pas seulement celui des États-Unis: la Chine a joué un rôle important dans l’approfondissement de l’extractivisme et de l’endettement extérieur au Venezuela, et dans l’affaiblissement économique ultérieur du pays. Quant à la Russie elle a joué un rôle crucial dans la période de crise, lié aux conditions accordées à ses entreprises pétrolières et minières et à la vente d’armes au Venezuela. Nous pourrions également parler de la Colombie, de l’Iran, de la Turquie, de Cuba, entre autres. Ce que nous avons vécu au Venezuela a donc également été un conflit international.

Le gouvernement et certains secteurs de l’opposition ont tenu un cycle de négociations qui a abouti à des accords partiels. Quels ont été les points clés de ces négociations?

Comme cela a déjà été annoncé, cette nouvelle tentative de négociation en août 2021 a établi sept points dits «prioritaires», où le gouvernement a mis l’accent sur la cessation des sanctions internationales et la récupération des avoirs vénézuéliens à l’étranger – ce dernier point a fait l’objet d’un «accord partiel» en septembre –, tandis que l’opposition insiste sur la tenue d’élections libres et justes et sur le rétablissement des conditions d’impartialité et de garanties dans ces élections. D’autres éléments sont liés à l’égalité des droits politiques pour toutes les forces politiques, à la coexistence entre forces opposées et au rejet des moyens violents, ainsi qu’au respect de l’Etat de droit. Des mesures visant à «protéger» l’économie et le peuple vénézuélien ont été annoncées, ainsi que des garanties de respect de ces accords. L’autre «accord partiel» était celui de l’Essequibo, la région qui fait l’objet d’un différend historique avec nos voisins guyanais [Georgegown a porté l’affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ) en 2018; cette dernière s’est déclarée compétente en décembre 2020], qui est un autre ingrédient à ajouter à la soupe du conflit vénézuélien, et qui concerne également l’exploitation pétrolière [sur ce territoire de 159’000 km2 ont été découverts des champs pétroliers prometteurs].

Ces nouvelles négociations portent sur deux questions très sensibles: la première est la crise humanitaire dans le pays, qui a compromis les conditions de vie de millions de Vénézuéliens, sans parler des six autres millions d’émigrants. L’autre a été la possibilité d’un débordement du conflit politique, et donc la nécessité d’éviter de tels scénarios. Ces deux questions sont si sensibles pour la population et l’avenir du pays que cette négociation et d’autres pourraient contribuer à ouvrir des voies pour éviter de tomber dans des trous aussi profonds et sombres, et pour retrouver un certain espace pacifié pour la politique et la récupération de conditions de vie minimales. [Un point d’interrogation pèse sur le scénario qui s’ouvre suite à l’interruption des négociations à Mexico; une interrogation qui concerne aussi bien les choix du gouvernement que les rapports tendus entre Henrique Capriles inclus dans les négociations et Juan Guaidó qui cherchera à renforcer sa position.]

Mais la vérité est qu’il y a un revers de la médaille à ce processus de négociations. Les groupes dominants qui négocient sont essentiellement les élites politiques et économiques qui ont tourné le dos au pays, ce dont la population est bien consciente. Leurs intérêts économiques et politiques particuliers commandent leur attitude. En fait, bien que ces groupes aient été politiquement en conflit, ce que nous avons autour de la table est un grand consensus de vendus. Les politiques de libéralisation et de déréglementation du gouvernement Maduro sont saluées par divers acteurs de l’opposition et par des secteurs industriels. D’autres groupes qui ne sont pas autour de la table de négociation sont en colère parce qu’ils ne font pas directement partie des bénéficiaires de ces réformes néolibérales. Le néolibéralisme est donc un consensus politique des élites.

Une grande réforme néolibérale consensuelle, à laquelle participe également le capital transnational, pourrait favoriser certains indicateurs macroéconomiques, offrir une plus grande stabilité au capital et faire croître relativement le marché intérieur, en créant une illusion de richesse. Mais tout cela se ferait au prix de la vente du pays, avec un niveau élevé de dette extérieure et de privatisations, une grande dévastation environnementale, la précarisation des travailleurs travailleuses et la consolidation des inégalités sociales qui se sont intensifiées ces dernières années, ainsi que la non-résolution des problèmes fondamentaux et structurels.

