Par la rédaction de A l’Encontre
La journée du 30 octobre a pris un tour particulier lorsqu’ont afflué les nouvelles ayant trait aux initiatives de la Policia Rodoviaria Federal (PRF, Police fédérale des routes) qui dépend directement du pouvoir central. Elle est choyée par Bolsonaro. Son chef Silvinei Vasques est un membre du clan du président. L’effectif de la PRF s’élève à quelque 12’000 hommes. La PRF bloquait divers axes routiers et contrôlaient des bus. Dès les 19 et 20 octobre, des informations avaient circulé à propos de «la mobilisation de la PRF» le 30 octobre.
Ainsi, dans l’Etat de Sergipe, des électeurs du PT filment une intervention de la PRF: «Dans la vidéo, il est possible de voir l’agent de la police fédérale entrer dans le véhicule pour vérifier si les passagers portaient leur ceinture de sécurité. Selon l’une des personnes présentes, qui a requis l’anonymat, l’agent a demandé à vérifier la validité de l’extincteur et a demandé des documents. Toujours selon lui, l’action a duré environ 15 minutes. Le conducteur a reçu une amende en raison de l’expiration du test toxicologique de l’extincteur, puis a été libéré. Dans une note, le PRF explique que l’objectif est de “garantir la mobilité, la sécurité routière et la lutte contre la criminalité sur les autoroutes”.»
Dans l’Etat d’Alagoas, toujours selon le fil de l’actualité de la Folha de S. Paulo du 30 octobre, l’Agence de régulation des services publics de l’Alagoas (Arsal) a rapporté les plaintes de conducteurs de bus contre la PRF: «En raison des barrages effectués par la Police fédérale des routes, outre les retards dans les services, il y a eu plusieurs problèmes dans le fonctionnement de celui-ci, comme l’obligation pour des passagers de sortir du véhicule ou même les relevés des noms des occupants du véhicule par la police […]. Certains inspecteurs de l’Arsal ont signalé que les conducteurs ont souligné que les actions de la Police fédérale des routes avaient un caractère intimidant.»
En fin d’après-midi, l’ABI (Association de la presse brésilienne) et l’IAB (Institut des avocats brésiliens) ont qualifié d’«inacceptables les opérations de la PFF tout au long de ce dimanche, qui a fait fi d’un ordre du TSE [Tribunal supérieur électoral, présidé depuis août 2022 par Alexandre de Moraes, qui est juge en chef du Tribunal suprême fédéral-STF depuis le 22 mars 2017] de ne pas effectuer d’opérations impliquant le transport public de passagers pendant le processus de vote. Nous déclarons que les agents publics qui ne tiennent pas compte de la décision du TSE devront répondre administrativement et pénalement de leurs actes», ont écrit Octávio Costa, président de l’ABI, et Sydney Sanches, président de l’IAB, dans une déclaration commune publiée sur le fil d’actualité de la Folha de S. Paulo. Selon eux, le comportement de la PRF tout au long de la journée «est sans précédent dans l’histoire récente de notre démocratie et pourrait favoriser la réélection de Jair Bolsonaro».
La tension suscitée par ces incidents allait de pair avec celle provoquée par la dynamique de la progression des résultats tels que publiés par le Tribunal supérieur électoral (TSE): ce n’est qu’autour de 21 heures que la tendance des votes en faveur de Lula s’est affirmée et qu’une victoire se profilait, même si la marge restait fort limitée. Les interventions de la PRF se conjuguaient avec l’agressivité des supporters de Bolsonaro et certaines présences de la Police militaire. Ce qui renvoyait à la thématique de l’acceptation ou non des résultats de l’élection par Bolsonaro et son cercle proche, thématique présente depuis des mois.
***
A 0h15, Lula prononça son premier discours de président élu. Il mit l’accent sur la nécessité de «réunir le pays», de «retourner à la normalité démocratique». Il déclara: «Ce n’est pas une victoire pour moi, ni pour le PT, ni pour les partis qui m’ont soutenu dans cette campagne. C’est la victoire d’un immense mouvement démocratique qui s’est constitué, au-delà des partis politiques, des intérêts personnels et des idéologies, pour que la démocratie en sorte victorieuse… Le peuple brésilien veut vivre bien, manger bien, habiter bien. Il veut un bon emploi, un salaire toujours ajusté au-dessus de l’inflation, il veut une santé publique et une éducation de qualité. Il veut la liberté de religion. Il veut des livres au lieu de fusils. Il veut aller au théâtre, au cinéma, avoir accès à tous les biens culturels, car la culture nourrit notre âme. Le peuple brésilien veut retrouver l’espoir. C’est ainsi que je comprends la démocratie. Pas seulement comme un beau mot écrit dans la loi, mais comme quelque chose de tangible, que nous sentons dans notre peau, et que nous pouvons construire au quotidien.» Il souligna de même la nécessité de «reprendre le dialogue avec le Législatif et le Judiciaire. Sans chercher à faire pression, intervenir, contrôler, coopter, mais en cherchant à reconstruire une coexistence harmonieuse et républicaine entre les trois pouvoirs.»
