Brésil-débat. «Un PAC revient: un autre développement est possible»

Lula et Rui Costa (Agência Brasil)

Par Cauê Campos (São Paulo)

Lors de la réunion ministérielle du gouvernement Lula du 10 mars, Rui Costa [membre du PT, de 2015 au 1er janvier 2023 gouverneur de l’Etat de Bahia], ministre-chef de la Casa Civil [chef de cabinet auprès du président de la République ]a annoncé le lancement pour avril du «nouveau PAC» [Programa de Aceleração do Crescimento, avec un centre de gravité sur les infrastructures]. Selon Rui Costa, le nouveau Programme d’accélération de la croissance se concentrera sur la reprise des travaux paralysés au cours des dernières années, ainsi que sur le lancement de nouveaux projets.

Dans les PAC 1 et 2 (2007-2014), près de 2000 milliards de reais ont été investis dans le but de «briser les goulets d’étranglement» du développement économique du pays. Grâce à des PPP (partenariats public-privé) ces projets ont abouti à la construction de routes, de ports, d’aéroports, de centrales hydroélectriques et de complexes industriels. Certains projets ont eu des répercussions nationales et internationales, comme le barrage et la centrale hydroélectrique de Belo Monte [1], le COMPERJ [Complexo Petroquímico do Rio de Janeiro, très grand complexe incluant une raffinerie; il a nécessité un investissement de près de 9 milliards de dollars] et le complexe de Suape [complexe intégrant un port et un ensemble industriel, situé dans l’Etat de Pernambuco, placé sous direction de l’Etat fédéral]. Le programme «Ma maison, ma vie», la Coupe du monde de football de 2014 [avec ses stades gigantesques et les déplacements de populations paupérisées] et les Jeux olympiques et paralympiques de Rio de Janeiro de 2016 ont également fait partie du PAC.

Le PAC était donc une tentative de promouvoir le retour de l’Etat en tant que catalyseur de l’économie, en partant du principe que la bourgeoisie, en particulier la bourgeoisie brésilienne, n’investira pas dans des travaux d’infrastructure pour «éliminer les goulets d’étranglement» qui entravent le développement du Brésil. Ainsi, par le biais des PPP, l’Etat inciterait la bourgeoisie à investir dans la production du pays, ce qui permettrait de faciliter les conditions de production. Cependant, nous ne pouvons pas rejeter la perception selon laquelle les PPP sont une forme de privatisation, dans la mesure où l’exécution des travaux et des services publics est déléguée à des firmes privées.

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Nous pouvons affirmer que la bourgeoisie n’investira pas dans les travaux d’infrastructure, car nous savons quelle est l’attitude de la fraction dirigeante de la bourgeoisie brésilienne en tant que «bourgeoisie interne» qui occupe un statut intermédiaire entre la bourgeoisie dite nationale – qui cherche à établir un projet fort, indépendant de l’impérialisme – et une bourgeoisie compradore, complètement liée à la bourgeoisie impérialiste et dépendante d’elle. En d’autres termes, alors que la bourgeoisie brésilienne a ses propres intérêts et les défend, elle cherche à se positionner sans conflit en tant que «partenaire prioritaire» du capital étranger.

Ainsi, le PAC est un moyen de résoudre les problèmes concrets du développement du Brésil, même si c’est dans les limites du capitalisme à l’ère néolibérale. Après six ans de lenteur ultranéolibérale imputée aux gouvernements de Michel Temer [août 2016 à décembre 2018] et Jair Bolsonaro [1er janvier 2019 à 1er janvier 2023], il est nécessaire de «briser ces goulets d’étranglement» au développement. Par conséquent, il est effectivement urgent de disposer d’un nouveau programme d’accélération de la croissance. Toutefois, 16 ans après le lancement du PAC 1, il est nécessaire de tirer des leçons de certaines erreurs commises dans les premières versions.

Nous trouvons trois erreurs principales dans les visées du PAC original: 1° il renforce la nature primaire-exportatrice de l’économie brésilienne; 2° il cause des dommages irréparables à l’environnement; 3° il n’a pas garanti des conditions de travail adéquates pour les travailleurs et travailleuses engagés dans ces projets.

