Par Patricio Paris
Le mouvement des étudiants au Chili a été pour la Concertation – alliance ayant gouverné de 1990 à 2010 et regroupant notamment le PS, le Parti démocrate-chrétien et le Parti pour la démocratie (PPD) – et pour le néolibéralisme post-Pinochet ce que la chute du mur de Berlin a été pour les régimes staliniens d’Europe de l’Est.
Les six mois de manifestations régulières, au moins chaque jeudi, ont provoqué la crise du gouvernement de Sebastian Piñera (sa cote actuelle «d’estime» se situe entre 20 et 30%) – alliance de la Rénovation nationale (RN) et de l’Union démocrate indépendante (UDI) – ayant succédé à celui de Michelle Bachelet (PS), en mars 2010. Le mouvement étudiant a également fait exploser le cartel des partis de la Concertation. Le contexte de la crise mondiale du capitalisme – déclenchée en 2007-2008 – a aidé le mouvement qui a réussi, de la sorte, à délégitimer les politiques néolibérales subies par la population chilienne. Or, elles perdurent depuis 38 ans.
Les représentants des étudiants ont quitté le 5 octobre 2011 la troisième table de dialogue avec le ministre de l’Education, Felipe Bulnes, après avoir constaté, une fois encore, que le gouvernement leur avait présenté les mêmes propositions qu’ils avaient déjà refusées. Cette réunion, à laquelle le président S. Piñera n’a pas assisté, contrairement à ses engagements, s’est déroulée en fin d’après-midi, après la forte répression de la manifestation qui avait eu lieu dès 10 heures du matin.
Après trois heures de réunion, l’ACES (Assemblée coordinatrice des lycéens), la CONES (Coordination des lycéens) et l’ACETP (Assemblée coordinatrice des étudiants des lycées technico-professionnels) furent les premières à se retirer de la réunion organisée avec le ministre de l’Education. Il s’agit là de la composante la plus radicale et la plus nombreuse, celle qui inclut les classes sociales les plus populaires pour lesquelles s’en sortir socialement par la formation est le plus difficile. Plus tard, ce sont les étudiants de la CONFECH (Confédération des étudiants du Chili) qui ont abandonné la réunion avec le gouvernement. La porte-parole de la CONFECH, Laura Palma, a déclaré que le gouvernement cherche «à perpétuer le même système d’endettement [pour financer les frais d’inscription] et à renforcer le système [d’éducation] privé». Ce sont là deux points fondamentaux des revendications.
José Ancalao, porte-parole de la Fédération mapuche des étudiants (FEMAE), a indiqué qu’ils «étudient [la possibilité de] garantir l’éducation gratuite [pour tous] avec l’argent du cuivre [le Chili étant le premier producteur mondial] et une réforme fiscale».
Après cette rupture du dialogue avec le gouvernement faite par les lycéens et les étudiants, la manifestation du 6 octobre a été encore plus réprimée que celle de la veille. La police (forces spéciales des Carabineros) s’est attaquée non seulement aux étudiants, mais aussi à la presse audiovisuelle et aux photoreporters. Désormais, depuis que les étudiants ont réussi à faire tomber le ministre de l’Education Joaquin Lavin, le 18 juillet 2011, l’aile la plus «fondamentaliste» du gouvernement, l’UDI, a renforcé ses positions dans la politique gouvernementale contre les étudiants.
Une nouvelle manifestation nationale a eu lieu le jeudi 13 octobre 2011. Le soir, trois porte-parole de la CONFECH, Camila Vallejo, Giorgio Jackson et Francisco Figueroa, ainsi que Gabriel Iturra d’ACES, ont pris l’avion pour l’Europe pour faire appel à la solidarité internationale et dénoncer la répression auprès des organismes internationaux à Paris, Bruxelles et Genève. A Paris, un quatrième porte-parole de la CONFECH, Sebastian Farfan, les a rejoints. Celui-ci fait partie, avec Francisco Figueroa, de la majorité de la CONFECH; la minorité étant représentée par Camila Vallejo, des Jeunesses communistes, et par Giorgio Jackson, indépendant et proche de l’ex-Concertation.
Les 18 et 19 octobre, de nouvelles manifestations ont montré que le mouvement, loin de se démoraliser, se radicalise face à l’intransigeance gouvernementale. Des étudiants ont occupé, le jeudi 20 octobre (voir photo), durant huit heures, le siège du Sénat à Santiago du Chili. Ils exigeaient la tenue d’un référendum sur le type d’éducation à mettre en place dans le pays. Divers élus de l’opposition durent s’engager, par écrit, à soutenir un tel référendum; le manque de confiance des étudiants envers les «opposants» officiels est évident!
La procédure «référendaire» (plébiscite) est difficile à faire appliquer au Chili du point de vue constitutionnel, car les conditions de sa mise en œuvre sont très limitées (il faut, par exemple, un désaccord net entre l’exécutif et le législatif). Mais la mobilisation sociale, par son ampleur et sa durée, rend cet objectif crédible. Durant l’occupation, la police empêchait, en encerclant le bâtiment et avec des canons à eau, que ceux et celles qui voulaient soutenir les occupants puissent s’approcher. Sur les pancartes, on pouvait lire: «Plébiscite maintenant!»; «Education gratuite!»; «Les mères mobilisées nous sommes frappées».
Cela se passait un jour après que des troupes de choc firent brutalement sortir des étudiants qui se trouvaient dans les tribunes du Congrès national, dont le siège est à Valparaiso. Or, les députés discutaient, durant cette séance, du droit de manifester!
Le mouvement s’appuie sur le soutien de 89% de la population et sur les résultats de la Consultation citoyenne nationale des 7, 8 et 9 octobre 2011, à laquelle ont participé 1’027’569 de Chiliens, déposant leur bulletin dans les urnes et 394’873 par Internet. Résultat: 87,15% des votants se sont exprimés pour le OUI à une éducation gratuite, publique et sans profits. Seulement 11,2% d’entre eux se sont prononcés pour le NON. La revendication de tenir un référendum sur le système d’éducation au Chili a rencontré un vif succès. Il faut avoir à l’esprit que les revendications sur l’éducation renvoient à d’autres portant aussi bien sur le système de santé que sur un ensemble d’autres services: transports, aménagement des quartiers populaires, etc.
Le mouvement a pour objectif de changer la Constitution pinochetiste toujours en vigueur. La CONFECH a confirmé son appel à manifester le 9 novembre 2011 autour du Congrès national à Valparaiso. Une mobilisation aura lieu à Santiago le 5 novembre dans le but de mobiliser les familles et les citoyens. D’autres mobilisations, entre autres des écoliers du secondaire et des lycées techniques, sont prévues pour le 15 novembre.
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