Nicaragua. Les votes nuls confirment la farce de la réélection de Daniel Ortega

Par Daniel Lizárraga

Alors qu’à l’intérieur et à l’extérieur du Nicaragua, diverses voix allant des médias, aux gouvernements, en passant par des activistes et des citoyens en exil appelaient à boycotter les élections présidentielles du dimanche 7 novembre, une «foule» de 155’854 personnes a pris une autre direction en se rendant aux urnes, sans tapage ni manifestation, pour annuler ses bulletins de vote. Ce mouvement, qui n’a pas de leaders, est arrivé en troisième position, sans être détecté par les centaines de policiers et de paramilitaires qui étaient à l’affût des «non-conformistes».

Alors que Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo [vice-présidente] se préparent à célébrer une troisième réélection présidentielle [Ortega a été président de 1985 à 1990, réélu en 2011 et 2016 et 2021] qui les maintiendra au pouvoir jusqu’en 2027, le nombre de votes nuls au Nicaragua s’est hissé au troisième rang, dépassant de loin quatre des cinq partis collaborationnistes qui ont participé aux élections de dimanche dernier. Une sorte de protestation silencieuse de personnes qui se sont mobilisées au sein des bureaux de vote et ont annulé leur vote sur leur bulletin de vote.

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Sans représentants de l’opposition ni campagnes publiques contre le régime Ortega-Murillo, les votes nuls ont atteint 155’854, seulement dépassés par les 372 648 voix du Parti libéral constitutionnaliste (PLC) dont le candidat était Walter Espinoza et par l’alliance commandée par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) avec 2’100’322 bulletins en leur faveur.

Une base de données compilée par El Faro à partir des résultats préliminaires du Conseil suprême électoral (CSE) montre que les votes nuls l’emportaient sur quatre partis collaborationnistes: Camino Cristiano Nicaragüense (CNN), Alianza Liberal Nicaragüense, Alianza por la República (APRE) et Partido Liberal Independiente (PLI).

Lors de l’élection présidentielle remportée par l’alliance du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), le taux de participation a été de 65,25% sur le corps électoral de 4’478’334 personnes, selon les chiffres officiels. Toutefois, l’Observatorio Ciudadano Urnas Abiertas a indiqué que le taux d’abstention était de 81%. [Il précise: «les 1450 observateurs volontaires ont détecté une

«une participation des citoyens variant entre un minimum de 16% et un maximum de 21%, la moyenne nationale étant de 18,5. Ligia Gómez, porte-parole d’Urnas Abiertas, a rappelé que lors des élections de 2011 et 2016, les taux d’abstention étaient respectivement de 45% et 72%» Confidencial, 7 novembre 2021]

Les résultats ont été fortement remis en question au plan international avant même que les premiers chiffres préliminaires ne soient publiés tôt lundi matin. Le président des Etats-Unis, Joe Biden, a qualifié la réélection de Daniel Ortega de «pantomime», tandis que le gouvernement costaricain a condamné les élections pour de graves violations des droits des citoyens. Le Chili, pour sa part, a publié un communiqué dans lequel il avertit que les irrégularités ont déjà été dénoncées par l’Union européenne et à par d’autres pays.

Après la confirmation officielle de la victoire sandiniste avec 75% des voix, qui lui ouvrait la voie à un quatrième mandat, d’autres pays ont également ignoré les résultats: le Royaume-Uni, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège et la Suède. Le régime nicaraguayen a immédiatement reçu le soutien des gouvernements de Cuba, du Venezuela et de l’Iran [1].

Daniel Ortega, dans un message diffusé à la télévision nationale quelques heures après le début des déclarations internationales, s’est exclamé: «Somoza est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute. Mais ceux qui sont emprisonnés là-bas sont les fils de pute des impérialistes yankees. Ils devraient être emmenés aux Etats-Unis! Ils ne sont pas Nicaraguayens! Ils ont cessé de l’être depuis longtemps! Ils n’ont pas de pays!» [2]

Pendant la journée électorale de dimanche, le gouvernement sandiniste a diffusé des messages de réassurance à la population sur les chaînes de télévision officielles. Les animateurs et les producteurs ont pris soin de montrer qu’il y avait une forte participation dans les bureaux de vote.

