Par Leonardo Padura
En 2014 devraient s’ouvrir pour l’économie cubaine les premières installations de ce qu’on a appelé la Zone spéciale de développement économique, située dans le port de Mariel, qui vient d’être modernisé, une baie située à 70 km à l’ouest de La Havane. [Port depuis lequel, en 1980, quelque 120’000 Cubains seront «conviés» à quitter Cuba pour la Floride, après que plusieurs milliers ont demandé l’asile à l’ambassade péruvienne à La Havane.]
Ce pôle commercial et industriel, le plus important du pays est d’ores et déjà considéré comme la principale fenêtre cubaine sur le monde en ce qui concerne les importations et les exportations. La Zone bénéficie d’un port destiné à des containers et dispose de grands entrepôts, une zone franche [ce qui implique une non-application des lois du travail], des industries créées avec des capitaux étrangers et des installations dites de pointe en matière d’infrastructure.
Dès que le port de Mariel sera opérationnel, le démantèlement et la rénovation de la rade historique de La Havane deviendront définitifs. La rade abritera un port de plaisance où pourront accoster des yachts et des croiseurs de pays voisins avec leurs voyageurs, cela malgré les restrictions imposées par le blocus/embargo états-unien depuis plus d’un demi-siècle.
La modernisation et la construction des installations de Mariel ont été pour l’essentiel (640 sur les 900 millions de dollars investis) financées grâce à un prêt obtenu suite à une convention intergouvernementale signée entre Brasilia et La Havane.
Le fait que le Brésil et ses entreprises aient décidé de réaliser les travaux et les investissements va d’une certaine manière stimuler son intérêt pour l’obtention d’un espace commercial et productif dans ce lieu privilégié de la géographie cubaine, à l’entrée du golfe du Mexique, face aux côtes états-uniennes et à la veille de la réalisation de l’élargissement du canal de Panama, prévu en 2015, qui pourra dès lors accueillir des navires d’un tonnage plus important.
La grande question qui se pose concernant le destin de Mariel est de savoir qui investira – et à quelles conditions – dans cette zone de développement, où on espère que des installations industrielles viendront s’ajouter aux installations portuaires ou de stockage.
On a beaucoup parlé de la nécessité que le gouvernement cubain déclare enfin s’il allait modifier ses rapports légaux avec le capital étranger. Déjà en 2012, une annonce officielle indiquait qu’une nouvelle loi d’investissements entrerait en vigueur à la fin de l’année et qu’elle remplacerait les dispositions légales approuvées en 1995 (Loi 77).
«Une question resterait en suspens, celle de savoir quel espace auront dans toute cette structure en cours d’ouverture les personnes de nationalité cubaines – autrement dit les Cubains de Cuba – pour lesquelles, encore une fois, la Zone Spéciale de Développement du Mariel pourrait être une source d’emplois mais pas d’investissement.»
Mais cette attente créée n’a pas encore reçu de réponse définitive. Ce qui s’est passé en réalité est qu’au milieu 2013 opéraient sur l’île 190 commerces de capital mixte entre le gouvernement cubain et des entités privées étrangères, ce qui équivaut à la moitié de ceux qui existaient en 2000.
Selon un rapport récent, duquel j’ai tiré les chiffres cités ci-dessus, un vice-ministre cubain du Commerce extérieur a affirmé qu’il y avait «un processus d’évaluation d’une politique générale et sectorielle pour accompagner le développement de cet investissement étranger et même s’il n’est pas prévu de modifier la loi, il sera possible de mettre à jour certaines réglementations».
Autrement dit, pour le moment, il n’y aura pas de nouvelle loi et le destin et les possibilités de la Zone spéciale de développement économique de Mariel resteront soumis à une réglementation qui, au cours des dernières années, a davantage chassé qu’attiré les investisseurs, selon la plus simple des opérations arithmétiques.
Néanmoins, à cause de ses caractéristiques particulières, la zone de Mariel pourrait être régie par des mécanismes légaux différents qui figurent peut-être parmi les réglementations qui seraient actualisées.
Les transformations économiques entreprises par le gouvernement de Raul Castro, programmées dans les Directives de la Politique économique et sociale approuvées lors du VIe Congrès du Parti communiste (2011), ont commencé à modifier certaines structures et fondements de l’économie cubaine.
Le travail indépendant, la création de coopératives agro-industrielles et de services, l’ouverture de petits commerces privés, ont été revitalisés, ce qui a apporté des améliorations dans quelques services, la restauration, quelques-unes dans le transport des passagers et un peu dans la production d’aliments.
Mais à cause du niveau limité de leur incidence au plan macroéconomique, ces changements n’ont pas réussi – et ne peuvent pas réussir – à devenir un moteur pour accélérer le développement d’un pays qui a un besoin urgent d’efficience, de productivité, de modernisation de toute son infrastructure, de liquidités et d’accès à des financements, autrement dit aux éléments susceptibles de générer de la richesse «palpable» et avec elle, une amélioration des niveaux de vie d’une population qui vit depuis presque un quart de siècle avec des salaires déprimés qui ne lui permettent pas de satisfaire tous leurs besoins de base, y compris en matière d’alimentation.
A plusieurs reprises des hauts fonctionnaires du gouvernement et de l’Etat ont averti que les modifications économiques les plus importantes restent encore à faire. Mais la promesse a un contenu inconnu et une date d’exécution incertaine.
Si la nouvelle loi annoncée sur l’investissement étranger – qui devait permettre d’attirer des capitaux étrangers – n’est finalement pas approuvée, il est difficile d’imaginer qui pourra être intéressé à investir à Cuba, y compris dans la zone de Mariel.
Outre les entreprises brésiliennes, chinoises et russes dont on prévoit qu’elles pourraient procéder à ces investissements, le seul facteur géographique et l’espoir de changements futurs ne sont plus suffisamment attractifs pour des entrepreneurs qui, en arrivant à Cuba, auraient des problèmes y compris pour acheter un véhicule de tourisme ainsi que pour le déplacement de cadres et d’employés.
Une autre question pendante est celle de savoir quelle place auront dans cette structure en voie de réalisation les personnes de nationalité cubaine – autrement dit les Cubains de Cuba – pour lesquelles, une fois de plus, d’après les informations mentionnées ci-dessus, la Zone de développement de Mariel pourrait être une source d’emploi… mais pas d’investissements. (Traduction A l’Encontre, La Havane, 30 octobre 2013)
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Leonardo Padura, écrivain et journaliste cubain, qui a reçu le Prix national de littérature 2012. Ses romans ont été traduits en plus de 15 langues et son œuvre récente L’homme qui aimait les chiens, a comme personnage central Leon Trotsky et son assassin, Ramon Mercader.
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