Chili. «Boric cherche le vote du centre pour battre Kast»

Par Juan Carlos Ramírez Figueroa

Avec 27,91% des suffrages (1’961’122), José Antonio Kast de la coalition d’extrême droite Frente Social Cristiano est le seul candidat réellement satisfait des résultats des élections présidentielles chiliennes. Il obtient la première position, de manière surprenante, même avant le candidat du parti au pouvoir et ancien ministre de Piñera, Sebastián Sichel (12,8%) qui est arrivé en quatrième position. Ce qui, si l’on considère que lors des élections de 2017 où Kast avait obtenu 7,93% (523 213), signifie un pas de géant pour un projet politique extrêmement conservateur, qui défend le néolibéralisme et le sombre héritage de Pinochet, s’opposant – de manière prévisible – aux migrants, aux droits des femmes et au mariage homosexuel.

Gabriel Boric, candidat de la nouvelle gauche, en alliance avec le Parti communiste sous le nom de la coalition Apruebo Dignidad avec ses 25,8% (1’814’809) – qui est ainsi habilité à se présenter au second tour grâce à un nombre important de suffrages –, sait qu’il s’agit d’un scénario complexe et peu prévisible. D’autant plus si l’on considère que c’est le même pays qui a été marqué par la révolte sociale d’octobre 2019 et qui a voté pour l’adoption d’une nouvelle constitution un an plus tard, en octobre 2020 [les élections à la Convention constituante ont eu lieu les 15 et 16 mai 2021]. C’est pourquoi Boric est apparu à la télévision en intégrant deux éléments sur lesquels Kast a su capitaliser: la crise migratoire et la sécurité dans le sud [état d’urgence face à la mobilisation pour la terre des Mapuches], qu’il a ajoutés à un programme de changement de l’économie néolibérale, de soutien à la science, de protection de l’environnement, d’appui aux revendications féministes et de préoccupation pour un «Etat providence».

«Des frontières surveillées et une migration régulée»

«Nous allons avoir des frontières surveillées et une migration régulée», a déclaré Gabriel Boric lors d’un entretien sur la chaîne Chilevisión. «Et cela nécessite à la fois des améliorations dans nos pratiques internes, dans le contrôle de nos frontières, mais cela nécessite aussi une coordination internationale que nous n’avons pas eue […]. Le Chili, le Pérou et la Colombie ne peuvent pas être les seuls pays qui prennent en charge le désastre généré par le gouvernement de Nicolás Maduro, la dictature de Nicolás Maduro au Venezuela, nous devons élargir la coordination.»

En ce qui concerne le conflit dans le sud, qui met aux prises la communauté mapuche, les grandes entreprises forestières et les hommes d’affaires dont les moyens de transport [du bois] ont été brûlés ainsi que les forces de police, violentes, Gabriel Boric a assuré: «Nous poursuivrons sans relâche les crimes commis.» Quant à la Coordination Arauco Malleco – un groupe mapuche qui a choisi la violence pour récupérer ses terres – le candidat a déclaré: «Je leur dis que la violence n’est pas la solution et que, face à elle, l’Etat a le devoir de rétablir l’ordre public.»

Il s’agit là d’un clin d’œil fait au centre de la part d’un candidat qui a déjà obtenu le soutien du Parti socialiste et l’intention de négocier de la part des démocrates-chrétiens, dont la représentante, battue, Yasna Provoste, a déclaré: «Nous ne laisserons pas le fascisme avancer», faisant allusion à José Antonio Kast. Cela bien que Carmen Frei, présidente du parti (PDC), ait souligné que le soutien éventuel à Boric «ne sera pas un chèque en blanc».

En outre, José Antonio Kast a déjà commencé à chercher des accords avec le parti au pouvoir de Sebastián Sichel (qui n’est pas fermé aux «pourparlers», comme il l’a annoncé dimanche) et avec l’UDI [Unión Demócrata Independiente, parti des milieux économiques, créée en 1983 et réunissant de nombreux cadres de l’administration étatique de Pinochet], le plus à droite des partis appuyant Piñera, qui a déjà officialisé son soutien. Même s’il devra aussi négocier avec la grande surprise du jour: l’économiste Franco Parisi, un libéral anti-tout – très proche de Javier Milei [député de la ville de Buenos Aires, élu en 2021, dans le cadre de la coalition Libertad Avanza] – qui, faisant campagne depuis les Etats-Unis, en raison d’un mandat d’arrêt pour non-paiement de pension alimentaire, a obtenu pas moins que la troisième place avec 12,8%, le même chiffre que Sebastián Sichel mais avec un «avantage» de presque mille voix.

Congrès

Dimanche, il y a également eu des changements à la Chambre des députés et au Sénat, les forces politiques ayant changé. A la chambre basse, aucun des blocs qui ont soutenu Kast et Boric n’a obtenu suffisamment de sièges pour obtenir la majorité simple. Ainsi, Fuerza Social Cristiana a remporté 15 sièges et Apruebo Dignidad 37, loin des 55 sièges nécessaires. Dans la répartition de cette dernière coalition, le Parti communiste en a obtenu 12 (a été réélue Karol Cariola, une figure de relief depuis le mouvement étudiant de 2011) et le Frente Amplio 25, soit cinq sièges de plus que lors des élections de 2017, mettant en avant le parti Convergencia Social auquel appartient le candidat de la gauche (Boric) avec 9 députés.

La coalition du Nouveau Pacte Social (Nuevo Pacto Social) – la continuation de la Concertación et de la Nueva Mayoría de centre-gauche, qui a été fondée pour soutenir Yasna Provoste – a obtenu 37 sièges: 13 pour le Parti socialiste, 8 pour la DC, 4 pour le Parti libéral et 7 pour le Parti pour la démocratie (PPD). C’est tout de même une baisse par rapport aux 57 sièges remportés en 2017. Ce qui devrait les pousser à s’associer avec la gauche d’Apruebo Dignidad mais aussi avec des figures du Parti Humaniste comme la controversée Pamela Jiles qui s’est toujours déclarée être contre les «politiciens habituels» tout en étant adepte de la construction d’alliances.

La droite qui soutenait Sichel avec l’alliance Chile Podemos Más a obtenu 53 sièges: 25 pour Renovación Nacional, 23 pour l’Unión Demócrata Independiente, 4 pour Evópoli et un pour le PRI (Partido Regionalista de los Independientes), ce qui les obligera à négocier avec le secteur de Kast, mais aussi avec le Partido de la Gente de Franco Parisi, qui a obtenu 6 sièges.

Au Sénat, la droite a triomphé avec plus de 50% des voix, Chile Podemos Más obtenant 24 sénateurs et le centre-gauche du Nuevo Pacto Social, 17. En revanche, pour la coalition Apruebo Dignidad, le Parti communiste a franchi un cap en accédant au Sénat pour la première fois depuis le retour à la démocratie avec 2 élus. Deux indépendants ont également réussi, dont Fabiola Campillai, qui a perdu ses deux yeux durant l’Estallido Social (explosion sociale), sous l’effet des tirs de la police. (Article publié dans le quotidien argentin Pagina 12, le 22 novembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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