  1. Si nous analysons les réalisations du PAC, nous constatons que la plupart d’entre elles – à l’exception bienvenue de «Ma maison, ma vie» – réaffirment la spécialisation de l’économie brésilienne dans l’exportation de produits de faible valeur globale (tels que le soja, les oranges, les protéines animales, le pétrole brut, le minerai de fer, etc.) Ainsi, les routes relient les régions fortes en agro-industrie aux ports; les centrales hydroélectriques sont destinées à alimenter l’extraction de minerais, comme l’aluminium, et les régions du sud, du sud-est et du centre-ouest – sans se soucier des régions moins bien approvisionnées en lumière, comme le nord [2] et le nord-est.
  2. Même Lula a reconnu le désastre environnemental causé par les divers travaux du PAC lorsqu’il s’est engagé à ce que «Belo Monte ne se reproduise plus jamais», ce complexe (barrage-lace de retenue et centrale électrique) a été un symbole de la destruction de l’environnement et de l’atteinte à la vie des peuples indigènes durant les gouvernements du PT-Lula et Dilma Rousseff (2003-2016). Mais il y en a d’autres, comme le complexe portuaire de Suape qui a grandement affecté l’écosystème maritime de la région de Pernambuco. On peut encore citer COMPERJ, qui – outre les impacts sur la Forêt atlantique centrale [Mata Atlântica fluminense: un biome de type forêt tropicale humide localisé le long du littoral du Brésil] – entraînerait le Brésil dans la production et la combustion de quantités inimaginables de combustibles fossiles, alors que le monde est en train de prendre une autre voie [?] dans le débat sur l’énergie.
  3. Bien qu’ils aient créé de nombreux emplois, les chantiers du PAC ont été marqués par les bas salaires perçus par les travailleurs, les terribles conditions de logement et de travail, les accidents du travail en grand nombre et des morts durant les travaux [caractéristiques de ce type de travaux dans les conditions socio-économiques les présidant], tels que Maracanã [le stade situé au nord de la ville de Rio] et Belo Monte. Des conditions désastreuses qui ont eu un écho à l’échelle nationale.

En soulignant ces erreurs, nous n’avons pas l’intention de nier la nécessité d’un plan national de travaux. Au contraire, nous voulons montrer qu’il est possible de croître et de se développer en tant que pays d’une autre manière, humainement et écologiquement durable. Nous aborderons successivement quatre propositions pour un PAC réellement nouveau.

Il est nécessaire de rompre avec le caractère exportateur de biens primaires de l’économie brésilienne

La position imposée par l’impérialisme au Brésil est celle de l’exportation de produits agricoles, de minéraux et de produits à faible valeur ajoutée en général. Un nouveau PAC doit viser à rompre avec cette situation, nous devons mettre en œuvre une croissance orientée vers la production de biens d’équipement, ceux qui sont utilisés pour produire d’autres biens et services; des produits et services technologiques de troisième et quatrième génération; des automobiles, des avions, des trains de marchandises et de passagers, etc.

Il est ainsi possible de réduire la dépendance à l’égard des produits agricoles et minéraux, à faible valeur ajoutée, tout en luttant contre les positions rentières propres à ces secteurs et contre la spéculation financière, dont les acteurs furent les principaux artisans du coup d’Etat contre Dilma Rousseff [en août 2016].

Un tel développement n’est pas possible sans investissement dans l’éducation à tous les niveaux, mais aussi dans la science et la technologie. Tout d’abord, pour mettre fin à la «fuite des cerveaux» du Brésil vers les pays du centre, mais aussi pour produire des technologies «nationales», destinées à la production brésilienne. Le plan devrait inclure la construction d’écoles, d’universités, de centres de recherche scientifique et de développement technologique.

Transition écologique

Parallèlement, il est nécessaire de promouvoir une transition verte, écologique, c’est-à-dire transformer la structure énergétique [extraction, production, etc.] et le modèle de production en quelque chose de plus durable et de moins nocif pour l’environnement. Cette transition verte devrait être un levier du PAC, c’est-à-dire qu’il pourrait y avoir des lignes de crédit précisément pour promouvoir la transition, en encourageant les entreprises et les personnes à remplacer les produits plus nocifs pour l’environnement par des produits plus durables.

Par exemple, il faut opérer une transition énergétique [3] dans le pays, en abandonnant les combustibles fossiles et les centrales hydroélectriques, le Brésil ayant un grand potentiel pour les énergies «plus propres», comme l’éolien, le solaire et même l’énergie de la mer. Au lieu de construire une douzaine de centrales hydroélectriques comme les PAC 1 et 2, le nouveau PAC pourrait construire plusieurs «centrales» éoliennes et solaires dans le pays, en particulier dans la région du Nord-Est, qui manque encore d’électricité à l’intérieur des Etats.

