Alors que certains migrants subsahariens sont parvenus à quitter Tébessa pour d’autres cieux, d’autres, par manque de moyens, s’y retrouvent bloqués, ils ne peuvent plus retourner dans leur pays d’origine ni poursuivre leur voyage à Ville-commune à l’est de l’Algérie entre les massifs de l’Aurès et la frontière algéro-tunisienne) la recherche d’une vie meilleure… Etat des lieux.
Il est à peine 7h quand nous arrivons au camp qui abrite plus d’une centaine de personnes, la plupart originaires du Niger. Sous le pont menant vers la route de Souk Ahras, sur une superficie ne dépassant pas les 100 m2, s’entassent plus d’une centaine de corps: des vieux, des femmes, des enfants et surtout des jeunes allongés sur de vieux matelas de fortune tout près d’une flaque d’eau stagnante résultat des dernières précipitations qui se sont abattues récemment sur la région de Tébessa.
Tristes scènes de désolation et de misère que représentent ces familles subsahariennes à Tébessa. Alors que les uns sont partis pour mendier ou chercher de petites bricoles aux alentours des lieux publics comme d’habitude, d’autres assureront la relève pour surveiller leurs biens: des vieux ustensiles, couvertures… Après l’incendie criminel qui s’est déclaré en août dernier à leur refuge, leur vie est désormais en danger.
Le jeune Ahmed se souvient : «J’étais à 200 m du camp devant le portail de la mosquée, j’attendais la sortie des prieurs quand je vis une colonne de fumée qui sortait sous le pont, je me suis précipité pour essayer au moins de sauver nos effets vestimentaires, mais c’était trop tard, toutes nos affaires ont été transformées en cendres.» Les pyromanes seraient, selon les riverains, deux jeunes désœuvrés qui habitent dans les parages.
Depuis, ces Africains sont méfiants parce que ce n’est pas la première fois qu’ils se font attaquer par une bande de voyous qui, selon une information, rôde toujours en toute liberté. En effet, quelques mois auparavant, ces migrants se sont fait dérober plus de 70 millions de centimes — pécule de plusieurs mois de mendicité et de travail au noir — par des individus, qui les avaient drogués avec un puissant somnifère dilué dans un couscous à l’occasion de Mawlid (jour de la commémoration de la naissance de Mohamet). Les actes de violence contre ces réfugié·e·s se succèdent et ne se ressemblent pas.
Le jeune Ousmane a fait l’objet d’une attaque à l’arme blanche alors qu’il rentrait à une heure tardive au camp. «J’ai failli me faire tuer par deux jeunes, qui s’adonnaient vraisemblablement à la drogue, à côté de la voie ferré. L’un d’eux voulait me délester de mon portable ; quand j’ai résisté, l’autre m’a frappé au bras avec son couteau, alors j’ai été contraint de fuir.» Certes, ces actes restent des cas isolés, mais l’attitude de ces jeunes met en évidence le mépris total envers ces personnes très vulnérables.
Omerta
Face à ce phénomène, qui prend des proportions alarmantes et nécessite une intervention immédiate de l’Etat algérien, ces migrant·e·s n’osent pas parler des agressions dont ils ont été victimes ni même les dénoncer. La plupart considèrent qu’ils sont dans une situation illégale vis-à-vis la législation algérienne, et c’est la loi du silence qui s’impose.
«Je voulais aller déposer une plainte contre un jeune qui m’a giflé et poussé devant tout le monde devant une pompe à essence, et ce, parce que j’ai un peu insisté pour qu’il me donne l’aumône pour acheter du pain, mais j’ai aussitôt renoncé pour éviter les problèmes», a dénoncé Yousouf, un quadragénaire.
Autre bémol, des jeunes Subsahariens sont exploités par certains entrepreneurs sans scrupule, qui profitent de leur vulnérabilité pour leur faire accomplir de durs travaux pour un salaire journalier dérisoire, c’est le cas de Boubakeur à peine 15 ans. «Nous avions trouvé un travail journalier, mon cousin et moi, nous devions monter un tas de sable au troisième étage d’un immeuble. Nous étions exténués après une journée de travail à 300 DA (2,3 euros), et quand nous avons essayé de réclamer plus d’argent, nous avons failli être matraqués par deux personnes qui travaillaient dans le même chantier.»
Indifférence
Les attaques racistes dont les migrants africains continuent à être victimes sont pour certains des actes anodins. Des jeunes, des vieux et des enfants se font violenter verbalement et physiquement au quotidien au vu et au su de tout le monde. «J’ai été pourchassé par trois fois par le propriétaire d’un café parce que je n’avais pas commandé, personne n’est intervenu. Moi qui je suis un fervent supporter du Barça, je voulais juste regarder le match», s’est indigné le jeune Kamil.
Pis encore, lors d’une visite de travail effectuée dimanche et lundi passés à Tébessa, la présidente du Croissant-Rouge algérien (CRA), Saïda Benhabilès, n’a pas programmé la visite des camps des migrants syriens et africains. Elle semble même avoir été un peu gênée par notre question concernant le rapatriement de ces migrants et a répondu que le CRA ne s’intéresse qu’à l’aspect humanitaire, ajoutant que l’opération concerne le ministère de l’Intérieur.
Le constat «accablant» de la LDDH
Selon un rapport accablant de la Ligue des droits de l’homme (LDDH), bureau de Tébessa, dont El Watan week-end détient une copie, la violence s’est accrue ces derniers temps contre les Subsahariens. Des brimades racistes qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Selon Abderrahmane Med Madani, président de la LDDH à Tébessa, «ces migrants étaient d’abord victimes d’une discrimination primaire dans leur vie quotidienne, comme le non-accès à l’école, aux soins et au travail. Ils ne vivent que de la mendicité». Aujourd’hui, selon notre interlocuteur, c’est leur sécurité qui est en jeu.
«Comment pouvons-nous rester insensibles devant cette situation catastrophique de ces êtres humains ?» s’est-il interrogé. Le président de la LDDH a exhorté, dans une requête adressée aux autorités locales, ainsi qu’à la plus haute autorité de l’Etat, à adopter un projet de loi pour accueillir les flux migratoires tout en impliquant la société civile et les associations caritatives dans la prise en charge de ces migrants. (Article publié dans El Watan du 23 septembre 2017)
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