Pour citer deux exemples: la crise a transformé le Venezuela en une grande maquiladora, un grand centre de main-d’œuvre bon marché, qui est en réalité très attrayant pour le capital international, pour ses investissements, et qui est légalisé de facto par les zones économiques spéciales et les mécanismes de protection du capital. De plus, les ressources naturelles du pays sont mises aux enchères, avec une grande facilité d’accès pour les investisseurs, au prix d’énormes niveaux de destruction environnementale et de dépossession territoriale.

C’est dans ce sens que les gens considèrent généralement ces négociations avec cynisme et scepticisme. En outre, la population n’oublie pas qu’au milieu du conflit entre le gouvernement et l’opposition, tous deux ont utilisé la population comme un instrument, et comme un dommage collatéral, plaçant avant tout la quête du pouvoir comme objectif principal.

Les négociations sont principalement axées sur la réforme économique et la récupération des canaux et des conditions de reproduction du capital. Les secteurs plus institutionnalistes tenteront de récupérer les bases institutionnelles, mais il y a toujours cet écart entre ces intérêts et ceux de la population, ce qui témoigne du réaménagement des contradictions politiques et sociales, opposant ceux d’en bas et ceux d’en haut. En plus des contradictions existantes entre les groupes de pouvoir. Et il est important de le souligner: le problème sous-jacent, celui qui est à l’origine de cette crise profonde, est loin d’être résolu, de sorte que la stabilité n’est pas vraiment quelque chose qui peut être garanti. Le jeu est donc encore très ouvert.

Les sanctions ont-elles été des mesures efficaces pour exercer une pression?

Les sanctions, notamment celles appliquées depuis 2017, ferment de manière drastique les canaux d’échanges économiques internationaux et les flux de financement. Les sanctions de 2019 ont considérablement contribué à l’étranglement de PDVSA, en proie à une débâcle progressive. Ces dernières années, la production pétrolière s’est fortement effondrée, pour atteindre 380 000 barils par jour en 2020, et puis suivre une tendance à la hausse et à la baisse autour d’un axe moyen de 500 000 barils. En d’autres termes, le Venezuela produit moins que la Colombie.

Bien entendu, cette situation a étouffé l’économie vénézuélienne et a eu des répercussions sur le gouvernement, qui a connu de graves problèmes de trésorerie, ce qui l’a conduit à recourir à des circuits commerciaux et financiers clandestins – d’où la controverse sur l’extraction illégale d’or, les transferts discrets de pétrole ou les hommes de paille internationaux pour diverses opérations à la marge. Il s’agit donc d’un facteur de pression politique indéniable.

Le fait est que les sanctions ont avant tout frappé la population. Le gouvernement a appris à gouverner dans ces conditions, à développer des mécanismes de contrôle social et politique dans cette situation précaire. La préservation du pouvoir prévaut sur la protection des droits de l’homme; il s’agit d’une sorte d’«externalisation» économique de la population. On a parlé des Clap [comités de distribution d’aliments], qui sont des mécanismes de distribution de nourriture organisés par le gouvernement, mais il est clair que cela relève de stratégies de contrôle politique, d’affiliation, de gestion de la précarité de la population. De plus, dans l’intervalle, le gouvernement a payé le service de la dette en temps voulu; la TVA a été facturée à la population mais les taxes ont été exemptées sur les importations et les capitaux étrangers. Les acteurs hyper-privilégiés de l’économie nationale ont pris appui sur de nouvelles entreprises et sur la croissance des secteurs privés (supermarchés, bodegas, casinos, sites touristiques, etc.).

