Par Carlos Fernando Chamorro
Daniel Ortega a achevé 16 ans de pouvoir le 10 janvier 2023: d’abord, à la tête d’un régime autoritaire (2007-2017); ensuite, en tant que dictature familiale [Daniel Ortega, Rosario Murillo] sanglante (2018-2020); et les deux dernières années (2021-2022), en tant que dictature totalitaire. Au XXe siècle, pendant la décennie de la révolution sandiniste, Ortega a été coordonnateur de la Junta de Gobierno de Reconstrucción Nacional (1979-1984) et président du gouvernement révolutionnaire (1985-1990).
Daniel Ortega a contrôlé l’exécutif, l’armée et la police pendant 27 ans au cours de ses deux mandats. Sa longévité au pouvoir a dépassé celle d’Anastasio Somoza de presque 17 ans (1937-1947 et 1950-1956). Il tente maintenant de se pérenniser au pouvoir par une succession dynastique. Cependant, bien que Rosario Murillo, son épouse, soit placée dans la ligne de succession constitutionnelle en tant que vice-présidente, la succession du régime familial, source de fissures, de tensions et de contradictions, est l’un des maillons les plus faibles de la dictature.
Contrairement aux régimes de Cuba et du Venezuela, qui reposent sur un projet politique autoritaire de type parti-Etat et qui ont réussi à transférer le pouvoir de Fidel Castro à Raúl Castro et Miguel Díaz-Canel à Cuba, et de Hugo Chávez à Nicolás Maduro au Venezuela, le régime d’Ortega et Murillo est une dictature familiale, un anachronisme au XXIe siècle, qui, sans faire appel à un projet politique ou à une idéologie, prend appui de plus en plus sur la répression, le culte de la personnalité des «comandante et compañera», ainsi que leur discours de haine et de vengeance.
La plupart des gouvernements latino-américains et européens, notamment la gauche démocratique, ont noté une distinction entre le régime Ortega-Murillo et ceux de Cuba et du Venezuela. Le premier est considéré comme un régime de bandits, condamné par l’OEA (Organisation des Etats américains) et l’ONU pour des violations massives des droits de l’homme. Cuba et le Venezuela sont mis en cause pour avoir restreint les libertés et la démocratie, mais font appel à une sorte de rationalité politique et de raison d’Etat pour promouvoir une stratégie de négociation, car contrairement à Ortega, ils ont quelque chose à offrir à la communauté internationale.
Au Nicaragua, l’attente d’une transition démocratique a échoué lors des deux dialogues nationaux (2018 et 2019), lorsqu’Ortega a refusé de négocier une réforme électorale avec l’Alliance civique, et est revenu sur l’accord de lever l’Etat policier. En 2021, il a tué la dernière chance d’une transition en emprisonnant les sept pré-candidats de l’opposition à la présidence, en mettant hors la loi deux partis politiques et en annulant les meetings [l’Observatoire Urnas abiertas donnait un taux d’abstention de 81,5%]. Il reste maintenant soit tout ou rien, l’imposition par la force du projet de succession dynastique de Rosario Murillo pour radicaliser encore plus la répression, soit l’effondrement du régime du fait de son usure, de ses fissures internes, de l’impact de la pression politique internationale, de la résistance des prisonniers politiques.
Rosario Murillo revendique un leadership bureaucratique qui, pour beaucoup dans son propre cercle de pouvoir, équivaut à une imposture. Un commandement omnipotent qui génère une loyauté basée sur la peur de ses subordonnés et la crainte de ses innombrables adversaires d’être réprimés.
Ortega et Murillo peuvent prolonger leur présence au pouvoir tant qu’ils disposent de la stabilité économique et des ressources nécessaires pour maintenir les canaux corrupteurs liés au contrôle politique, et bien sûr de la loyauté et de la technologie nécessaires pour faire fonctionner l’appareil répressif: police, armée, espionnage, paramilitaires, procureur et cour de justice. Mais, à moyen terme, le système tend à s’essouffler à mesure que sa base de soutien politique se réduit.
En 2022, alors qu’il n’y avait apparemment plus d’«ennemis» en vue, avec l’ensemble des dirigeants politiques et civiques en prison, y compris des prêtres de l’Eglise catholique, un nouveau groupe de suspects est apparu: la méfiance envers les fonctionnaires, civils et militaires. Après une vague de fuites portant sur la corruption, de défections et de démissions, les hauts fonctionnaires ont été soumis à une surveillance extrême par le couple présidentiel. En conséquence, certains anciens fonctionnaires sont en prison, accusés de corruption ou de délits présumés de «conspiration».
La corruption et les batailles entre les collaborateurs politiques d’Ortega et de Murillo pour organiser le vol au sommet de l’appareil d’Etat ne peuvent être résolues, car la racine de la dégradation morale de l’Etat réside dans la confusion du public et du privé que personnalise le couple dirigeant.
La résistance de Monseigneur Rolando Álvarez [arrêté en août 2022] et des prisonniers politiques a un impact décisif sur la crise de succession de la dictature. Ils représentent l’espoir d’un changement démocratique. L’évêque du diocèse de Matagalpa est accusé du crime présumé de «conspiration contre la souveraineté nationale» parce qu’il a refusé d’accepter le bannissement que lui proposait le régime. Avec sa dignité intacte, il défie la dictature et lance un appel au Vatican et à la communauté internationale pour que cesse la persécution contre l’Eglise.
Dans la prison d’El Chipote, après plusieurs grèves de la faim et 85 jours d’isolement total, les trois visites, en décembre, des familles aux prisonniers, pour la première fois dans une atmosphère marquée par quelques égards, montrent que le régime a partiellement cédé. Cependant, il maintient toujours l’isolement cellulaire contre Dora María Téllez [voir sur ce site la vidéo du discours de Carlos F. Chamorro sur la homepage et la traduction de son discours dans l’article paru le 29 novembre 2022], l’interdiction de lire et d’écrire pour les prisonniers politiques, et autorise le droit à une visite comme un moyen de chantage. Son objectif est de faire taire les revendications des proches des prisonniers politiques, alors qu’il s’érige en juge et impose la prison à vie contre les prisonniers d’opinion emprisonnés pour avoir réclamé des élections libres. De plus, la revendication nationale, qui devrait être reprise avec plus de force par les défenseurs des droits de l’homme et la communauté internationale, reste l’annulation des procès fallacieux et la libération des prisonniers politiques au Nicaragua. [Voir ici l’appel signé massivement pour la libération d’Oscar René Vargas.]
La résistance de Monseigneur Álvarez et des prisonniers politiques, la crise de succession du régime familial et l’agitation des hauts fonctionnaires sont les maillons faibles de la dictature, bien qu’ils ne soient pas encore suffisants pour déclencher une issue politique. Une pression politique internationale soutenue est impérative pour rendre viables les possibilités de changement. (Article paru dans le quotidien mexicain La Jornada, le 15 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Carlos Fernando Chamorro est journaliste nicaraguayen, directeur de La Prensa et de Confidencial.
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