Il poursuivit: «Nous regagnerons la crédibilité, la prévisibilité et la stabilité du pays, afin que les investisseurs – nationaux et étrangers – reprennent confiance dans le Brésil. Pour qu’ils cessent de considérer notre pays comme une source de profit immédiat et prédateur, et qu’ils deviennent nos partenaires dans la reprise de la croissance économique avec l’inclusion sociale et la durabilité environnementale. Nous voulons un commerce international plus équitable. Nous voulons reprendre nos partenariats avec les Etats-Unis et l’Union européenne sur de nouvelles bases. Nous ne sommes pas intéressés par des accords commerciaux qui condamnent notre pays à l’éternel rôle d’exportateur de produits de base et de matières premières. Nous allons réindustrialiser le Brésil, investir dans l’économie verte et numérique, soutenir la créativité de nos hommes d’affaires et de nos entrepreneurs. Nous voulons aussi exporter la connaissance.» A ce propos, Alexa Salomão, sur le site de la Folha de S. Paulo, donne le point de vue d’économistes libéraux suite à ce premier discours: «Le discours de Lula a renforcé la perspective d’un gouvernement de coalition, avec un avenir plus stable pour le Brésil. C’est l’avis des économistes Arminio Fraga, ancien président de la Banque centrale, et Edmar Bacha, l’un des pères du Plan Real [plan de «stabilisation», face à l’hyper-inflation, appliqué durant la gestion de Fernando Henrique Cardoso après son élection en 1994]. Tous deux sont des économistes libéraux associés au PSDB, mais ils ont exprimé leur soutien en faveur de Lula au second tour des élections.» La large coalition voulue par Lula, les rapports de forces socio-politiques et la transformation d’une mobilisation démocratique en une dynamique sociale vont dessiner les contours d’une pratique gouvernementale, bien au-delà des discours. Les courants politiques tels que représentés par le PSOL vont exprimer leur analyse de cette phase électorale particulière qui ne se conclut que partiellement, pour l’heure. Comme nous l’avons fait précédemment, nous traduirons leurs points de vue.
***
Quant à Jair Bolsonaro, il est le premier président qui a perdu une bataille pour sa réélection à l’opposé de Fernando Henrique Cardoso en 1998, de Lula en octobre 2006, de Dilma Rousseff en octobre 2014. Toutefois, Bolsonaro ne quittera officiellement son mandat que le 31 décembre, une période qui peut être marquée par des initiatives qui prendraient un profil de «3e tour». Dans tous les cas, le bolsonarisme, lui, est loin d’être effacé de la scène politique, l’examen des résultats de la présidentielle et de l’élection des gouverneurs le prouve.
La présence et l’intervention politique du bolsonarisme ne peuvent être réduites à la réaction à court terme de Jair Bolsonaro. Quelque 15 heures après la victoire de Lula, l’ex-président maintient le silence. Daniela Arcanjo, le 31 octobre à midi, écrit dans la Folha de S. Paulo: «Depuis 1989, date des premières élections organisées après la dictature militaire (1964-1985), le candidat présidentiel battu s’est toujours exprimé juste après le résultat officiel. Cette année-là, l’homme politique dans une telle situation était Luiz Inácio Lula da Silva (PT)… L’actuel chef de l’exécutif, Jair Bolsonaro (PL), a rompu cette tradition en allant se coucher sans reconnaître la victoire de son adversaire, confirmée par le TSE. A 22h06, les lumières du palais de l’Alvorada [son logement] se sont éteintes, sans déclarations aux partisans ni visites d’alliés. Le président s’est isolé et n’a pas voulu recevoir de ministres, il n’a reçu que son candidat à la vice-présidence, Walter Braga Netto (PL).»
Parmi des acteurs politiques qui envisagent leur futur, il faut noter la reconnaissance de la victoire de Lula par Arthur Lira, président influent de la Chambre des députés et un des protagonistes de la nébuleuse qui entourait Bolsonaro. Le positionnement de la droite extrême politique va certainement s’inscrire dans la configuration que peut lui offrir une «large coalition» dans un contexte où ses positions institutionnelles – dans le législatif comme dans les exécutifs des Etats – sont solides. (Réd. A l’Encontre)
__________
Résultats de l’élection présidentielle du 30 octobre (en pourcentage des votes valides)
Lula a obtenu 50,90% (60’345’999 suffrages) et Bolsonaro 49,10% (58’206’354), soit une différence de 2,1 millions de suffrages.
Lula a obtenu une majorité dans 13 Etats : Piaui (76,86%), Bahia (72,12%), Maranhão (71,14%), Ceara (69,97%), Sergipe (67,21%), Pernambuco (66,93%), Paraiba (66,62%), Rio Grande do Norte (65,51%), Alagoas (58,68%), Para (54,75%), Tocantins (51,36%), Amazonas (51,1%), Mato Grosso (50,2%)
Bolsonaro a obtenu une majorité dans 14 Etats : Amapa (51,36%), São Paulo (55,24%), Rio Grande do Sul (56,35%), Rio de Janeiro (56,53%), Espirito Santo (58,04%), Goias (58,71%), Mato Grosso do Sul (59,49%), Paraná (62,4%), Mato Grosso (65,08%), Santa Catarina (69,27%), Acre (70,3%), Rondônia (70,66%), Roraima (76,08%)
Election des gouverneurs des Etats
En 2022, 18 des 27 gouverneurs ont été réélus. Sur les 20 qui se représentaient, 18 ont été réélus.
