L’élection présidentielle prévue aujourd’hui se déroulera dans un contexte très particulier puisque l’échéance est rejetée par beaucoup d’Algériens depuis plusieurs semaines déjà.
Et la contestation s’est accentuée ces derniers jours avec l’approche de l’échéance. Hier encore, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, dont la capitale. Dans l’immigration, des rassemblements sont organisés au niveau des consulats depuis l’entame, samedi dernier, de l’opération de vote de la communauté algérienne à l’étranger.
Une situation plutôt tendue qui fait naître des craintes chez beaucoup d’Algériens par rapport à la journée d’aujourd’hui. D’où tous les appels au calme et au maintien du caractère pacifique des manifestations, lancés par nombre de personnalités et de partis politiques.
Le sentiment de défiance de beaucoup d’Algériens et de la totalité des partis politiques de l’opposition vient du fait que le pouvoir en place a refusé, dès le départ, de faire des concessions par rapport à nombre de revendications, comme pour ce qui est du départ du chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, et de son Premier ministre, Nourredine Bedoui – ce dernier nommé d’ailleurs par Abdelaziz Bouteflika juste avant sa démission.
Ceci, alors que certaines formations politiques – celles regroupés principalement au sein du Pacte de l’alternative démocratique (PAD) – plaident carrément pour un processus constituant. Ainsi, en plus du maintien de ces deux «symboles» de l’ancien système, la manière avec laquelle a été constitué le panel du dialogue, présidé par Karim Younès, et par la suite l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), confiée à l’ancien ministre de la Justice Mohamed Chorfi, ainsi que leurs composantes, ont creusé davantage le fossé.
Deux présidentielles déjà annulées
Il est sans rappeler qu’après l’annulation de la présidentielle du 18 avril, qui allait, si ce n’était la mobilisation citoyenne, consacrer le 5e mandat de Bouteflika – ce dernier ayant démissionné le 2 avril après six semaines de manifestations – le pouvoir en place avait tenté d’organiser une première fois une présidentielle dont la date avait été fixée au 4 juillet. Mais cette dernière a été annulée faute de candidat, le Conseil constitutionnel ayant invalidé les dossiers de deux inconnus. Un processus voué à l’échec dès son lancement puisque la «conférence nationale» qu’avait tenté d’organiser Bensalah a été un échec.
Devant mettre en place l’instance des élections, la rencontre, programmée le 22 avril, avait été boudée par la quasi-totalité des partis politiques, y compris ceux de l’ex-alliance présidentielle. Même le chef de l’Etat par intérim avait fait finalement l’impasse. C’est ce qui a fait que le rendez-vous a été tout simplement annulé.
Mais alors que les uns et les autres s’attendaient à la mise en place d’une transition ou d’un processus constituant, chacun selon ses objectifs, d’autant plus que l’intérim de Bensalah devait prendre fin le 9 juillet, le Conseil constitutionnel décidait de proroger son mandat «jusqu’à l’élection d’un président de la République». Finalement, le pouvoir en place n’entend pas faire la moindre concession par rapport aux revendications populaires.
Installation du Panel de Younès et de l’ANIE de Chorfi
Durant le mois d’août, le panel de dialogue et de médiation, dont le coordinateur est Karim Younes, est installé. Les partis de l’opposition refusent de recevoir ses membres. Mais cela ne l’empêche en rien d’établir un rapport dans lequel il adopte la feuille de route du pouvoir en place, mais aussi son calendrier. La remise du rapport s’est faite le 8 septembre, cinq jours après que le chef de l’état-major de l’ANP (Armée nationale populaire), Ahmed Gaïd Salah, ait «suggéré» la convocation du corps électoral pour le 15 septembre.
C’est ce qui s’est fait. D’où cette date du 12 décembre pour la tenue de la présidentielle. Et c’est ce même jour (15 septembre) que Mohamed Charfi a été «élu» président de l’Autorité nationale indépendante des élections.
Entre-temps, la contestation se poursuit et la mobilisation devient même de plus en plus importante, après la baisse constatée durant l’été. Mais le processus poursuit son cours.
Début novembre, l’ANIE valide cinq dossiers de candidature sur 23 déposés. Il s’agit du président du front El Moustakbel, Abdelaziz Belaïd, du président de Talaie El Hourriyet, Ali Benflis, du président du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina, de l’ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et du secrétaire général par intérim du Rassemblement national démocratique (RND), Azzedine Mihoubi.
Et au fur et à mesure que l’élection approche, les rassemblements de rejets de l’élection se font de plus en plus nombreux, notamment en marge des meetings organisés par les candidats. En face, les organisations inféodées au pouvoir en place tentent d’organiser des marches «pro-élection» au niveau de certaines villes du pays.
Le 30 novembre dernier, l’UGTA a organisé une manifestation à Alger pour dénoncer la résolution sur l’Algérie adoptée par le Parlement européen, mais aussi soutenir le processus électoral. La marche ne draine pas les grandes foules, comparativement avec celles des mardis et des vendredis, mais elle est largement médiatisée, tout comme bien évidemment les autres rassemblements de soutien à la présidentielle. Ce qui n’empêchera pas le président de l’ANIE, Mohamed Charfi, d’affirmer, le 6 décembre dernier, que «les manifestants pro-élection sont plus nombreux que ceux qui s’y opposent».
C’est dans ce tumulte politique que se tiendra, aujourd’hui, l’élection présidentielle. Qu’en sera-t-il, alors que beaucoup d’Algériens promettent de sortir manifester en ce jour? Il est clair que cette présidentielle ne se déroulera pas dans un contexte normal, même si différents officiels affirment le contraire. D’où la multiplication des appels de personnalités et de partis politiques pour le maintien du caractère pacifique du hirak.
La journée d’aujourd’hui sera certainement longue et tendue… (Article publié dans El Watan en date du 12 décembre 2019)
Soyez le premier à commenter