Par La Izquierda Diario
Dans son discours devant le Congrès le 1er mars [contrairement à ce qui était prévu, il l’a fait le soir, debout derrière un pupitre], le président a justifié son gigantesque plan d’ajustement et la mise en œuvre des contre-réformes structurelles. Il a ouvertement menti en disant que ce plan était financé par la «politique» [1], alors qu’en réalité il est financé par les majorités. Il a présenté un «paquet de lois anti-caste» démagogique visant les politiciens, les syndicalistes, les juges, les députés et les journalistes. A la fin, Milei a proposé un «pacte» qui implique une acceptation de l’ensemble de son plan, offrant en échange un pacte de soulagement budgétaire pour les provinces [dans le système fédéral argentin, elles dépendent en partie des revenus du pouvoir fédéral], mais, comme un monarque, il a menacé d’avancer par décret si les lois n’étaient pas adoptées par le législatif [2]. Nous devons faire face à sa démagogie et à son plan qui appauvrit le peuple. Sur la Plaza de los Dos Congresos il y a eu une journée de protestations, de manifestations – avec une grande audience – avec des «molinetazos» [utilisation massive du métro sans payer, en enjambant les portes].
Quelques minutes avant 21 heures, le président Javier Milei a commencé son premier message en tant que président devant l’Assemblée législative. Auparavant, il était arrivé en grande pompe, entouré de grenadiers, depuis la Quinta de Olivos [résidence officielle du président].
A l’extérieur, sur la Plaza de los Dos Congresos, une manifestation de quelques milliers de personnes issues d’assemblées populaires, de centres étudiants, de secteurs syndicaux combatifs et de la gauche a exprimé son rejet du président et de ses politiques d’austérité brutales.
Auparavant, des «molinetazos» avaient été organisés contre les tarifs dans les stations de Once, Constitución, Retiro et d’autres stations. Ces manifestations ont eu un impact considérable. Elles s’inscrivent dans le cadre des manifestations qui se déroulent depuis le 20 décembre de l’année dernière contre les plans du gouvernement. Depuis lors, il y a eu des assemblées populaires, des actions coups de poing, une grève nationale [le 24 janvier] – sans reconduction – convoquée par la CGT et une succession de conflits de différents syndicats face à l’explosion de l’inflation. Mais la journée de protestation de ce vendredi 1er mars aurait pu être beaucoup plus importante sans le nouveau retrait des leaders syndicaux qui divisent les luttes.
La retransmission officielle à la télévision nationale a été proprement scandaleuse. Après avoir présenté le président embrassant et souriant avec la vice-présidente Victoria Villarruel [qui se déclare favorable aux militaires, à la dictature et pour «un régime d’ordre»] – démentant en apparence les rumeurs de désaccords internes diffusés dès le mois de janvier – la retransmission a montré ceux qui l’acclamaient tout au long du discours, cachant l’opposition et les manifestants qui se trouvaient à l’extérieur. Un découpage de la réalité typique de quelqu’un qui a l’intention d’établir un régime monolithique et autoritaire.
Dans une allocution lue intégralement, qui a duré un peu plus d’une heure, Javier Milei est revenu sur certains des thèmes classiques de sa rhétorique et a également fait quelques annonces. Dès le début, il a attaqué la gauche à trois reprises et a fait allusion à sa reconnaissance de la dernière dictature militaire.
Une grande partie de son message était prévisible [voir extraits ci-dessous]. Comme il le fait depuis son entrée en fonction, il a consacré de longs passages à la description de l’héritage qu’il a reçu, afin d’en faire un argument pour justifier son vaste plan d’austérité. Il a dénoncé le «populisme» et «l’Etat présent», l’émission monétaire, «l’orgie de dépenses publiques», la dette «au bord du défaut», les réserves en devises négatives, les prix réprimés [il milite pour la libéralisation complète des prix, entre autres alimentaires] et l’écart de taux de change [dollar-peso], entre autres. Tout cela pour justifier que nous nous trouvons dans le «moment le plus critique de l’histoire».