Malheureusement, la crise humanitaire a été instrumentalisée, et cela inclut Guaidó et sa stratégie politique, ainsi que les acteurs internationaux, tels que le gouvernement des Etats-Unis et plusieurs gouvernements latino-américains alignés avec lui. C’est inacceptable, cela relève d’un crime contre l’humanité. La société ne peut pas être détenue comme un butin, qui est une logique de guerre.

Certains secteurs de l’opposition vénézuélienne ont appelé à l’abstention électorale en raison du manque de garanties. Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui? Quel est l’enjeu?

Ce qui se passe, c’est que n’a pas réussi la stratégie de Juan Guaidó [président autoproclamé du pays et reconnu par une soixantaine de pays, dont les Etats-Unis et la France] – qui consistait à pousser à l’effondrement par le biais de bouleversements économiques, insurrectionnels et internes et de la création d’un Etat parallèle. Entre-temps, le gouvernement s’est présenté seul [lors des élections législatives de décembre 2020] à de nouvelles élections et a réussi à tout conserver. Le débat sur la stratégie de l’opposition a oscillé entre la participation et la non-participation aux élections, entre légitimation et non-légitimation du gouvernement de Maduro. Il n’y a pas de consensus aujourd’hui, mais il est reconnu que la lutte doit être menée par le biais d’élections, et qu’elle doit être considérée comme un champ de bataille politique, avec toutes les complexités et contradictions que cela implique. L’idée qu’absolument rien ne peut être obtenue en dehors des structures institutionnelles s’est imposée.

Le gouvernement a présenté un nouveau Conseil national électoral qui a été bien accueilli par certains secteurs de l’opposition. Et les acteurs internationaux ont donné leur feu vert et ouvert la possibilité de la présence d’observateurs lors des élections. Certaines conditions ont donc rendu possible cette acceptation d’une plus grande participation des secteurs de l’opposition – ils représentent une bonne partie de l’opposition, mais pas toute l’opposition.

D’un point de vue pragmatique, cela représente la possibilité pour les secteurs d’opposition de gagner une part du pouvoir, en échange de la légitimation du régime actuel. Mais j’insiste sur le fait que l’arrière-plan de ces élections réside dans les tentatives de créer un cadre stable pour le capital et la grande restructuration économique néolibérale que le pays subit.

Trouvons-nous au Venezuela des alternatives ou des articulations politiques au-delà de la MUD [3] et du parti au pouvoir?

Il s’agit d’une question très importante, car au Venezuela, on a tendance à accorder trop d’attention à la dynamique des dirigeants politiques et aux conflits de partis, par contre on parle peu de ce qui se passe dans l’arène populaire. Comme je l’ai déjà dit, la société vénézuélienne n’est pas, à mon avis, une société démobilisée. Mais il est vrai que le mécontentement est assez fragmenté et discontinu. Il y a eu diverses formes de protestation, avec des intensités variables, mais avec un grand manque de convergence vers un projet alternatif, et une absence de formation de réseaux ou de larges plateformes de lutte politique. Comme je l’ai également mentionné, ce pays ne peut plus se fonctionner selon les mêmes codes politiques dominants de ces dernières décennies. Cela s’exprime à la fois dans un certain vide de références politiques et dans la reconfiguration, la réorganisation et la réorientation du camp populaire, un processus inégal, expérimental et incertain. Mais il me semble qu’il y a eu des indices que, de la base de la société, une autre politique pourrait émerger.

A cet égard, je citerai trois domaines: les protestations, l’organisation sociale et les bases des partis dissidents. Les premières n’ont pas aujourd’hui les caractéristiques des grandes mobilisations nationales de 2017, qui contestaient directement le pouvoir politique et le gouvernement Maduro. Il s’agit fondamentalement de micro-protestations territorialisées, principalement à propos des conditions de vie. Outre les protestations urbaines, cela inclut les luttes indigènes et paysannes. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles ont atteint un certain degré de simultanéité dans plusieurs Etats du pays, comme ce qui s’est passé en septembre 2020, où se sont profilées les manifestations dans l’Etat de Yaracuy [l’un des 23 Etats], qui mettaient en cause les directions politiques de toutes tendances. Ces mobilisations nous interpellent quant à la possibilité de l’émergence de nouveaux sujets politiques.

