Par Gabriel Brito et Leandro Iamin
Alors que le monde entier assiste à tout ce battage autour du tirage au sort des groupes de la Coupe, les Brésiliens les plus attentifs continuent de témoigner sur la manière dont les choses se passent à l’interne, en comparant le discours sur l’héritage à venir de la Coupe du Monde à la réalité des faits. Après la mort des ouvriers Fabio Luiz Pereira et Ronaldo Oliveira dos Santos sur le chantier du stade d’Itaquera – suite à la chute d’une grue sur le toit du futur stade qui doit accueillir le match d’ouverture de la Coupe du Monde de football le 14 juin 2014 – le côté obscur de ces méga-événements remonte à la surface.
« Il est évident qu’une forte pression est faite sur les délais de livraison des stades. Le 30 novembre 2013, nous avons eu une réunion du Comité populaire de la Coupe ici à Itaquera, à l’occasion de laquelle nous avons contacté trois ouvriers. La peur que ceux-ci ont de parler et de dévoiler leur identité est visible. Mais ils confirment toutes les dénonciations qui ont pu être entendues. Tous ceux avec lesquels nous avons parlé font des témoignages qui se recoupent. Dans les discussions que nous avons eues, ils ont parlé des pressions et des intimidations qui existent, même autour de la question de l’accident», a raconté Serginho Limo, un habitant de toujours d’Itquera, dans un entretien accordé au Correio da Cidadania.
Au cours de la discussion, Serginho raconte comment l’illusion qu’ils ont eue au début sur le processus de développement promis à leur quartier populaire de la zone Est de São Paulo fait déjà place à l’insatisfaction. Au-delà de cela, il raconte que les besoins les plus basiques de la population continuent à être lamentablement ignorés, tous les problèmes récurrents de santé et d’éducation, sans parler de l’absence la plus totale d’information donnée aux centaines de familles menacées de déplacement forcé, particulièrement celles qui habitent dans la favela da Paz, la plus proche des chantiers du stade.
«Il semble bien que l’on aille à nouveau au-devant de grandes manifestations. Je pense que cette clameur, qui a commencé au mois de juin 2013, continuera et que le quartier d’Itaquera ne va pas rester indifférent. Nous aurons certainement d’autres manifestations. Et lors de la Coupe aussi. Je peux me tromper, mais c’est ce que je vois se dessiner. En raison aussi de nouveaux événements dont la responsabilité incombera aux pouvoirs publics de la région». C’est ce que prévoit Serginho qui considère les promesses de changement de vie faites par les autorités publiques comme des «appâts». Voici l’entretien.
Correio da Cidadania: Comment analysez-vous le tragique accident survenu le 27 novembre sur le chantier du stade d’Itaquerão qui a provoqué la mort des ouvriers Fabio Luiz Pereira et Ronaldo Oliveira dos Santos ?
Serginho Lima : Pour répondre à votre question, je dirai qu’en effet nous sommes préoccupés. Parce que des gens de notre quartier travaillent sur ce chantier. Ici, près de ma maison, il y a un garçon qui est venu du Nordeste avec sa famille. Au moment de l’accident, nous avons dû courir sur les lieux afin de nous informer, cela pour tranquilliser sa femme et sa petite fille.
Il y a eu malheureusement deux morts, et si ce n’avait pas été l’heure de la pause de midi, il y en aurait probablement eu plus. Nous sommes très attristés par la mort de ces deux ouvriers, deux personnes simples, du peuple, qui étaient en train de gagner leur pain.
Correio da Cidadania: Quel commentaire feriez-vous au sujet des dénonciations qui déjà apparaissent quant à l’insécurité et aux pressions faites sur les délais de livraison? Le quotidien Lance a publié, dans son édition du 30 novembre 2013, la dénonciation d’un ouvrier qui explique que la même pièce de métal, du côté nord du stade, a été divisée en deux, avant d’être encastrée dans le sommet de la couverture, alors que cette fois, l’installation a été tentée en mettant l’importante pièce métallique en une fois. [L’entreprise responsable des travaux est la très grande firme transnationale, ayant sa base au Brésil, Odebrecht]
Sergio Lima : Ah oui, c’est certain que tout cela existe. Le 30 novembre dernier, nous avons eu une réunion du Comité populaire de la Coupe ici à Itaquera, lors de laquelle nous avons contacté trois ouvriers. La peur qu’ils ont de parler et de s’identifier est visible. Mais ils confirment toutes ces dénonciations. Tous les témoignages recueillis individuellement concordent. Dans les conversations que nous avons eues, ils ont parlé des pressions et intimidations qui existent, même au sujet de l’accident lui-même.
