Pérou. L’ex-président Castillo, incarcéré, est l’objet d’une procédure juridique et politique

Par Carlos Noriega (Lima)

Ce mardi 7 mars, une audience aura lieu afin de prendre connaissance de la réquisition du procureur pour une deuxième détention préventive contre Pedro Castillo. L’ancien président est emprisonné depuis le 7 décembre, pour 18 mois, sous l’accusation de rébellion suite à sa tentative ratée de dissoudre le Congrès. A cette occasion, le procureur demande trois ans de détention préventive pour corruption. Il est accusé d’avoir dirigé une organisation criminelle pour détourner des appels d’offres publics. Le ministère public l’accuse des délits d’organisation criminelle, de trafic d’influence et de collusion. Le procureur Uriel Terán a indiqué que, pour ces charges, l’ancien président pourrait être condamné à plus de 30 ans de prison.

Dans un entretien accordé à PáginaI12, l’avocat de Castillo dans ce procès pour corruption, Eduardo Pachas, a accusé le gouvernement de Dina Boluarte d’être à l’origine de cette nouvelle demande de détention préventive de Castillo [pour comprendre le contexte et le sens de l’élection à la présidence de Castillo, il est possible de consulter l’article de Pablo Stefanoni publié sur ce site le 14 juin 2021, sous onglet Pérou]. «Ce n’est pas une question juridique, c’est une question politique. Il y a un ordre de la dictature pour maintenir le président Castillo en prison», a-t-il déclaré. L’ancien président a sollicité devant les instances internationales que sa détention actuelle pour rébellion soit annulée, arguant que la procédure régulière n’a pas été respectée lors de sa destitution de la présidence et de son emprisonnement. Le président du Conseil des ministres [depuis le 21 décembre 2022], Alberto Otárola, a publiquement exigé que le Congrès et le ministère public «accélèrent» la procédure d’accusations de corruption afin d’émettre un ordre de détention préventive pour maintenir Castillo en prison au cas où la justice internationale lui donnerait raison en remettant en cause la légalité de son incarcération actuelle. Quelques jours après cette immixtion ouverte de l’exécutif dans la procédure judiciaire pour corruption visant Castillo, le Congrès a approuvé l’accusation de corruption, levant son immunité et le ministère public a demandé une détention préventive.

Le ministère public affirme que Castillo a organisé depuis son administration l’attribution de marchés publics en échange du versement de pots-de-vin. Il souligne qu’il opérait avec sa famille et son entourage politique. Sa femme, Lilia Paredes, qui bénéficie aujourd’hui de l’asile au Mexique, ses trois beaux-frères et ses neveux et nièces sont inclus dans l’acte d’accusation. La belle-sœur cadette de Castillo, Yenifer Paredes, que l’ancien président appelle «ma fille», a été placée en détention provisoire entre août et octobre de l’année dernière. Elle fait toujours l’objet de poursuites. Ses ministres des Transports et du Logement, Juan Silva et Geiner Alvarado, sont également inculpés. Ils ont de même été condamnés à une détention préventive d’une durée de trois ans. Juan Silva est en fuite depuis juillet de l’année dernière.

Trois procédures

Castillo est accusé dans trois procédures. L’une concerne un décret de son gouvernement visant à réaliser plus de cent travaux d’adduction d’eau et d’assainissement dans des villages pauvres, pour un montant total de 130 millions de dollars. La corruption aurait été présente dans certains de ces travaux. Or, les appels d’offres pour ces travaux ont été lancés par les municipalités et non par le pouvoir exécutif. La principale preuve de l’accusation est le témoignage de l’homme d’affaires Hugo Espino, qui affirme avoir versé un pot-de-vin de 228 000 soles (environ 60 000 dollars) au maire de la ville rurale d’Anguía – où Castillo a vécu jusqu’à ce qu’il devienne président – pour un projet de 3 millions de soles (790 000 dollars), et avoir négocié l’opération avec la femme et la belle-sœur de Castillo, qui travaillaient pour son entreprise. A la suite de cette déclaration, la détention provisoire d’Espino a été levée. L’acte d’accusation du procureur indique que Castillo est un ami du maire d’Anguía, José Medina, qui est détenu.

Une deuxième procédure repose sur la déclaration de Karelim López, une femme d’affaires et lobbyiste accusée de corruption, selon laquelle le consortium de construction auquel elle était liée a remporté l’appel d’offres pour la construction d’un pont pour 58 millions de dollars après avoir versé un dessous-de-table à Castillo. Ce contrat a été annulé à la suite de cette allégation. Karelim López négocie des faveurs judiciaires en échange de son témoignage contre Castillo.

La troisième procédure concerne l’achat de carburant pour 74 millions de dollars par la compagnie pétrolière d’Etat Petro Perú à la société Heaven Petroleum Operation (HPO). Un complice de l’accusation affirme que Castillo a reçu un pot-de-vin de 2 millions de soles (523 000 dollars) du propriétaire de HPO, Samir Abudayeh, afin que son entreprise remporte l’appel d’offres. Lorsque la plainte a été déposée, l’appel d’offres a été annulé. Un nouvel appel d’offres a été lancé et HPO a de nouveau gagné.

«Le procureur cite des témoignages qui n’ont pas été corroborés, il n’y a aucune preuve», nous a déclaré l’avocat de Castillo. Concernant le décret du gouvernement [adduction d’eau] et les travaux municipaux, il a répondu: «Si des travaux n’ont pas été réalisés, qu’on enquête, mais dire qu’en publiant un décret pour faciliter la réalisation de travaux par les municipalités il y a là une implication criminelle, c’est absurde.» A l’époque, ce décret n’a pas été examiné par le Congrès. L’homme d’affaires Hugo Espino ne mentionne jamais le président Castillo lorsqu’il parle d’un présumé pot-de-vin. Sa belle-sœur est accusée, son beau-frère aussi, ils ont déjà témoigné, mais Castillo n’est pas impliqué.»

Dans le cas de l’accusation pour la construction du pont, l’avocat a indiqué que bien que ces travaux aient été effectués pendant le gouvernement de Castillo, le processus d’appel d’offres a été initié pendant le gouvernement de Francisco Sagasti [novembre 2020-juillet 2021] et que ce gouvernement a nommé les fonctionnaires qui ont décidé de cette question. «Le procureur dit que Castillo a nommé des fonctionnaires pour piloter les appels d’offres, mais il n’a pas nommé les fonctionnaires qui ont lancé l’appel d’offres.»

Concernant l’achat de carburant, Eduardo Pachas a admis que Castillo a rencontré l’homme d’affaires qui en a bénéficié, mais a souligné qu’ils n’ont pas parlé de cette question mais d’un projet d’une plantation de palmiers à huile. «Il l’a reçu comme il en a reçu beaucoup d’autres, ils ne sont pas amis.» Pachas concentre sa défense sur le fait qu’il n’y a aucune preuve de la destination des 2 millions qui, selon l’accusation, ont été versés comme pot-de-vin. L’homme d’affaires Samir Abudayeh a dû retirer ces 2 millions de soles d’un compte bancaire, ou de son entreprise, mais il n’y a aucune information sur la sortie de cet argent. Il n’y a pas non plus de preuve que Castillo ait reçu cette somme.

Eduardo Pachas remet en question la demande d’une deuxième détention préventive alors qu’il y en a déjà une en vigueur. «Si Castillo est déjà en prison, quel est le danger en matière de procédure, il n’y a pas de danger de fuite. Je ne connais pas de précédent où quelqu’un est condamné à deux détentions préventives simultanées.» (Article publié dans le quotidien argentin Pagina/12, le 7 mars 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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