Par Mustapha Benfodil
Lundi noir pour la presse! La condamnation, ce 10 août, de notre confrère Khaled Drareni à une peine de trois ans de prison ferme a été considérée quasi unanimement, en effet, comme l’une des journées les plus sombres de l’histoire de la presse algérienne. Nombreuses ont été les réactions de réprobation tant en Algérie qu’à l’étranger.
«Jour de deuil que ce lundi 10 août. En condamnant Khaled Drareni à trois ans de prison, le pouvoir vient de renoncer, de la manière la plus brutale, à toute prétention de justice et de liberté», résume le chroniqueur Mustapha Hammouche dans l’édition de Liberté d’hier.
Pour l’ancien chroniqueur Sid Ahmed Semiane (SAS), nous sommes face à une «justice hors-la-loi», une «justice de la vengeance, de la peur et de la terreur» qui représente «une menace pour le pays», a réagi SAS sur sa page Facebook.
Il faut dire que l’émotion, la sidération et la colère sont loin d’être retombées après le choc de cette lourde peine à laquelle personne ne s’attendait. Le traitement réservé à Khaled continue ainsi de susciter de vives réactions d’indignation et de solidarité au niveau national et international.
Des médias du monde entier se sont fait l’écho du verdict prononcé contre notre confrère. «Un journaliste algérien condamné à 3 ans pour avoir couvert des manifestations», titre The New York Times. «En Algérie, la colère après la condamnation du journaliste Khaled Drareni», écrit de son côté le journal Le Monde.
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Nous devons l’avouer: le verdict nous a sonnés. Désarçonnés. Laissés sans voix. Le sort infligé à Khaled Drareni a forcément de quoi susciter l’incompréhension et la colère quand on connaît les qualités de ce garçon.
Khaled est le parangon du professionnalisme et de la probité. Pour l’avoir suivi depuis ses débuts à travers tous les médias où il a travaillé, et pour l’avoir côtoyé tout au long de la couverture du hirak, nous pouvons témoigner de ses hautes exigences morales et intellectuelles dans l’exercice de notre métier.
Ce n’est pas une formule convenue: Khaled Drareni est vraiment un reporter hors pair. Et il est, à n’en pas douter, l’un des journalistes les plus talentueux, les plus brillants, les plus professionnels et les plus intègres que compte la presse algérienne.
Un journaliste qui a l’Algérie chevillée au corps et au cœur, un journaliste patriote qui porte dans ses tripes la flamme incandescente de Novembre, lui, le fils d’un ancien combattant de l’ALN (Armée de libération nationale); lui le neveu du chahid Mohamed Drareni, son valeureux oncle tombé en martyr en 1957 à Sour El Ghozlane, comme il le raconte lui-même et qu’il a toujours cité en exemple, voyant dans son combat pour la libération de l’Algérie une intarissable source d’inspiration et un modèle de résistance. D’ailleurs, Mohamed est son autre prénom.
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Le jugement rendu ce lundi 10 août est d’autant plus insupportable que rien ne le justifiait, le dossier de Khaled Drareni, comme n’ont eu de cesse de le répéter ses avocats, étant vide et les charges retenues contre lui n’ayant aucun fondement.
«Ça n’a rien de juridique, ça n’obéit à aucune logique! Tout le monde nous dit comment ça se fait, mais on ne sait pas. C’est de l’acharnement contre Khaled Drareni», assène l’avocate Aouicha Bekhti, à la sortie du tribunal, dans une déclaration à notre confrère Zoheïr Aberkane. Et de marteler: «On veut lui coller une affaire d’atteinte à l’unité nationale. En quoi Khaled Drareni porte-t-il atteinte à l’unité nationale? C’est terrible!»
«C’est de l’acharnement contre un jeune journaliste qui est vraiment un exemple de la presse qu’on voudrait. (…) Mais enfin, ce n’est pas possible! C’est un jeune brillant! Au lieu de l’honorer, on le jette en prison et on lui met trois ans ferme!» fulmine Me Bekhti.
