Dans le milieu des distributeurs de pots-de-vin brésiliens, on l’appelait «l’Italien». Antonio Palocci [1], 56 ans, poids lourd du Parti des travailleurs (PT), sera-t-il le fossoyeur de l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, «père des pauvres» et, à ce jour, favori de l’élection présidentielle de 2018?
Mercredi 6 septembre, l’ancien ministre de l’économie de Lula, qui purge une peine de douze ans de prison pour «corruption» et «blanchiment d’argent», est passé à table. Après s’être muré de longs mois dans le silence, «l’Italien» est devenu bavard. Très bavard.
Devant le juge anti-corruption Sergio Moro, il confesse que Lula a conclu un «pacte de sang» avec Emilio Odebrecht, le dirigeant du groupe de BTP du même nom, au cœur du plus gros scandale de corruption de l’histoire du pays.
Une expression digne de la mafia calabraise qui, ajoutée au compte rendu détaillé de réunions crapuleuses auxquelles auraient participé l’ancien chef d’Etat ainsi que sa dauphine Dilma Rousseff, accable l’ex-syndicaliste déjà condamné en première instance à plus de neuf ans de prison.
«C’est terminé, fini», souffle un proche du PT, jugeant inévitable l’abandon de la candidature de Lula avant même une éventuelle condamnation en seconde instance, qui le rendrait inéligible. «Fin de partie», abonde un billet du quotidien O Globo, jeudi. «Lula saigne», enchérit l’éditorial de la Folha de Sao Paulo, vendredi. «Cette délation est bien plus grave que toutes les autres car elle vient du cœur du pouvoir du PT et non d’un adversaire. Elle est potentiellement destructrice», commente Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo.
En deux heures d’interrogatoire, qui a été filmé et rendu public, Antonio Palocci comble les trous d’une enquête suspectant Lula d’avoir orchestré un vaste schéma de corruption consistant à piller le groupe public pétrolier Petrobras pour financer les partis politiques, tout en bénéficiant des largesses d’entrepreneurs comme Odebrecht.
«Certaine panique»
Le «pacte de sang» qu’auraient conclu, fin 2010, Lula et Emilio Odebrecht visait à garantir au patron de BTP l’attribution de contrats publics. L’icône du peuple, élue en 2002 et réélue en 2006, s’apprête alors à laisser la place à Dilma Rousseff. La passation de pouvoir suscite une «certaine panique» chez Odebrecht, confesse M. Palocci: l’ancienne guérillera (Dilma), à la réputation de femme intègre, a, par le passé, refusé plusieurs chantiers à l’entreprise.
Pour verrouiller ses liens avec le gouvernement, Emilio Odebrecht offre une réserve de fonds pour le PT de 300 millions de reais (81 millions d’euros), ainsi que divers cadeaux à Lula: la restauration d’une résidence de villégiature à Atibaia, dans l’Etat de Sao Paulo, des conférences rémunérées 200’000 reais hors impôts, un terrain pour bâtir le nouveau siège de l’institut Lula et un appartement à Sao Bernardo do Campo, dans la périphérie ouvrière de Sao Paulo, fief de l’ancien métallo.
D’abord surpris, Lula se laisse faire. Puis convie Dilma Rousseff à une réunion avec Emilio Odebrecht afin de garantir la relation privilégiée du groupe «dans tous ses aspects, licites et illicites», affirme l’ex-ministre. «Mensonges», dénonce aujourd’hui Dilma Rousseff qui fut destituée en avril 2016.
Considéré comme l’homme de confiance de Lula, M. Palocci décrit la machinerie Petrobras. Nous sommes en 2007. «Lula s’assied avec moi et me dit qu’il a entendu parler de corruption émanant de différentes directions de Petrobras.» Je lui dis: «C’est vrai», raconte le quinquagénaire. D’abord inquiet, Lula laisse finalement de côté ses préoccupations éthiques après la découverte de réserves de pétrole offshore sur la côte atlantique, et encourage même, dit M. Palocci, l’utilisation illégale de ce jackpot.
Animal blessé, Lula, 71 ans, crie à la persécution. Tout juste revenu d’une tournée aux allures de précampagne électorale dans le Nordeste, où il fut adulé aux cris de «Le Brésil a besoin de Lula et Lula a besoin de vous», le vieux lion dénonce des «accusations sans preuve» obtenues «sous la pression» dans l’espoir d’une remise de peine [pour Palocci].