Les citoyens ont répondu, mais par des votes nuls, un aspect négligé par le récit officiel. Dans 14 des 15 départements du Nicaragua, les personnes qui ont choisi d’invalider leur bulletin de vote ont devancé en nombre quatre des cinq partis collaborationnistes. Ce n’est qu’à Río San Juan [département le moins peuplé du pays] qu’ils sont restés à la traîne.

Dans la capitale, Managua, 43 290 votes nuls ont été enregistrés, devant les 27 810 pour le CNN et les 26 346 de l’ALN. Mais pas seulement, ils sont trois fois plus nombreux que ceux d’APRE, 15 610, et du PLI, 13 952. Les votes nuls confirment la farce de la réélection de Daniel Ortega.

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Entre vendredi et dimanche, 21 personnes ont été arrêtées dans neuf départements, selon l’Observatorio Ciudadano Urnas Abiertas. Pendant ce temps, des groupes de policiers motorisés et de paramilitaires ont enregistré des vidéos et pris des photos des déplacements de la population. Des reporters de médias tels que le Washington Post, le Wall Street Journal, Le Monde, la BBC et TVE ont été bloqués à la frontière avec le Costa Rica. Les seuls observateurs étrangers accrédités pour couvrir les élections étaient des équipes liées à des gouvernements pro-Ortega: le Venezuela et Cuba.

Silvio Báez, l’évêque auxiliaire de Managua [conservateur], en exil aux Etats-Unis, a prononcé un sermon dans la cathédrale de Washington dimanche, affirmant que les sombres ambitions de pouvoir ont brisé son pays. Cependant, «(…) aujourd’hui n’est pas la fin de l’histoire du Nicaragua. Aujourd’hui n’est pas la fin, mais le début d’une nouvelle étape pleine de défis et d’espoirs. Plein de défis et d’engagements, d’unité et de générosité. Il y a beaucoup à faire, mais ne nous sentons pas dépassés. Nous ne devons pas perdre espoir, nous devons regarder vers l’avenir sans nous décourager. Nous ne pouvons pas permettre à un pouvoir autoritaire de décider pour l’ensemble de la société (…)».

Il ne pouvait pas le savoir à ce moment, mais 155 000 personnes au Nicaragua se sont rendues aux urnes pour voter nul, témoignant du peu de moyens dont elles disposaient, du manque de soutien et, surtout, de leur mécontentement face à la réélection de Daniel Ortega et Rosario Murillo.» (Article publié par El Faro le 9 novembre 2021, diffusé par Correspondencia de Prensa, traduction par rédaction A l’Encontre)

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[1] Selon la Fohla de São Paulo du 10 novembre, le secrétaire des Relations extérieures du Parti des Travailleurs (PT), Romenio Pereira, a publié un texte indiquant que la victoire du FSLN confirmait «la victoire d’un projet politique qui avait comme principal objectif la construction d’un pays socialement juste et égalitaire». Cela a suscité une réaction d’un Collectif de Nicaraguayens au Brésil qui s’est adressé à la présidente du PT, Gleisi Hoffmann, et à l’ex-président Lula. Gleisi Hoffmann a affirmé qu’un tel texte, selon les règles en vigueur dans le PT, n’était pas soumis avant publication à la direction du parti, tout en prenant une position vague sur le principe de «non-ingérence de puissances étrangères» dans un processus électoral. Lula, dans un entretien donné à Sabrina Berman de la chaîne mexicaine Canal Onze – reproduit partiellement par la Fohla de São Paulo –, avait déclaré: «Si je pouvais donner un conseil à Daniel Ortega, je le donnerais à lui et à tout autre président. Ne renoncez pas à la démocratie. Ne cessez pas de défendre la liberté de presse, de communication, d’expression, car c’est ce qui favorise la démocratie.» (Réd.)

[2] Le président américain Franklin D. Roosevelt aurait fait remarquer, en 1939, que «Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute.» (Réd.)

 

 

 

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