«Khaled garde le moral»
L’infatigable avocate lui a rendu visite hier en compagnie de Hakim Addad à la prison de Koléa. Une visite qui est venue confirmer si besoin est l’état d’esprit irréprochable et le mental d’acier de Khaled, comme en témoigne notre ami Hakim Addad dans un post sur sa page Facebook: «Sous un ciel bien gris et bien triste, j’ai accompagné en cette matinée la vaillante avocate engagée Aouicha Bekhti, mon amie, lors de sa visite à Khaled Drareni à la prison de Koléa. Khaled se porte bien, garde un bon moral et est toujours accompagné de son sourire et de son humour. Aouicha l’a informé de l’élan de solidarité national et international qui s’est déclenché depuis hier (lundi, ndlr) ainsi que de l’appel de l’infâme verdict, qui a été déposé ce matin. Ils ont donc 45 jours maximum pour qu’ait lieu le jugement en appel. Khaled salue tout le monde, il garde espoir et reste un battant. Prenons son exemple et faisons de même», écrit l’ancien président du RAJ (Rassemblement actions jeunesse).
Parmi les nombreuses actions de solidarité qu’il convient de relever, cette pétition lancée pour exiger la libération de notre confrère, et qui a récolté des milliers de signatures. Parmi ses premiers signataires, deux hautes figures de la Révolution: Louisette Ighilahriz et Lakhdar Bouregaâ.
«Khaled Drareni a été condamné à trois ans de prison ferme par le tribunal de Sidi M’hamed. Son crime: exercer son métier de journaliste dans le respect des règles de la déontologie, notamment dans sa couverture continue du hirak depuis le 22 février 2019. Ses coïnculpés dans le même dossier, avec les mêmes chefs d’accusation infondés, ont été condamnés à des peines inférieures à la période de détention provisoire. Le traitement spécial que subit le journaliste Khaled Drareni est insupportable», peut-on lire dans le texte de la pétition qui ajoute: «L’acharnement diffamatoire contre lui a été alimenté par une interférence présidentielle à charge dans cette affaire. Elle a débouché sur la peine de prison la plus lourde jamais prononcée depuis l’indépendance contre un journaliste pour son travail. La place de Khaled Drareni n’est pas en prison. Nous, signataires de cette pétition initiée par un groupe de journalistes, exigeons sa libération immédiate et sa réhabilitation.»
«Une décision d’un autre âge»
Parmi les autres réactions enregistrées également, celle du Collectif de la société civile pour une transition démocratique qui relève d’emblée que «rien dans l’acte d’accusation ni dans le dossier à charge ne justifie au regard du droit algérien un jugement aussi inique».
«Nous, organisations et citoyen.ne.s membres du Collectif de la société civile pour la transition démocratique, exprimons avec force notre consternation et notre révolte face à cette décision qui bafoue les règles et les principes les plus élémentaires d’un Etat de droit. Nous réaffirmons notre pleine solidarité avec Khaled Drareni et exigeons sa réhabilitation et sa libération immédiate», déclare ce collectif dans un communiqué, avant de souligner: «L’injustice qui frappe Khaled Drareni est là pour nous rappeler, si besoin était, que le hirak, le mouvement citoyen, est plus que jamais nécessaire pour qu’émergent enfin en Algérie un Etat de droit et une démocratie.»
Notons enfin cette déclaration de Abdelaziz Rahabi [diplomate et ancien ministre] postée sur sa page Facebook à travers laquelle il pointe les abus à répétition du pouvoir judiciaire à l’endroit de nombreux militants. «La privation de liberté d’activistes politique du hirak ou exerçant dans un autre cadre par le biais de la justice, est une décision d’un autre âge qui est inacceptable à notre époque et ne sert pas la démarche qui milite pour une sortie pacifique et consensuelle de la crise multidimensionnelle que traverse l’Algérie», dénonce M. Rahabi. Et d’insister sur le fait que «la finalité de la justice n’est pas la restriction des libertés individuelles et collectives, mais la protection des droits et libertés fondamentales contre toute violation».
«Malheureusement, notre système judiciaire n’est toujours pas parvenu à s’affranchir des pratiques de l’ancien système dans sa quête d’une justice véritablement indépendante sans laquelle il ne peut y avoir de transition démocratique», regrette l’ancien ministre de la Communication, avant de conclure: «La justice algérienne se doit aujourd’hui de prendre conscience de la part de responsabilité historique qui lui incombe dans la réussite ou l’échec du passage à la gouvernance démocratique à laquelle on aspire.» (Article publié sur le site d’El Watan, en date du 12 août 2020)
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