Suisse. Protection contre les licenciements antisyndicaux: un pas en avant, deux en arrière!

… et la «proposition 14» du Conseil fédéral?

Par Guido Freda

1.  Dans la NZZ am Sonntag du 30 novembre 2025, le collègue Daniel LAMPART [économiste en chef de l’USS] réitère son soutien aux Bilatérales III en soulignant l’obtention par l’Union syndicale suisse (USS) d’une protection accrue des membres des commissions du personnel et des représentant·e·s du personnel dans une institution de prévoyance ou dans un organe paritaire.

A la question du journaliste quant au nombre des représentant·e·s concerné·e·s par un licenciement abusif, il évoque trois cas. Or, évoquer trois cas seulement induit l’opinion publique en erreur, dès lors que le mouvement syndical dénonce depuis des années – du Livre noir des licenciements abusifs de 2012, à l’assemblée des délégués de l’USS du 24 mai 2019, à la journée d’industrie d’UNIA du 19 mai 2025, pour n’en citer que quelques exemples – de nombreux cas de licenciements de personnes qui se sont engagées pour leurs collègues de travail et en ont payé le prix par la perte de leur place de travail.

Il est par conséquent réducteur de ne mentionner que trois cas, surtout parce que – le risque d’un licenciement étant largement connu – un nombre bien plus important de représentant·e·s élu·e·s des travailleuses et travailleurs risquent de faire « le poing dans la poche » et de se taire devant des violations de la loi et de la CCT, car on ne peut pas exiger de toutes ces personnes qu’elles s’érigent en Winkelried !

2. La proposition du Conseil fédéral (« proposition 14 »)[1], qui n’a pas encore été acceptée par le Parlement, et au nom de laquelle le collègue LAMPART réclame un soutien inconditionnel aux Bilatérales III, est bien en-deçà des exigences de l’Organisation internationale du travail (OIT), auprès de laquelle l’USS avait déposé une plainte pour violation des droits syndicaux, en particulier de la convention 98 de l’OIT, en 2003 déjà : cette plainte sera admise par le Comité de la liberté syndicale en 2006[2], sans que la Suisse applique ses obligations depuis lors[3].

3. Mais la proposition du Conseil fédéral vantée par le collègue LAMPART a un autre défaut, tout aussi sérieux : elle représente une régression par rapport à la protection des conventions collectives qui existaient dans certains secteurs de l’industrie il y a 30 ans déjà! Ainsi, la Convention collective de travail de l’industrie horlogère du 1er juin 1986 stipulait, à son article 1.4.2 : « La liberté d’association est garantie au personnel, tant en Suisse que dans les filiales d’entreprises suisses sises à l’étranger, au sens des conventions 87 et 98 de l’OIT (convention n° 87 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et convention n° 98 concernant l’application des principes du droit d’organisation et des négociations collectives, 1949)». L’article 1.4.3 poursuit : « il ne pourra notamment être pris aucune mesure sous quelle que forme que ce soit, contre un travailleur du fait qu’il appartient à un syndicat.»

4. Quelle était la pratique syndicale à cette époque ? Contrairement à ce que propose le Conseil fédéral, sur la base d’une disposition de la convention actuelle de l’industrie des machines[4], la FTMH de l’époque (Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie de l’époque, une des fondatrices d’UNIA) n’était pas obligée d’accepter passivement le licenciement d’un·e représentant·e élu·e des salarié·e·s ou d’une personne de confiance, après un simple délai de deux mois.

En cas de désaccord entre le secrétaire patronal et le secrétaire syndical, s’agissant en particulier du licenciement d’un·e membre d’une commission du personnel, la FTMH pouvait saisir le Tribunal arbitral horloger. C’est notamment cette faculté accordée au syndicat par la CCT, après l’échec éventuel d’une réunion entre les instances, qui a dissuadé plus d’un patron de prononcer le licenciement d’un.e travailleuse ou d’un travailleur à cette époque.

Cette faculté est absente dans la CCT actuelle des machines et dans la « proposition 14 » du Conseil fédéral. Par conséquent, la disposition tant vantée par le collègue LAMPART nous ramène loin en arrière, bien en-deçà de ce que le mouvement syndical avait obtenu il y a 40 ans.

Or, la situation s’est détériorée, comme le montrent le Livre noir des licenciements abusifs de l’USS et les conférences mentionnées plus haut.

L’heure est donc au rétablissement d’un minimum de liberté syndicale, et non à un faux semblant qui laisse, voire rejette, les travailleuses et travailleurs de ce pays dans l’arbitraire patronal, dans ce domaine. (12.12.2025)

________

[1] Dans le cadre des accords bilatéraux III, le Conseil fédéral propose, au lieu de suivre la recommandation de l’OIT, la procédure suivante : avant de licencier une représentante élue, le patron devra discuter pendant 2 mois au maximum, sans obligation de résultat. De plus, cette protection sera limitée aux entreprises occupant au moins 50 travailleurs. Si le licenciement est prononcé, l’indemnité pourra aller jusqu’à 10 mois de salaire.

[2] En novembre 2006, le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT) demandait au Conseil fédéral «de prendre des mesures pour prévoir le même type de protection pour les représentants syndicaux victimes de licenciements antisyndicaux que pour ceux victimes de licenciements violant le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes[article 10 de la Loi sur l’égalité, LEg], y compris la possibilité de réintégration, eu égard aux principes fondamentaux mentionnés plus haut et conformément aux Conventions n° 87 et 98 ratifiées par la Suisse.»

[3] Voir l’article paru dans Le Courrier du 2 avril 2025 : « Brader le respect des droits syndicaux contre un plat de lentilles? Avec le projet d’un nouvel accord entre la Suisse et l’Union européenne, la garantie de droits syndicaux élémentaires se pose. A défaut, la dérive populiste se poursuivra. »

[4] Voir l’art. 38.5 de la Convention collective de travail de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux 2023-2028 : « Protection des membres de la représentation des travailleurs et du conseil de fondation

1 Les membres de la représentation des travailleurs ainsi que les représentantes ou les représentants des travailleurs aux conseils de fondation des institutions de prévoyance ne seront ni licenciés ni désavantagés (en ce qui concerne le salaire, l’évolution professionnelle, etc.) en raison de leur activité normale en tant que représentantes ou représentants des travailleurs.

2 Si une direction envisage de licencier un membre de la représentation des travailleurs ou d’un conseil de fondation d’une institution de prévoyance du personnel de l’entreprise, elle est tenue de le lui annoncer préalable-

ment par écrit en énonçant les motifs de cette décision. Des licenciements pour justes motifs peuvent être prononcés sans annonce préalable.

3 La personne concernée de la représentation des travailleurs ou du conseil de fondation au sens de l’al. 2 peut demander, dans un délai de 5 jours ouvrables, un entretien avec la direction et la représentation des travailleurs sur l’intention de licencier. Cet entretien doit avoir lieu dans un délai de 3 jours ouvrables. Sur demande d’une des parties, il peut être ensuite fait appel à l’ASM et aux associations de travailleurs désignées par la personne concernée pour examen et médiation.

4 La procédure ne doit pas dépasser la durée d’un mois; un éventuel licenciement peut être prononcé au plus tôt après un mois si la personne concernée a réagi au préavis; ce délai ne commence à courir qu’après l’échéance du délai d’annonce de 5 jours ouvrables (voir al. 3). »

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*