Il est clair que tout cela montre le comportement de l’entreprise Odebrecht et des entreprises qui dirigent le chantier. Ils font pression sur les ouvriers afin de pouvoir terminer les travaux dans les délais, à savoir le 31 décembre. Maintenant, cela va prendre un peu de temps supplémentaire puisque le Comité organisateur de la Coupe estime que le stade sera achevé d’ici le mois d’avril.
Correio da Cidadania: Que peut dire le Comité au sujet de la dynamique des travaux de la Coupe, dans ce stade et dans les autres où, à un moment ou à un autre, on a déjà eu des grèves, des accidents et des morts?
Serginho Lima: Pour ma part, je suis nouveau dans le comité. Nous, dans la zone Est et à Itaquera, nous essayons depuis peu d’approcher les habitants du quartier afin de nous unir à leur lutte, une lutte pour la défense de leurs droits menée par la communauté et les résidents. Il y a des personnes plus engagées que moi pour parler de cette question. Mais il y a des choses faciles à voir sur le positionnement des ouvriers et des ouvrières avec lesquels nous avons des contacts (il y a aussi des femmes sur le chantier, des habitantes du quartier).
Correio da Cidadania: Qu’en est-il des questions sociales soulevées par ce chantier? Que pouvez-vous nous dire au sujet des déplacements forcés de familles pauvres vivant près du stade?
Serginho Lima: Sur ce point, je suis plus à l’aise pour vous parler. Je suis depuis 40 ans à Itaquera et nous avons été contraints à nous mettre en lutte, pour des revendications qui n’existaient pas et que nous ne pouvons faire aboutir. Nous commençons à comprendre que l’histoire de «l’héritage durable de la Coupe» est un grand mensonge. Aujourd’hui même, le 4 décembre 2013, j’ai reçu un appel d’un des leaders de l’occupation de la favela da Paz, celle qui se trouve le plus près du stade. Nous aidons ces gens à organiser un bureau d’accueil, à comprendre les enjeux de ce dossier et à parvenir à obtenir des informations.
Le 23 octobre, à la sous-préfecture d’Itaquera, une audience publique avec cette communauté a eu lieu. Et auparavant, a été publié un document cadastral où il a été stipulé que parmi les 377 familles, les 101 familles du dit «secteur 1» de l’occupation seraient les premières réinstallées. Et que pour les familles restantes, on verrait plus tard. Et ils ont dit que les 101 familles devraient quitter le territoire occupé de la favela da Paz en raison de l’expansion des travaux autour du stade.
Ce jour d’octobre où cette annonce a été faite est passé… et rien ne s’est passé pour ces familles qui sont désespérées. Le chantier est en train d’envahir leurs maisons (le tunnel, le pont) et jusqu’ici, aucune réponse ne leur a été donnée. Il n’existe que cette indécision, ce silence et cette absence de positionnement de la part de l’autorité officielle sur ce qui arrivera à ces familles.
Correio da Cidadania: Et que dire du développement et du progrès que l’on a promis d’apporter à cette région au bénéfice de sa population? Comment s’est déroulé tout ce processus qui a lieu au nom du tant vanté «d’héritage duravle» de la Coupe?
Serginho Lima: Pour ce qui est de la santé publique, nous pouvons vous dire que la situation est très mauvaise. Cette même communauté de laquelle nous sommes en train de parler n’a pas droit au dit Programme de santé de la famille. Et même dans les autres quartiers comme le mien, qui se trouve à 10 minutes en voiture du stade, nous n’observons aucune amélioration pour le peuple sur cette question d’accès aux soins.