1° Gouverneurs élus au 1er tour du 2 octobre (pourcentage des votes valides, soit sans les blancs et les nuls)
Acre
Gladsonn Cameli PP : 56,75% (242’100 suffrages)
Amapa
Clécio Luis Solidariedade : 53,69% (222’168 suffrages)
Ceará
Elmano de Freitas (PT) : 54,02% (2’808’300 suffrages)
Distrito Federal
Ibaneis Rocha (MDB) : 50,30% (832’633 suffrages)
Goias
Ronaldo Caiado (União) : 51,81% (1’806’892 suffrages)
Maranhão
Carlos Brandão (PSB) : 51,29% (1’769’187)
Mato Grosso
Mauro Mendes (União, parti de droite) : 68,45% (1’114’549 suffrages)
Minais Gerais
Romeu Zema (Partido Novo, de droite, fondé en 2011) : 56,18% (6’094’136 suffrages)
Para
Helder (MDB) : 70,41% (3’117’276)
Parana
Carlos Massa Ratinho Junior (Partido Social Democrático-PSD, droite, fondé en 2011) : 69,64% (4’243’292 suffrages)
Piaui
Rafael Fonteles (PT) : 57,17% (1’115’139 suffrages)
Rio de Janeiro
Claudio Castro (Partido Liberal) : 58,67% (4’930’288 suffrages)
Rio Grande do Norte
Fatima Bezerra (PT) : 58,31% (1’066’496 suffrages)
Roraima
Antonio Denarium (PP) : 56,47% (163’167)
Tocantins
Wanderlei Barbosa (Republicanos, de droite) : 58,14% (481’496 suffrages)
2° Gouverneurs élus au 2e tour le 30 octobre (pourcentage des votes valides)
Alagoas
Paulo Dantas MDB 52,33% (834’278 suffrages) Rodrigo Cunha União 47,67% (759’984)
Amazonas
Wilson Lima União 56,65% (1’039’192) – Eduardo Braga MDB 43,35% (795’098)
Bahia
Jerônimo Rodrigues PT 52,79% (4’480’464) – Antonio Carlos Neto União 47,21% (4’007’023)
Espirito Santo
Renato Casagrande PSB 53,8% (1’171’288) – Carlos Manato PL 46,2% (1’006’021)
Mato Grosso do Sul
Eduardo Riedel PSDB 56,9% (808’210) – Capitão Contar PRTB (lié à Collor de Mello) 43,1% (612’113)
Paraiba
João Azevêdo PSB 52,51% (1’221’904) – Pedro Cunha Lima PSDB 47,49% (1’104’963)
Pernambuco
Raquel Lyra PSDB 58,7% (3’113’415) – Marília Arraes Solidariedade 41,3% (2’190’264)
Rio Grande do Sul
Eduardo Leite PSDB 57,12% (3’687’126) – Onyx Lorenzoni PL 42,88% (2’767’786)
Rondônia
Coronel Marcos Rocha União 52,47% (458’370) – Marcos Rogério PL 47,53% (415’278)
Santa Catarina
Jorginho Mello PL 70,69% (2’983’949) – Décio Lima PT 29,31 (1’237’016)
São Paulo
Tarcísio Gomes de Freitas Repub 52,27% (13’480’643) – Fernando Haddad PT 44,73% (10’909’371)
Sergipe
Fábio Mitidieri PSD 51,7% (623’851) – Rogério Carvalho PT 48,3% (582’940)
____________
Les Etats suivants ont des gouverneurs du PT : Bahia (BA), Piaui (PI), Cearà (CE), Rio Grande do Norte (RN).
Les Etats avec un gouverneur PL : Rio de Janeiro (RJ) et Santa Catarina (SC).
Les Etats avec un gouverneur União : Amazonas (AM), Rondônia (RO), Mato Grosso (MT), Goias (GO).
Les Etats avec un gouverneur PSDB : Rio Grande do Sul (RS), Mato Grosso do Sul (MS) et Pernambuco (PE).
Les Etats avec un gouverneur MDB : Para (PA), Alagoas (AL) et Distrito Federal (DF).
Les Etats avec un gouverneur PSB : Espirito Santo (ES), Maranhão (MA) et Paraiba (PB).
Les Etats avec un gouverneur d’un parti de droite ou du Centrão au nombre de 7 : São Paulo-SP (Republicanos), Parana-PR (PSD), Minas Gerais-MG (Partido Novo), Tocantins-TO (Republicanos), Amapá-AP (Solidariedade), Roraima-RR (PP), Acre-AC (PP).
Carte des Etats et du parti des gouverneurs élus
Soyez le premier à commenter