Michelle Bachelet, candidate de la Concertation – cette alliance incluant social-démocratie et démocratie-chrétienne, qui a eu le soutien du Parti communiste chilien – a obtenu le dimanche 15 décembre 2013 le 63 % des suffrages, lors du second tour des élections présidentielles. Toutefois, la donnée la plus importante, ayant trait à cette élection, se situe dans le niveau d’abstention le plus élevé historiquement: quasi 59%. Pas plus d’un quart des citoyens et citoyennes ont voté pour elle. Or, Michelle Bachelet s’est engagée, lors de la campagne électorale, à des changements, dits substantiels, entre autres de la Constitution héritée de la dictature de Pinochet. Nous laisserons, ici, de côté le problème brûlant du système éducatif – aux mains du privé – et le système des retraites par capitalisation. Il capte 200 milliards de dollars et assure tout juste pour les «assurés» une rente moyenne à hauteur de 50% du dernier salaire. Ce système par capitalisation est d’ailleurs un des hauts lieux d’intrication des pouvoirs capitalistes au Chili. Dans la conjoncture présente, la question de la Constitution – avec celle du système de soins et de l’éducation – est au premier rang des mobilisations sociales des trois dernières années. Bachelet, avec le système bicaméral actuel, ne dispose pas d’une majorité pour effectuer des changements constitutionnels significatifs. Soit elle prend appui sur une mobilisation populaire pour un changement de la Charte fondamentale, soit ses discours relèveront des simples «promesses électorales», devenues si traditionnelles. C’est l’importance politique de la revendication d’une Assemblée constituante au Chili qui est abordée dans l’article ci-dessous (Rédaction A l’Encontre)
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Même si elle s’est engagée en faveur d’une nouvelle Constitution, la présidente élue, Michelle Bachelet, n’a pas encore défini les modalités pour sa rédaction. Les voix en faveur d’une Assemblée constituante exigent que l’on respecte l’opinion des citoyens et citoyennes et que l’on tienne compte de leurs besoins lors de la rédaction de la nouvelle charte fondamentale.
Le 10 décembre 2013, dans le débat à Anatel [Association nationale de télévision], Michelle Bachelet disait «nous allons évaluer tous les mécanismes en vue de créer une nouvelle Constitution. Il faut surmonter tous les obstacles et erreurs qui minent l’actuelle Constitution, ce n’est pas une question abstraite».
Elle a également dit: «Il faut s’assurer qu’une nouvelle Constitution accordera davantage de participation aux régions. En outre elle ne peut être un appareil de l’élite. Ce n’est que lorsque nous l’aurons que nous pourrons dire comment nous la réaliserons», en éludant ainsi la question d’une Assemblée constituante.
Or, les voix qui se sont élevées en faveur d’une Assemblée constituante – et qui se sont de plus en plus renforcées au cours de cette dernière année – exigeaient et exigent encore une définition claire. Toutes les personnes qui pensent que le pays ne peut pas continuer à être dirigé par une charte fondamentale conçue durant la dictature estiment qu’une modification de la Constitution devient urgente.
L’idée d’obtenir des changements par la voie d’une Assemblée constituante ne date pas d’hier, ni même de l’histoire de ces dernières années. Voici un témoignage recueilli par l’historienne Maria Angélica Illanes au sujet du processus de constituante dévié en 1925: «Le résultat de ce fameux plébiscite est resté un mystère. Ceux qui ont organisé le scrutin n’offraient aucune garantie. C’est la raison pour laquelle personne, à part les diplomates, les militaires et les fonctionnaires, n’a accompagné Alessandri [Arturo Alessandri, 1868-1950, président du Chili entre 1920 et 1924, en 1925 et enfin de 1932 à 1938] le 18 septembre lors de la cérémonie de promulgation et de prestation de serment de la nouvelle Constitution. C’était un triomphe fragile. Tout cet édifice politique institutionnel, bâti avec tant d’astuce et d’obstination, était vermoulu÷.
Et l’universitaire poursuit de la sorte: «Alessandri, plus proche de la classe politique que de la masse des citoyens, a désigné un comité qui a finalement rédigé, entre quatre murs, la Constitution de 1925 au lieu de convoquer une Constituante». Elle souligne que cette Constitution a été l’antithèse du projet élaboré par l’Assemblée constituante de travailleurs et d’intellectuels.
