Nicaragua. Les travailleurs de Nestlé dénoncent les mauvaises conditions de travail

0.1370398758Par Lina Karlsson

Les fonds de pension suédois ont des investissements dans la compagnie suisse Nestlé. Dans l’usine Nestlé au Nicaragua les travailleurs parlent de leurs bas salaires et des troubles musculo-squelettiques et respiratoires dont ils souffrent.

L’autobus s’arrête brusquement. Après deux heures et demie de voyage depuis Managua, la capitale du Nicaragua, nous entrons à Matagalpa. L’air est frais et la température n’est que de 27°. Matagalpa est une ville montagneuse au nord du pays, connue entre autres par ses domaines caféiers. C’est également ici qu’est située la fabrique de Nestlé, qui emploie 270 personnes qui travaillent dans la production de café et de produits laitiers.

Félix Rizo, secrétaire général du syndicat de Nestlé SINPROLAC, me salue d’une poignée de main. Neuf personnes sont assises à la table du local syndical. Trois d’entre elles travaillent au syndicat et les autres sont des travailleurs de la fabrique souffrant de problèmes de santé.

D’après Félix Rizo, 42 travailleurs de cette fabrique ont des problèmes de santé. Certains ont mal au dos, aux mains ou aux coudes, d’autres ont des problèmes respiratoires. Il s’agit notamment de lésions en rapport avec le travail, causées par les mouvements répétitifs, explique-t-il.

La journée de travail habituelle commence à sept heures du matin, et les personnes restent ensuite debout ou assises devant la même machine pendant huit heures.

Son collègue, Osman Salgado, employé du syndicat qui s’occupe des questions liées au travail, explique: «Ils font constamment des mouvements répétitifs. Par exemple, certains travailleurs doivent soulever quatre sacs de lait en poudre par minute, sacs qui pèsent 25 kg chacun.»

Problèmes d’asthme

Evelin Z.A a des problèmes respiratoires. Elle travaille dans cette fabrique depuis six ans et a développé de l’asthme: «Chaque changement de température, ainsi que la poussière de café moulu m’affectent. Dernièrement j’ai eu une bronchite, qui a été diagnostiquée par un médecin spécialiste, mais lorsque je me suis rendue auprès du médecin de l’entreprise, il m’a dit que je n’avais qu’une grippe.»

Selon Evelin, il arrive couramment qu’on ne croie pas les travailleurs de l’usine lorsqu’ils disent être malades: «Il y a une année, ils sont venus un dimanche fumiger la fabrique, alors qu’ils savaient qu’on s’y trouvait en train de travailler. Moi-même et plusieurs autres personnes avons commencé à nous sentir mal, j’ai même eu des vomissements. Mais les responsables nous ont traités de menteurs.»

Marilén Zeledon Torrez, assise à côté d’Evelin. Marilén,  est enceinte, et comme Evelin, elle a eu des problèmes de santé depuis qu’elle a commencé à travailler à Nestlé.

Il a dû se faire opérer à cause de douleurs

Levi Enrique Granado Blandon a commencé à travailler à Nestlé en 2007. Il y a trois mois il a commencé à sentir une douleur dans l’épaule à cause des mouvements répétitifs. Il a eu mal pendant une semaine, puis sa main s’est enflammée et il s’est rendu chez le médecin: «Il m’a envoyé chez une orthopédiste, et finalement j’ai été opéré.» Le coût de l’opération n’a pas été couvert par Nestlé, et Levi dit qu’il a encore très mal. «Le médecin dit que je vais bien maintenant et que je peux travailler, mais je sens bien que c’est trop tôt», ajoute-t-il.

Son collègue, Francisco Javier Estrada travaille également dans la fabrique depuis environ six ans. Il y a six mois il a dû se faire opérer pour des problèmes d’épaule. «Maintenant je peux revenir travailler, mais avec des restrictions. Je ne devrais pas rester debout pendant huit heures d’affilée, mais les conditions de la fabrique ne laissent aucune autre option», explique-t-il.

Il est difficile de vivre avec de tels salaires

Félix Rizo évoque un autre problème de Nestlé: les bas salaires. Le salaire initial est de 4500 córdobas [environ 168 CHS]. En mars de cette année on a estimé le coût du panier de base nicaraguayen à 10’784 córdobas [environ 403 CHS]. Or, le salaire versé par Nestlé à ces travailleurs ne couvre que la moitié de cette somme. En comparaison, selon les chiffres du Rapport annuel de la Banque centrale du Nicaragua, le salaire moyen du pays était en 2012 de 7188 [environ 269 CHS] córdobas.

Les fonds suédois ont des investissements

Les travailleurs du Nicaragua ne sont pas les seuls à avoir critiqué Nestlé: l’entreprise a également subi des reproches au niveau international. Depuis la fin des années 1970, les produits laitiers de la compagnie ont été boycottés parce que Nestlé commercialisait ces produits dans des pays en voie de développement où les populations n’ont pas accès à de l’eau potable. Nestlé a également été incriminé par des ex-enfants travailleurs de plantations de cacao au Mali [1].

