Nicaragua. Quelques réflexions sur la crise de la dictature

Par Dora María Téllez

La durée maximale du régime Ortega était fixée, officiellement, à mars 2021 [dans le cadre du «dialogue national» a été proposée la date de mars 2019 pour la tenue d’élections anticipées; cette date a été adoptée par l’OEA]. Or, nous voulons qu’il parte tout de suite. La durée minimale de son régime dépend de nous tous.

Cette étape de la lutte contre la dictature d’Ortega, qui a débuté le 18 avril 2018, est caractérisée par son caractère civique, sa massivité et sa volonté d’obtenir la liberté pour tous les Nicaraguayens.

Face à la riposte puissante et mortelle de la dictature, les premiers jours de la protestation ont conflué avant tout vers l’exigence de justice, le refus de l’impunité, la condamnation des criminels et de leurs responsables matériels et intellectuels.

Sous les emblèmes de justice et de démocratie, nous avons progressé dans une lutte inégale, faisant appel à différents types de lutte civique. Nous sommes descendus dans la rue dans ce qui a été les plus grandes mobilisations de l’histoire, nous avons dressé des piquets et reconquis des espaces publics, nous avons érigé des tranques [barrages] et des barricades pour l’autodéfense des quartiers et des villes, nous avons entièrement paralysé le pays et fermé nos portes à la dictature, nous nous sommes assis à la table des négociations pour commencer un dialogue afin d’abréger le chemin en direction de nos objectifs, en tant que peuple.

Dans le même temps, la réponse de la famille Ortega-Murillo a été celle de la répression à tous les niveaux: utilisation de la police comme instrument [de la répression], descentes dans les rues de paramilitaires armés, semant terreur et chaos, faisant des rafles massives, torturant des prisonniers et faisant disparaître des dizaines de personnes, brûlant des maisons, des commerces et des bureaux gouvernementaux, se saisissant de terres, instaurant une situation d’incertitude complète et d’instabilité.

Face à cette situation, nous exigeons en priorité l’arrêt de la répression et l’intervention d’organismes internationaux des droits humains en ce sens.

C’est ainsi que nous sommes parvenus à ce que le régime ouvre la porte à la venue de la CIDH [Commission interaméricaine des droits humains], dont le rapport a mis à nu le caractère brutal de la répression ainsi que ses responsables matériels et intellectuels.

C’est ainsi que nous sommes parvenus à ce qu’une enquête internationale sur les crimes commis soit ouverte, en sachant bien que «l’orteguisme» ne conduira jamais une enquête contre lui.

Cette délégation est déjà présente, ici, composée de personnes capables, dont l’expérience et l’intégrité sont reconnues et, comme ils l’ont affirmé clairement, leur engagement principal est dirigé en direction des victimes.

Le rapport de la CIDH, qui a été rendu possible grâce aux milliers de Nicaraguayens qui se sont précipités pour déposer plainte, a été crucial pour isoler internationalement le régime Ortega.

La répression n’a pas été freinée, mais la volonté répressive d’Ortega est contenue.

Il est toujours plus difficile à «l’orteguisme» de semer la terreur, d’assassiner des Nicaraguayens et de capturer des jeunes.

Nous sommes parvenus à faire en sorte qu’il y ait chaque jour moins d’assassinats dans le pays. Nous frappons aux portes de toutes les prisons pour sauver la vie des gamins et des adultes qui y sont séquestrés.

Nous voulons que les bandes de paramilitaires soient démantelées et désarmées. C’est ce à quoi nous aspirons. Et nous y arriverons, sans aucun doute. Ce moment s’approche.

Nous nous sommes engagés, dès le début, dans la lutte civique avec ardeur; chaque vie fauchée et blessée, chaque heure, chaque jour, nous fait profondément souffrir. C’est ainsi et cela restera ainsi. La mémoire est essentielle pour éviter une répétition. Et ce qui s’est passé, ce qui se passe, ne doit pas continuer à se passer.

Maintenant, nous sommes accablés et inquiets. Nous voulons abréger le chemin vers la justice et la liberté. Il semble, parfois, que nous n’avançons pas. Mais, en réalité, nous l’avons fait. Voyons le chemin déjà parcouru:

a) Le régime Ortega est complètement isolé au niveau international. Le Conseil permanent de l’OEA [Organisation des Etats d’Amérique] se réunira dans les prochains jours et Ortega devra rendre des comptes au sujet de la mise en œuvre des 15 recommandations de la CIDH ainsi que sur la date de convocation d’élections anticipées.

b) «L’orteguisme» est isolé dans le pays. Il compte uniquement sur un groupe d’inconditionnels, lesquels ont été compromis dans les crimes.

