Par Colette Braeckman
La Ceni – Commission électorale nationale indépendante – a fait savoir qu’elle avait besoin d’un délai de 504 jours pour pouvoir organiser le scrutin. Joseph Kabila restera donc en fonction jusqu’au début 2019 au moins.
Un ballon d’essai qui fait l’effet d’une bombe à fragmentation… A la veille de l’arrivée à Kinshasa de Nikki Haley, ambassadrice américaine à l’ONU et chargée d’évaluer la situation politique en République démocratique du Congo, le président de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), Corneille Nangaa, a peut-être voulu jeter du lest, se montrer conciliant. Il a lancé, discrètement, une «petite phrase» qui s’est révélée explosive: «La Ceni a besoin de 504 jours après la fin de l’enrôlement (c’est-à-dire du recensement) pour arriver au jour du scrutin.»
Désormais le calcul est vite fait: alors que le deuxième mandat du président Kabila se terminait officiellement le 19 décembre 2016, il n’y aura pas d’élections avant le premier trimestre de 2019 et, en outre, le chef de l’Etat aura le temps d’installer son successeur élu. Autrement dit, la perspective de voir Joseph Kabila quitter le pouvoir à l’issue d’un processus démocratique recule encore. Presque au-delà de l’horizon, car, au vu des retards déjà accumulés, rien ne permet de croire que la Ceni sera prête dans 504 jours…
Cette «petite phrase» a cependant le mérite de la clarté: elle rend caducs les accords dits de la Saint-Sylvestre qui avaient été conclus le 31 décembre 2016 entre le pouvoir et l’opposition grâce à la médiation des évêques catholiques. Les termes en étaient simples: Joseph Kabila s’engageait à ne pas se représenter, à ne pas organiser de référendum ouvrant la voie à un troisième mandat, à ne pas modifier en ce sens la Constitution. En échange, il recevait un «bonus» d’un an, jusque fin 2017, soit le temps d’organiser le scrutin promis. Il avait été convenu que, durant cette période transitoire, le Premier ministre serait issu de l’opposition, de même que le président du Comité national de suivi des accords (CNSA), un poste de «garde-chiourme» pour lequel Etienne Tshisekedi, l’intraitable opposant, semblait tout indiqué.
Un lent détricotage
Tout au long de l’année 2017, cet accord avait été patiemment détricoté: le décès d’Etienne Tshisekedi avait précipité une crise de leadership au sein du Rassemblement de l’opposition et, tranchant dans le sens de ses intérêts, le président avait fini par nommer au poste de Premier ministre Bruno Tshibala, un militant de la première heure de l’UDPS, le parti de Tshisekedi, mais récusé par l’opposition actuelle, tandis que la présidence du CNSA était confiée à Joseph Olenghankoy un opposant également contesté et connu pour ses revirements.
Ce qui permit à Didier Reynders [ministres des Affaires étrangères de Belgqiue] d’affirmer que l’esprit de l’accord de la Saint-Sylvestre n’avait pas été respecté, entraînant un refroidissement des relations entre le Congo et la Belgique. Quelque temps plus tard cependant Kabila devait confier à l’hebdomadaire allemand Spiegel : «Je n’ai rien promis », confirmant ainsi qu’il s’était agi d’un jeu de dupes, avec un seul enjeu, gagner du temps…
Gagner du temps…
Il y a longtemps que le pouvoir s’y emploie, que Joseph Kabila, entré en fonction après l’assassinat de son père en 2001, a pris goût à l’exercice du pouvoir et à ses bénéfices. Il estime, comme ses courtisans le lui répètent régulièrement, qu’à l’aune africaine, 46 ans, c’est trop tôt pour quitter la scène… Alors que l’abbé Malu Malu, premier président de la Ceni, vivait encore et avait été chargé d’organiser les élections de 2016, il avait, subtilement, été question d’un «glissement» qui aurait été justifié par les difficultés matérielles de l’organisation du scrutin.
Par la suite, effectivement, les obstacles s’étaient multipliés: le budget de l’Etat avait soudain été ramené à 4,5 milliards de dollars par an tandis que celui de la Ceni passait à 1,5 milliard de dollars. Autrement dit l’exercice de la démocratie électorale apparaissait soudain comme hors de prix, tandis que les bailleurs habituels (Union européenne, Etats-Unis, Nations unies) demandaient en vain que soit publié un calendrier crédible avant de débourser le moindre dollar.
Ralenti par le manque délibéré de prévisions et de moyens, le «glissement» allait être freiné plus encore par la situation sécuritaire: nul ne croit que les violences qui ont accablé le Kasaï [province au centre de la RDC, instauré en 2015, depuis l’éclatement du Kasaï-Occidental, capitale Luebo], provoqué plus de 500 morts, le déplacement de 1,4 million de personnes ont été uniquement le fait d’affrontements d’origine «tribale». De même, des questions se posent au sujet de la reprise des violences dans la région de Beni [nord-ouest du pays], attribuée à des groupes islamistes. Et on s’interroge sur la réapparition, au Katanga, de Gédéon Kyungu, le chef très redouté de la milice Kabata Katanga [qui revendiquait l’indépendance du Katanga] remis en liberté et visiblement réconcilié avec le régime.
Cette stratégie de la tension et les risques d’implosion du plus grand pays d’Afrique centrale inquiètent de Conseil de sécurité. L’envoyé spécial de l’ONU au Congo a confirmé que 8,5 millions de Congolais avaient besoin d’assistance humanitaire, tandis que le pays compte 3,8 millions de déplacés intérieurs et 621’000 Congolais réfugiés dans les pays voisins.
«Pompier pyromane»
Déjà mise en œuvre du temps du président Mobutu, la stratégie du «pompier pyromane», celle du «retenez-moi ou je fais un malheur, car moi seul peux rétablir le calme» est à nouveau appliquée, avec un résultat identique: «On garde le chef, et on garde le chaos»…
Face à ces blocages multiples, l’opposition et la société civile, réclament une «transition sans Kabila». Mais qui obtiendra le départ d’un homme qui peut encore compter sur les forces de sécurité, sur certains soutiens diplomatiques (les voisins africains, des pays membres du Conseil de sécurité), des moyens matériels considérables et qui, adossé à son immense fortune, est capable de jouer sur les fragilités de l’opposition? Le peuple certes peut se dresser, manifester, se révolter. Reste à savoir combien de morts il faudra mettre dans la balance, et pendant combien de temps… (Le Soir du 13 octobre 2017)
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