Malgré cela, les fonds de pension suédois maintiennent leurs investissements dans Nestlé. Selon les normes en vigueur, les fonds devraient tenir compte des questions environnementales et éthiques, mais uniquement si celles-ci mettent en danger leur rendement. La mission du Conseil d’éthique des fonds est d’agir pour que les entreprises suivent ce type de directives et s’engagent dans du commerce responsable.

Lorsque le Conseil d’éthique a été informé des conditions de travail à Nestlé à Matagalpa et qu’on leur a demandé comment ils voyaient la situation, ils m’ont remercié pour les informations, mais ont répondu qu’ils recevaient «une grande quantité d’informations en provenance du monde entier» et que pour cette raison ils utilisaient un modèle pour gérer ce flux et fixer les priorités pour focaliser leurs ressources.

Le modèle auquel se réfère le représentant du Conseil d’éthique comporte plusieurs étapes. La première est le monitorage des entreprises. Une fois identifié un potentiel de violation (aux normes, aux règles, etc.), un bilan approfondi de l’information est effectué avant de prendre une décision sur l’opportunité d’initier un dialogue avec l’entreprise incriminée.

Les fonds de pension suédois n’ont noué aucun dialogue avec Nestlé pour améliorer la situation actuelle.

Des changements cosmétiques

Une année a déjà passé depuis que le syndicat SINPROLAC a réalisé une série d’ateliers de formation sur le taux élevé de lésions dû aux mouvements répétitifs et de problèmes respiratoires. D’après un article publié par la Rel-UITA [Regional Latinoamericana de la UITA –Union internationale des travailleurs de l’alimentaire], Valentina Méndez, de l’inspection du travail de Matagalpa, a confirmé qu’il y a eu des cas d’abus contre les travailleurs. «Depuis ce cas, j’ai perdu mon travail», dit Félix Rizo.

Selon Rizo, beaucoup de changements effectués par Nestlé ne sont que cosmétiques. Lorsque je lui demande si son poste peut être menacé lorsque mon article sera publié en espagnol, il me répond: «Oui», avant d’ajouter: «Nous sommes ouverts au dialogue. Si Nestlé envoie quelqu’un pour dialoguer, nous l’accueillons à bras ouverts.»

Nestlé affirme que l’entreprise respecte les normes

Après m’être rendu à Matagalpa j’ai pris contact avec Alejandro Pereira, gérant général de Nestlé au Nicaragua, pour évoquer les conditions dans la fabrique. J’essaie de savoir comment ils évaluent la situation. A son avis, le salaire est au-dessus de la moyenne du secteur. «Nous surveillons constamment les salaires du marché et nous effectuons des révisions et des adaptations annuelles», dit-il.

Il a très longtemps que des travailleurs témoignent sur des problèmes de santé qui se développent dans la fabrique, mais Nestlé continue à affirmer que l’entreprise respecte les conditions de travail appropriées. «Nous faisons constamment l’objet d’audits de la part des entités gouvernementales et de l’Audit interne pour vérifier que nous respectons toutes ces conditions. Nous sommes toujours en ordre», conclut Alejandro Pereira. (Traduction A l’Encontre)

[1] On peut voir quelques exemples: Nestle Critics, ILRF UpdateMarch 2009: Nestlé and Child Labor in the Cocoa Industry, 12/03/09; Knut KainzRogneru, Bröstmjölks nespresso får hård kritik, SVT Nyheter, 14/12/12; International rights advocates, Nestle, Archer Daniels Midland, and Cargill, 01/02/2006; Green Peace, Nestlé and palm oil.

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Lina Karlsson est communicatrice. Correspondante pour l’Amérique centrale de Solidaridad Suecia-América Latina (SAL), dont le siège est à Managua, et collaboratrice d’Alba Sud.

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PS: A l’autre bout de la chaîne, Nestlé non seulement tend à monopoliser l’eau potable sous forme de bouteilles et de bonbonnes, mais influence même le classement des meilleurs restaurants du monde, comme l’a expliqué le vendredi 7 juin Philippe Meyer sur France Culture: «Il y a quelques semaines nous avons pu découvrir un classement des 50 meilleurs restaurants du monde. On peut légitimement se demander comment diable ce classement a pu être établi, dans quelles conditions d’impartialité et notamment si les notateurs sont restés anonymes et s’ils ont payé leur voyage et leur addition. Mon confrère Périco Légasse s’est certainement posé ces questions, mais il en a également soulevé que nul ne semblait avoir vu. Et d’abord ce classement est subventionné par Nestlé et met en valeur les chefs qui utilisent les nouvelles technologies et des additifs chimiques mis au point par cette firme multinationale. Ensuite, je dirais même surtout, plusieurs des restaurants en tête de ce classement pourraient figurer en tête d’un palmarès plus objectif, celui des intoxications alimentaires: 63 clients hospitalisés en un seul service pour l’un, 529 clients envoyés à l’hôpital pour l’autre, d’où l’utilité de connaître le classement de ces hôpitaux. Si on publie un palmarès des journalistes, je vois bien quelle place pourraient occuper ceux de mes confrères qui ont relayé ce classement des 50 meilleurs restaurants sans aller y courir les risques qu’ils ont fait prendre à leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs spectateurs.» (Réd. A l’Encontre)

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