Ortega n’est désormais plus suivi par les militants du FSLN, qui se sont distanciés de lui en raison de la répression et d’innombrables abus.

c) Toutes les tentatives d’Ortega pour impliquer l’armée dans la répression ont échoué. L’institution n’a pas participé aux actions répressives, bien que l’on ait vu des soldats portant l’uniforme de la police. Les Nicaraguayens espèrent encore qu’elle participera au désarmement des forces armées paramilitaires. Ils ne l’ont pas fait, mais ils devraient le faire.

«L’orteguisme» s’est limité à la terreur, mais la terreur ne lui fera pas gagner du terrain, il ne pourra pas non vaincre le peuple.

La durée maximale du régime Ortega est déjà déterminée.

Cela a été établi clairement lors de la réunion de l’OEA. Il y aura des élections anticipées et elles auront lieu, au plus tard, en mars 2019.

C’est l’espérance de vie maximale de ce régime. Chaque jour qui passe, elle se réduit.

10° Nous voulons qu’Ortega parte maintenant! Et nous y arriverons.

La durée minimale du régime dépend de nous toutes et tous.

De ce que nous continuons à nous mobiliser avec ardeur et détermination, par des marches et des piquets, en érigeant des tranques et des barricades, en tenant des veilles, en faisant des grèves partielles et bien d’autres actions.

Nous continuons d’avancer tout en empêchant que le régime nous vole l’espérance et la volonté de marcher ensemble.

11° Nous voulons, toutes et tous, qu’il n’y ait pas d’autres morts, d’autres blessés, d’autres personnes arrêtées. Mais cela ne dépend pas de nous, cela dépend du régime dont nous lions peu à peu les mains.

Nous voulons toutes et tous des actions toujours plus décisives. Il nous semble qu’une grève nationale pourrait résoudre et abréger le chemin [elle est fixée par l’opposition au 13 juillet, avec le 12 juillet une manifestation, une marche à Managua].

Une grève est désirable, car c’est une forme de protestation forte; elle permet la participation de tous les habitants du pays.

Nous devons la préparer. Les employeurs n’ont pas pour tâche de préparer une grève, cela nous revient à nous tous.

Mais la grève est une forme supplémentaire de protestation, ce n’est pas une solution magique, c’est une protestation supplémentaire que nous devons utiliser en liaison avec d’autres mesures.

12° La défaite d’Ortega est assurée et nous l’obtiendrons définitivement grâce à la volonté de tous les Nicaraguayens.

  • Montrons et rappelons à «l’orteguisme» qu’il est battu.
  • Poursuivons la protestation civique, sous toutes ses formes.
  • Continuons d’isoler Ortega sur le plan national.
  • Continuons d’isoler Ortega au niveau international. Faisons pression en faveur d’une résolution plus décisive de l’OEA.
  • Soutenons encore le travail de la mission de la CIDH visant à contenir la répression ainsi que du Groupe d’enquête afin d’identifier les criminels et que justice soit rendue.
  • Continuons à faire en sorte de démasquer Ortega lors du dialogue national.
  • Organisons-nous mieux dans chaque quartier, dans chaque commune, dans chaque région. Battons-nous pour l’autodéfense, pour la mobilisation.
  • Toutes les actions sont décisives. Chacune nous assure du triomphe.

(Texte publié le 5 juillet sur le site confidencial.com.ni; traduction A L’Encontre)

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Dora María Téllez (1955) a étudié la médecine avant de rejoindre les rangs du FSLN (Front sandiniste de libération nationale); elle faisait partie du courant dit «terceriste», insurrectionnaliste, animé entre autres par les frères Ortega Elle dirigea la prise de la ville de Léon, la première ville aussi importante «enlevée» au régime de Somoza, en juin 1979. Durant la première administration sandiniste, elle occupa le ministère de la Santé, jusqu’en 1990. En 1995, conjointement à d’autres personnalités du FSLN (Sergio Ramirez, Henry Ruiz, par la suite Victor Hugo Tinoco, etc.), suite à un débat interne, elle participa à la fondation du Mouvement Rénovateur Sandiniste qui se revendiquait des «valeurs authentiques du sandinisme, de la démocratie et de la justice sociale»; 1995 est une date symbolique, car c’était le centenaire de la naissance de Sandino (1895-1934). Daniel Ortega a rendu illégal le MRS, en 2007 (Ortega fut élu en fin 2006 et entra en fonction en janvier 2007). Dora María Téllez a fait une grève de la faim contre cette interdiction, mettant sa vie en danger. Par la suite, elle a accompli une œuvre d’historienne de la société du Nicaragua. L’administration des Etats-Unis émit une interdiction à son égard de séjourner aux Etats-Unis. Elle avait été invitée à occuper un poste dans le département des Etudes latino-américaines d’Harvard. En effet, elle était cataloguée comme «terroriste» étant donné son combat contre le régime dictatorial de Somoza! (Réd. A l’Encontre)

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