La nouvelle «Minha Casa, Minha Vida» peut produire des maisons «vertes», avec des panneaux solaires, des espaces verts communs aux bâtiments et aux maisons, en utilisant des matériaux recyclés, moins polluants et avec une efficience thermique – évitant le besoin d’air conditionné ou de chauffages.

En outre, après le processus de fermeture de plusieurs constructeurs automobiles au Brésil, la réindustrialisation de l’économie brésilienne peut se faire par l’incitation à la production de voitures électriques pour remplacer les voitures à carburant fossile; une tendance mondiale qui pourrait faire du pays un exportateur de ces voitures vers l’Amérique latine et l’Afrique, par exemple.

Conditions de travail

Les projets de construction au centre des PAC 1 et 2 ont été placés sous le signe des salaires bas, des heures de travail épuisantes, de nombreux accidents du travail et de nombreuses grèves contre les conditions de travail, de logement et de salaire déplorables. Cette situation ne peut plus se reproduire. Il est nécessaire de fixer des conditions de travail décentes pour les entreprises participant aux nouveaux projets PAC, avec des salaires planchers nationaux, un contrôle par l’Etat de la rémunération et des heures supplémentaires sur les chantiers de construction, une surveillance et une inspection constantes par l’Etat des conditions de logement, un recensement et dépistage des accidents du travail et des sanctions visant des entreprises ayant un nombre élevé d’accidents.

Les entreprises qui ne respectent pas ces conditions devraient voir leurs contrats suspendus et être empêchées de participer à d’autres appels d’offres de travaux publics, principalement pour le PAC.

Entreprise de travaux publics

Le secteur des grands travaux de construction au Brésil est dominé par le cartel de quelques méga-entreprises de construction civile, que nous connaissons tous et qui sont celles qui peuvent réaliser des travaux de construction de centrales électriques, d’aéroports, de routes, etc. Si ces entreprises refusent d’exécuter ces travaux dans les conditions sus-mentionnées, il est nécessaire et possible que l’Etat brésilien crée une entreprise de travaux publics, respectant les conditions de travail et d’environnement afin de réaliser un développement respectueux en termes humains et écologiquement durables.

En outre, l’exécution de ces travaux par une entreprise publique peut les rendre moins coûteux, car ils ne seraient pas soumis aux exigences de profits absurdes imposés par les mégaconstructeurs. La nouvelle PAC peut être utilisée du début à la fin pour le développement de cette entreprise de travaux publics, d’abord en encourageant la production des machines utilisées dans les grands travaux (camions, tractopelles, tracteurs, etc.) et ensuite en finançant les travaux à exécuter par cette entreprise publique sans avoir à recourir aux taux d’intérêt du marché spéculatif.

Une entreprise publique de construction devrait recourir à des appels d’offres publics pour embaucher des travailleurs, en proposant de meilleurs salaires et la stabilité de l’emploi, ce qui mettrait fin à la forte rotation dans le secteur de la construction. En outre, elle devrait faciliter l’inspection des conditions de travail et de logement sur les chantiers.

Enfin, un «nouveau PAC» est non seulement possible, mais nécessaire pour inverser le processus de désindustrialisation et de «primarisation» de l’économie brésilienne. Mais ce PAC doit être réellement nouveau, être pensé afin de construire un pays préparé pour l’avenir, avec de nouvelles technologies, un développement éducatif et scientifique, des conditions de travail décentes pour tous les travailleurs, et fondé sur une transition verte, un PAC soucieux de l’environnement et connecté. (Article publié sur le site Esquerda online, en date du 14 mars 2023, modifié le 17 mars 2023, site du courant Resistencia du PSOL; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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[1] Le grand barrage est situé sur le Rio Xingu, situé dans l’Etat fédéral du Pará. Il est associé à une centrale hydroélectrique de 11 233 MW, la quatrième la plus puissante du monde, mise en service en 2016. Cette construction a fait l’objet de débats et d’oppositions nombreuses, d’interventions de la justice, étant donné son impact sur l’environnement et sur des collectivités voisines, entre autres des dizaines de milliers «d’indigènes». (Réd. A l’Encontre)

[2] Même si la plupart des centrales hydroélectriques se trouvent dans le nord du pays. (C.C.)

[3] Dans le système, actuel, la validité de l’idée de «transition énergétique» est battue en brèche sur une base empirique sérieuse, entre autres par Jean-Baptiste Fressoz. Voir ici, outre ses ouvrages, son exposé : https://youtu.be/p5VEy2IjDMs (Réd. A l’Encontre)

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