Moi, je ne vais pas participer à la Coupe, je ne veux pas me trouver dans ce stade. Le spectacle de foot sera sûrement très beau, mais nous nous rendons bien compte que tout le blabla autour de la Coupe, des améliorations apportées au quartier d’Itaquera et du thème «Itaquera au centre du monde» est un monstrueux appât, une propagande trompeuse. Cela devrait être bon pour tous, pas seulement les entrepreneurs et les institutions concernées. Mais ce n’est pas ce qui est en train de se passer.
Vous pouvez venir ici et nous pourrons vous donner des détails, même en organisant un débat contradictoire. Tout cela est visible et je crois que quiconque s’arrêtera à Itaquera, près du métro ou un peu plus loin même, pourra le confirmer. Nous pouvons contempler un tunnel, un pont, pas encore terminé d’ailleurs, et un parc autour, un «parc linéaire» (un espace vert plus long que large) qu’ils disent ne pas être une «œuvre» de la Coupe. Ils disent qu’il était déjà prévu auparavant. Et rien à part cela.
Cette semaine même, il m’est parvenu la demande d’une mère d’une communauté proche de celle d’Itaquerão, qui cherche depuis 2012 une place de crèche pour son fils. C’est absurde, on voit bien là qu’il n’y a aucun investissement dans l’éducation, dans la santé et dans l’infrastructure du quartier. Les remèdes et autres produits de première nécessité mettent très longtemps pour arriver jusqu’à nous, même de manière limitée… Et c’est pour cette raison que l’indignation se fait chez nous plus forte que la joie.
Correio da Cidadania: Pour vous qui avez vécu 40 ans à Itaquera, vous remarquez dans le quartier une maturation du processus politique et une plus grande familiarité avec les mouvements sociaux. Mais, au quotidien, quelles sont vos conversations avec le voisinage, les personnes du quartier avec qui vous avez toujours eu des contacts? Existe-t-il une insatisfaction généralisée, ou bien y a-t-il encore beaucoup de personnes enthousiasmées par tous les discours, les promesses et le «cirque» faits autour de la Coupe ?
Serginho Lima : De manière générale, on a déjà assisté à une joie plus grande. Lorsqu’il a été annoncé que le Brésil serait le pays de la Coupe, ou plus encore, quand Itaquerão a été confirmé en tant que siège de la Coupe à de São Paulo. Enfin, il y avait tout ce contexte. Je dois avouer qu’il en a été de même pour moi. Mais, depuis lors, nous avons ouvert les yeux. Et la population commence à comprendre les choses qui se cachent sous tout cela. Elle ne prend pas conscience de ces choses à travers ce qu’en disent les grands médias, mais à travers la voix de la rue et des luttes. Nous faisons partie d’une parcelle du peuple qui s’est effectivement réveillée un peu plus tard.
Il existe la passion pour le foot, sans doute. Toutefois, vous parlez maintenant avec des personnes qui disent : «Ecoutez, nous n’avions pas besoin de Coupe à ce moment exact de notre vie, vu la manière dont nous sommes traités et dont les choses se passent ici». Je parle du peuple même, en général, non de militants qui sont en lutte. Je parle de la population qui prend son tram, son métro, qui va au centre et qui en revient, fatiguée. Ces personnes vont te dire qu’elles aiment le foot, qu’elles l’adorent même, mais qu’elles n’avaient pas besoin de Coupe, pas à ce moment et pas de cette manière. C’est certain que la grande majorité des gens dirait cela en ce moment.
Correio da Cidadania: Par rapport au tableau que vous décrivez ici, quelles seront les prochaines activités politiques du Comité et aussi des habitants d’Itaquera ?
Serginho Lima: De manière générale, de grandes manifestations sont prévues à nouveau. Je pense que cette clameur, qui a commencé au mois de juin, continuera et que le quartier d’Itaquera ne va pas se montrer indifférent. Je le dis avec certitude, nous aurons d’autres manifestations. Et pendant la Coupe aussi. Je peux me tromper, mais c’est ce que je vois se profiler. Et cela aussi en raison de nouveaux événements dont les pouvoirs publics de la région seront responsables. (Traduction A l’Encontre)
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Gabriel Brito et Leandro Iamin sont journalistes auprès de Correio da Cidadania.
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