Il a également dénoncé avec démagogie un système «en faillite morale et injuste qui ne génère que des pauvres et une caste qui vit comme des monarques», composée de politiciens qui reçoivent des pots-de-vin, de médias qui vivent des subventions [il propose leur suppression], d’hommes d’affaires jouissant de prébendes et de syndicalistes qui promeuvent un régime de travail qui ne leur profite qu’à eux.
Face à cela, selon la caractérisation de Milei, «une majorité silencieuse a élevé la voix: ceux qui travaillent, qui produisent, les travailleurs indépendants, les femmes au foyer, les travailleurs ruraux». Cette Argentine «s’est réveillée» et l’a conduit à la Casa Rosada lors des élections, La Libertad Avanza [parti de Milei] étant «une nouvelle force, sans gouverneurs [de provinces], sans députés, sans rien, mais qui sait ce qu’elle doit faire et qui en a la conviction. La victoire ne dépend pas du nombre de soldats mais des forces du ciel.»
Il a ensuite énoncé l’un des principaux mensonges de son discours: que le plan d’ajustement est payé par la «politique», alors qu’en réalité depuis ses 82 jours au gouvernement s’est opéré un transfert de revenus de plusieurs millions de la classe ouvrière et des classes moyennes vers les grands hommes d’affaires des secteurs de l’énergie, de l’alimentation et de l’exportation, qui sont les bénéficiaires de son plan.
Selon Milei, il avait annoncé que «l’effort allait en valoir la peine, pour mettre fin à l’inflation, pour réaliser des réformes structurelles, pour mettre fin à l’apartheid politique où les politiciens et leurs amis sont des citoyens de première classe et les Argentins des citoyens de seconde classe».
Faisant le bilan du début de son gouvernement, il a déclaré qu’il réalisait le «programme le plus ambitieux de mémoire d’homme» et a poursuivi en justifiant les axes de l’ajustement budgétaire, de la déréglementation du DNU [décret de nécessité et d’urgence qui vise à abroger 300 normes, depuis l’encadrement des loyers, la protection des travailleurs jusqu’aux limites aux privatisations], de la réduction de l’émission monétaire, de la répression de la protestation sociale [Patricia Bullrich, ministre de la Sécurité, en constitue l’avant-garde], de l’attaque contre les syndicats et les organisations sociales, de la suppression de l’Inadi (Instituto Nacional contra la Discriminación, la Xenofobia y el Racismo), de l’annonce de la fermeture de l’agence de presse publique Télam [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 16 février], entre autres.
Cependant, il a annoncé que «tout ceci n’est que la surface des grands changements» et qu’il «enverrait un paquet de lois anti-caste» qui éliminerait les pensions privilégiées des présidents et des députés, qu’il réformerait les syndicats avec des changements dans l’élection des directions et des limites aux réélections, qu’il donnerait la priorité aux accords d’entreprise plutôt qu’aux accords de branche, qu’il mettrait en œuvre une sorte de «casier vierge» pour empêcher la candidature de dirigeants politiques comptant des condamnations, qu’il modifierait le financement des partis politiques et pénaliserait l’émission de monnaie pour financer le déficit [il a qualifié de «crime contre l’humanité» l’approbation d’un budget déficitaire financé par une l’émission monétaire], entre autres.
Sur ces aspects, un passage clé de son discours a consisté à déclarer que «nous avancerons avec des lois, des décrets ou en modifiant des règlements», confirmant son intention de gouverner comme un monarque. Il l’a fait dès le début avec le méga DNU et en demandant ensuite des délégations de pouvoirs dans la loi dite Omnibus. Toutefois, il a finalement dû la retirer [fin janvier]. Il y a dénoncé la «défiance» des dirigeants politiques et syndicaux qui ne veulent pas de changements et a averti que «nous ne sommes pas venus ici pour jouer le jeu médiocre de la politique, du donnant-donnant, de l’échange de faveurs. Nous voulons vraiment changer le pays, nous ne négocions pas le changement.»
Vers la fin, cependant, il a fait une proposition qu’il a appelée le «Pacte de mai» en échange d’un «soulagement budgétaire pour les provinces» (voir en fin d’article la traduction de la déclaration de Milei titrée «Pacte de mai»).