Quant aux organisations sociales, elles se reconfigurent selon des paramètres qui dépassent la polarisation oppositions-gouvernement. Elles répondent à des agendas renvoyant aux conditions de reproduction de la vie quotidienne, mais à des luttes féministes, environnementales, syndicales, paysannes et indigènes. Il y a beaucoup de gens qui font des choses, même s’il s’agit d’expériences dispersées, aujourd’hui interrompues par la nouvelle vague de la pandémie. Toutefois, ces mobilisations tracent des chemins qui vont dans le sens de la récupération du tissu social. Et, ce qui me semble le plus intéressant, du renforcement d’une culture des droits sociaux et environnementaux. Ce dernier point est fondamental à moyen et à long terme pour récupérer une perspective de lutte populaire. […] (Article publié sur le site Hora Cero, le 8 octobre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Emiliano Terán Mantovani est un sociologue de l’Université centrale du Venezuela, chercheur/activiste et écologiste politique, orienté vers les luttes contre l’extractivisme et pour la justice socio-environnementale en Amérique latine. Chercheur associé au Centre d’études du développement de l’Université centrale du Venezuela.

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[1] Le gouvernement Maduro a suspendu les pourparlers de Mexico après l’extradition d’Alex Saab aux Etats-Unis. L’homme d’affaires colombo-vénézuélien Alex Saab, âgé de 49 ans, avait été arrêté en juin 2020 au Cap-Vert, où son avion privé faisait escale. Il a été extradé, le samedi 16 octobre, vers les Etats-Unis. Il y sera jugé pour blanchiment d’argent. Le gouvernement de Nicolas Maduro a dénoncé «l’enlèvement» de son proche collaborateur. Maduro pensait pouvoir négocier, au moins jusqu’aux élections régionales du 21 novembre, le report de l’extradition d’Alex Saab. Cette négociation devait se faire avec José Maria Neves, du Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert (PAICV) et chef du gouvernement de 2001 à 2016, qui a été élu au premier tour avec une majorité absolue, le dimanche 17 octobre. Tout indique que les Etats-Unis ont mis la pression pour accélérer l’extradition qui s’est faite un jour avant cette échéance électorale.

Dès lors, quelques «soucis» se manifestent dans les cercles gouvernementaux étroits à Caracas, car Alex Saab n’était pas simplement un de ces nombreux hommes d’affaires corrompus, profitant des «avantages» offerts par des liens avec des membres du système «bolivarien». Les relations de Saab avec la famille de Celia Flores, la femme de Maduro, en font l’homme d’affaires «présumé» de la présidence. A cela s’ajoute la prochaine possible extradition de l’Espagne vers les Etats-Unis d’Hugo “El Pollo“ Carvajal qui semble au courant de diverses «opérations» concernant l’or, le pétrole et les achats d’armes avec des pays comme l’Iran, la Russie et la Turquie. Suite à diverses «révélations», il n’est pas impossible que les conseillers cubains du gouvernement suggèrent un relooking de la direction bolivarienne. (Réd.)

[2] La nouvelle loi passe outre les voies de recours légales, elle donne à Maduro une marge de manœuvre juridique et peu de comptes à rendre. Selon l’article 19 du texte, l’exécutif «procède à l’inapplication, pour des cas spécifiques, des normes de rang légal ou sub-légal dont l’application est impossible ou contre-productive si cela est nécessaire pour «surmonter les obstacles» ou «compenser les dommages» des sanctions. En outre, la loi accorde le caractère de «réservé, confidentiel ou à divulgation limitée» à tout «dossier, document, information, fait ou circonstance» que le président vénézuélien juge pertinent, interdisant ainsi l’accès à toute «documentation qui a été classée comme confidentielle ou réservée». (Réd.)

[3] Table de l’unité démocratique (MUD- Mesa de la Unidad Democrática), coalition politique fondée en 2010 réunissant un large éventail de partis, dont le centre de gravité est l’anti-chavisme. (Réd.)

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