Au Brésil où l’accumulation de scandales vire au grotesque, les propos de M. Palocci ajoutent au discrédit d’un monde politique qui semble à l’agonie. La gauche, la droite, la présidence de la République, les instances organisatrices des Jeux olympiques de 2016 et même le parquet sont mouillés dans diverses manigances. Le choc va-t-il signer le crépuscule de Lula?
«Kyrielle d’accusations»
«Les Brésiliens les plus humbles se désintéressent totalement de la politique et n’ont foi qu’en Lula. Pour eux, la kyrielle d’accusations, jugées sans preuve, peut avoir agi comme un vaccin», pense le politologue Ruda Ricci.
Face aux affaires, le gamin miséreux du Sertao a déjà démontré sa résistance. Et serait, selon ses proches, déterminé à se battre. Le PT, féroce lors des campagnes, pourrait facilement discréditer M. Palocci. «En termes juridiques, les délations sont décrites comme une “prostitution de la preuve” et la moralité de M. Palocci peut être questionnée», souligne M. Ricci, évoquant ses précédentes condamnations et sa réputation d’homme aux mœurs légères.
Il n’empêche. Ces confidences, divulguées au lendemain d’une demande de mise en accusation déposée par le procureur général de la République, Rodrigo Janot, à la Cour suprême, prennent des allures de coup de grâce.
Lula, à l’instar de son ex-protégée Dilma Rousseff ainsi que divers cadres du PT, incluant M. Palocci, sont dénoncés pour «organisation criminelle». Anticipant la sortie de scène de son champion, le PT réfléchit déjà à une alternative à Lula. (Article publié dans le quotidien Le Monde daté du 10 septembre 2017)
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[1] Antonio Palocci Filho, médecin de formation, a été ministre des Finances dans le gouvernement Lula jusqu’en mars 2006. De janvier à juin 2011, il fut chef de cabinet de Dilma Rousseff, choisi par elle, car il fut le principal organisateur de sa campagne électorale présidentielle en 2010. Il dut démissionner de ce poste pour gestion malhonnête (entre 2006 et 2010 son patrimoine augmenta de 20 fois) et fut, par la suite, condamné. Dans les années 1980, il militait dans l’organisation Convergence socialiste. Agé d’un peu plus de 25 ans, il occupa divers postes dans le mouvement syndical (Centrale unique des travailleurs – CUT) en lien avec le secteur de la santé et eut la responsabilité de mettre sur pied des structures de santé ambulatoires pour les travailleurs.
Il faut toutefois rappeler que Palocci, lors de son premier mandat de maire dans la ville de Ribeirão Preto – la neuvième ville de l’Etat de Sao Paulo avec environ 700’000 habitants –, lança la privatisation de la Centrale téléphonique de Ribeirão Preto, qui se concrétisa en 1998. Mais cela ne l’a pas discrédité. Il s’est consacré pleinement à la campagne de 2002 pour l’élection de Lula. Il devint alors «l’homme fort de l’économie», prisé par les milieux dominants – qui, de plus, avaient pleine confiance dans le banquier central choisi par Lula, Henrique Meirelles, actuel ministre des Finances de Michel Termer – et chéri par le réseau médiatique O Globo. Plongé dans le monde des affaires, il n’est pas le premier cadre du PT être condamné; sur la liste figurent José Dirceu, José Genoino et Joao Vaccari Neto. Mais Palocci est le premier, de cette stature, qui lance des accusations contre des dirigeants du PT, Lula entre autres, avant même de passer un accord pour délation, afin de diminuer sa peine. Système utilisé en Italie pour «lutter contre la mafia». Actuellement, face aux accusations lancées contre Temer, le gouvernement et une partie de la Justice veulent relancer la bataille contre la corruption – bien réelle – en visant prioritairement les ex du PT afin de tenter de mieux mettre entre parenthèses celles auxquelles est suspendu le sort de Michel Temer.
En novembre 2016, le juge fédéral Sergio Moro valida la dénonciation du Ministère public fédéral et Palocci apparut comme un des acteurs de l’opération de recyclage de sommes importantes, connue comme l’opération «Lava Jato». En juin 2017, il fut condamné à une peine de prison de 17 ans (il est né en octobre 1960). Que les accusations tombent maintenant et soient faites par Palocci ne tranchent ni avec le système corrompu bien établi, ni avec le profil de Palocci. (Réd. A l’Encontre)
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