Sergio Grez, un autre éminent historien national, a souligné le fait que chacune des constitutions écrites au Chili a exclu la majorité des citoyens: «La science politique pourrait difficilement considérer comme démocratique un pays dans lequel il n’y a jamais eu un débat national concernant les normes essentielles qui doivent régir sa vie collective. Un Etat dont les chartes constitutionnelles les plus importantes ont été le fruit de discussions, de conciliabules ou d’accords par des petits groupes, voire imposées par la force par ces derniers. Une société dont les Constitutions les plus durables ont été le résultat de la pression exercée par la force militaire. On pourrait difficilement définir une telle société politique comme étant démocratique et ses habitants comme étant des citoyens de plein droit. Tout au plus pourrait-on dire qu’il s’agit d’un pays semi-démocratique, avec une citoyenneté restreinte.”
Les citations ci-dessus ne font que refléter l’importance du débat sur le changement constitutionnel. Le doute qui subsiste sur sa formulation, pose la question de la véritable intégration citoyenne que l’on donnera au nouveau texte.
Gustavo Ruz, juriste et membre du Mouvement pour l’Assemblée constituante, formule des critiques à l’égard des dirigeants. A son avis, ce sont eux qui entravent la concrétisation d’une Constituante. Il espère que les parlementaires récemment élus tiendront parole et soutiendront cette voie de changement: «Ce sont les dirigeants qui font obstacle. J’espère qu’il y aura un certain nombre de députés et de sénateurs de la Concertation qui ont soutenu l’appel à une Assemblée constituante dans leurs discours et qui s’opposeront à ce que ce que ce soit le Parlement qui rédige une nouvelle Constitution. Ce parlement n’est pas représentatif du peuple, ce parlement qui est binominal» [issu du système électoral binominal qui contraint à la formation de coalitions électorales et visant établir à un consensus national].
Il a en outre remis en cause toutes les instances qui ne sont pas représentatives de «l’ensemble national»: «L’Assemblée constituante doit se faire avant la Constitution, avant le Parlement, avant le gouvernement, avant les partis politiques, c’est en partant de cette Assemblée constituante que pourra se constituer la société en tant qu’entité juridique».
Le prochain gouvernement s’est engagé à rédiger une nouvelle Charte fondamentale, mais les forces qui mènent la campagne «Marca tu voto AC» [qui a écrit sur le bulletin de vote A.C., assemblée constituante] restent attentives aux définitions qu’il donnera en matière constitutionnelle et espèrent que les voix des citoyens et citoyennes seront représentées dans ce document.
C’est ce qu’a exprimé José Becerra, l’un de ses coordinateurs: «Il serait important que la politique représente les exigences citoyennes, c’est à cela qu’elle sert. Les gouvernants sont élus pour représenter les citoyens et non pour suivre leurs propres agendas. Nous espérons donc que le futur gouvernement de Michelle Bachelet acceptera la demande d’une Assemblée constituante qui s’est reflétée non seulement dans le scrutin mais également dans les mobilisations sociales et étudiantes ainsi que dans les sondages de l’opinion publique. Ils ont démontré que la grande majorité des Chiliens est favorable à une Constituante”.
En défendant la proposition de la présidente récemment élue, l’avocat Eric Pala a assuré: «Il ne s’agit pas d’une réforme, mais bien d’une nouvelle Constitution». Mais si l’universitaire a souligné l’importance d’«être à l’écoute des citoyens en ce qui concerne les caractéristiques que doit avoir une nouvelle Constitution». Il a ajouté: «l’idéal démocratique serait que cela donne lieu à une Assemblée constituante, mais malheureusement le comportement de l’électorat a fait que l’idée de l’Assemblée constituante n’est pas apparue comme étant si décisive dans la conjoncture électorale de décembre 2013, ce qui ne signifie pas qu’elle ne soit pas légitime».
Les définitions concrètes concernant la voie à emprunter pour construire le nouveau document n’ont pas encore été explicitées par la présidente récemment élue ou par sa direction. Dans ce sens, les appréciations et les espoirs sont différents. Pour ceux qui voient en l’Assemblée constituante «la seule option réellement participative», la seule procédure acceptable est celle qui mettra la souveraineté des contenus de la nouvelle Constitution au sein de l’ensemble des citoyens. Sans quoi, ce ne sera pas une bonne formule. (Traduction A l’Encontre, article publié le 17 décembre 2013 dans le Diario Uchile)
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