Après le discours du président, quelques voix se sont élevées, prêtes à accepter la négociation de ce plan brutal d’ajustement et de réformes structurelles, tandis que la bureaucratie syndicale de la CGT (Confederación General del Trabajo de la República Argentina) et de la CTA (Central de Trabajadores de la Argentina, fondée en 1991, scission de la CGT) poursuit sa trêve malgré la détérioration accélérée des conditions de vie de la majorité populaire.
Il n’y a rien à attendre de la démagogie ultra-droitière du président, ni des gouverneurs des différents partis politiques qui s’adaptent dans leurs provinces et cherchent à négocier avec Milei. Il faut renforcer l’auto-organisation par le bas, comme le font les assemblées populaires, donner du poids à la lutte dans la rue et, à partir de là, lutter pour arracher les directions bureaucratiques à leur passivité et imposer une nouvelle grève nationale dans la perspective d’une grève générale pour mettre en échec le plan d’ajustement. Cela dans le cadre d’un programme contre le gouvernement de droite mais aussi indépendant du péronisme, qui est également responsable de nous avoir conduits dans cette situation. (Article publié sur le site La Izquierdia Diario, organe du PTS-Parti des travailleurs socialistes et du Frente de Izquierdia, le 1er mars 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
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Le Pacte de mai
«Le premier jour du mois de mars de l’an de grâce 2024, les représentants du peuple réunis au Congrès de la Nation, sous le regard de l’Eternel, nous déclarons la nécessité d’un nouveau pacte fondateur pour la République argentine.
Le Président de la Nation, Javier Milei, convoque les vingt-trois provinces et la Ville Autonome de Buenos Aires à signer le 25 mai de cette année, dans la juridiction de Cordoba, cœur productif de notre Patrie, un accord en dix points qui renouvelle les Fondations de l’Argentine.
Ces orientations seront soumises à l’approbation préalable de la «Loi des Bases et des Points de Départ pour la Liberté des Argentins» [«méga-décret» signé par la présidence le 20 décembre] présentée et d’un nouveau pacte fiscal.
- L’inviolabilité de la propriété privée.
- L’équilibre budgétaire non négociable.
- La réduction des dépenses publiques à des niveaux historiques, soit environ 25% du produit intérieur brut.
- Une réforme fiscale qui réduit la charge fiscale, simplifie la vie des Argentins et favorise le commerce.
- La redéfinition de la co-participation fédérale aux impôts afin de mettre un terme définitif au modèle extorqueur actuel.
- L’engagement des provinces à progresser dans l’exploitation des ressources naturelles du pays.
- Une réforme moderne du travail qui favorise le travail formel.
- Une réforme des retraites qui assure la durabilité du système, respecte ceux qui ont cotisé et permet à ceux qui le préfèrent de souscrire à un système de retraite privé.
- Une réforme politique structurelle qui modifie le système actuel et réaligne les intérêts des représentants et des représentés.
- L’ouverture au commerce international, afin que l’Argentine redevienne un acteur du marché mondial.
Que Dieu bénisse tous les Argentins et nous accorde la sagesse et la force de surmonter les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que société et de construire un avenir prospère pour notre nation. Que les forces du ciel soient avec nous.
Javier Gerardo Milei
Président de la nation»
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[1] Milei ne dispose pas de majorité parlementaire et doit faire face à des manifestations – y compris de mobilisations devant le Congrès lors du discours où les cris résonnaient de formules telles que «la patrie ne se vend pas», «Milei, ordure, tu es la dictature» – et tente de jouer la carte apparente de «l’anti-caste» en affirmant: «Nous ne vivons pas de la politique. Nous ne vivons pas pour la politique. Loin de là. Nous n’avons qu’une soif de changement.» (Réd.)
[2] Comme le souligne la politique Lara Goyburu, sur le site du Monde du le 2 mars 2024: «Alors que les propositions du pacte devront nécessairement passer par le Congrès, Javier Milei ne s’adresse pas aux législateurs, mais à leurs “chefs”, les gouverneurs.» (Réd.)
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