Le recours à la Garde nationale: de la guerre de Trump contre les migrants à l’instauration d’un régime autoritaire

Par Paul D’Amato et Sharon Smith

Depuis mai, la guerre menée par MAGA contre les migrant·e·s est devenue encore plus agressive, tandis que sa composante militaire s’est considérablement renforcée. La Garde nationale et les Marines envoyés par Trump à Los Angeles en juin – officiellement pour réprimer les «émeutes» des manifestant·e·s qui ne se sont jamais produites – sont restés déployés sur place pendant plus d’un mois.

Mais Trump ne faisait que tester le terrain à Los Angeles. Depuis qu’il s’en est bien sorti en envoyant des troupes fédérales là-bas, sa deuxième initiative a été de déployer la Garde nationale à Washington, DC, tout en menaçant de faire de même dans d’autres villes, comme New York, Chicago, Baltimore et Oakland, toutes dirigées par des maires démocrates noirs.

Déjà, des hommes armés et masqués, vêtus de treillis militaires, sillonnent les quartiers immigrés à bord de véhicules banalisés à travers tout le pays, prêts à foncer sur des parents qui déposent leurs enfants à l’école, des travailleurs et travailleuses qui se rendent à leur travail ou des personnes qui assistent à une audition devant les services d’immigration, tout cela apparemment n’importe quand et n’importe où. Certains ont été aperçus dans des camions de location Penske devant un magasin Home Depot, tandis qu’au moins l’un d’entre eux a été photographié déguisé en ouvrier du bâtiment (The Intercept, 11 août 2025)

Le conseiller politique le plus important dans la politique d’immigration de Trump est Stephen Miller, un nationaliste blanc notoire qui soutient la «théorie du grand remplacement», selon laquelle les personnes non-blanches tentent d’effacer les Blancs de la surface de la Terre. Pendant ses études à l’université Duke (Caroline du Nord), il était ami avec Richard Spencer, le célèbre nationaliste blanc qui a organisé le rassemblement «Unite the Right» en 2017 à Charlottesville, en Caroline du Nord. Il convient également de rappeler que Trump avait alors qualifié les fascistes rassemblés à Charlottesville de «très bonnes personnes» [voir sur le site alencontre les articles des 15 et 16 août 2017].

Dans son obsession d’opérer des expulsions massives, l’administration Trump fait appel à des agents du FBI, des U.S. Marshals [une agence de police du gouvernement fédéral dépendant du département de la Justice], de la Drug Enforcement Administration, du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives et du Federal Bureau of Prisons. Ainsi, ceux qui sont les témoins de scènes où des agents fédéraux anonymes frappant et embaquant des migrant·e·s dans des véhicules banalisés sont non seulement empêchés d’identifier le nom ou le numéro de matricule des ravisseurs, mais ne savent même pas quelle agence contacter pour essayer de retrouver les personnes emmenées.

«L’ICE semble être partout»

Dans les mois qui ont suivi la deuxième investiture de Trump, l’ICE (U.S. Immigration and Customs Enforcement) a plus que doublé son taux d’arrestations quotidiennes, avec une moyenne de 666 arrestations par jour, contre moins de 300 par jour en 2024. Mais en mai, Stephen Miller a exigé que l’ICE procède à 3000 arrestations par jour comme objectif, contre 650 auparavant. Les résultats ont été immédiats. Rien qu’à Los Angeles, entre le 6 et le 22 juin, les agents de l’immigration ont arrêté plus de 1600 personnes. Le nombre total d’arrestations pour immigration illégale effectuées par le département de la Sécurité intérieure dans la région de Los Angeles a atteint près de 3000 en juin, contre 850 en mai (New York Times, 11 juillet 2025).

Comme l’a rapporté l’Associated Press le 19 juin, «soudain, l’ICE semblait être partout. Nous avons vu des agents de l’ICE dans des fermes, pointant des fusils d’assaut sur des vaches et emmenant la moitié de la main-d’œuvre», a déclaré Rebecca Shi, PDG de l’American Business Immigration Coalition, qui représente 1700 employeurs et soutient l’augmentation de l’immigration légale. Ce n’est qu’un aperçu de ce que l’avenir pourrait réserver aux migrant·e·s si Trump et la bande de flagorneurs réactionnaires qu’il a placés à la tête de son administration parviennent à atteindre leurs objectifs.

Ce n’est pas seulement le nombre de détentions et d’expulsions d’immigrants qui inquiète les communautés migrantes à travers le pays, mais aussi les tactiques dignes de la Gestapo utilisées par des voyous sans badge qui refusent de s’identifier lorsqu’ils battent et kidnappent leurs victimes.

Et il y a quelque chose de sadique dans l’adhésion des politiciens du MAGA aux méthodes d’arrestation violentes de Trump. L’élue républicaine à la Chambre des représentants de Caroline du Sud, Nancy Mace, par exemple, a déclaré à Fox News le 17 juillet:

«[Il y a] un nouveau shérif en ville. Je dois vous dire que l’une de mes choses préférées à regarder sur YouTube ces jours-ci, ce sont les audiences où des clandestins comparaissent devant le tribunal et où [l’Immigration and Customs Enforcement] se pointe pour les traîner hors de la salle d’audience et les expulser. Je ne vois rien de plus américain aujourd’hui que de rendre nos rues plus sûres en expulsant ces criminels violents des Etats-Unis d’Amérique.»

Lorsqu’on lui a demandé, lors d’une audience au Congrès en mai, de définir le terme «habeas corpus», Kristi Noem, secrétaire d’Etat à la Sécurité intérieure, qui qualifie régulièrement les immigrants sans papiers d’«ordures», a répondu que ce terme désigne «un droit constitutionnel qui permet au président d’expulser des personnes de ce pays et de suspendre leurs droits». L’habeas corpus est bien sûr exactement le contraire de la définition de Noem: il s’agit du droit constitutionnel de toute personne accusée d’un crime de contester la légalité de sa détention. Il s’agit donc d’une garantie contre la détention illégale, qui permet de s’assurer que les individus ne soient pas condamnés sans procédure régulière.

Stephen Miller, quant à lui, a déclaré son intention de suspendre l’habeas corpus en affirmant que les Etats-Unis sont victimes d’une «invasion» de migrant·e·s. «Je dirais que c’est une option que nous envisageons activement», a déclaré Miller. «Cela dépend en grande partie de la décision des tribunaux.»

En rupture avec le passé, des groupes de voyous de l’ICE attendent désormais devant les tribunaux d’immigration, sans doute parce qu’ils peuvent ainsi arrêter le plus grand nombre de migrants avec le moins d’efforts. Comme l’a décrit Eileen Markey le 24 juillet dans The Nation,

La grande majorité des immigrants dont les dossiers sont en cours de procédure devant les juridictions de l’immigration se présentent à leurs audiences, convaincus qu’en se conformant aux exigences labyrinthiques du système, ils seront récompensés par l’autorisation de rester dans le pays. Ou du moins la possibilité de se battre un jour de plus. Mais sous le régime d’expulsion agressif du président Donald Trump, le fait de respecter des règles du système d’immigration est devenu de plus en plus dangereux. Ceux qui se présentent devant tribunal sont désormais systématiquement arrêtés. Et le fait de ne pas se présenter à une audience entraîne généralement une mesure d’expulsion.

La grande majorité des migrant·e·s n’ont pas d’avocat pour les représenter lors de leurs audiences d’immigration. Personne ne sait exactement combien de migrants sont enlevés dans des bâtiments fédéraux et emmenés pour être détenus et expulsés, car le département de la Sécurité intérieure (Homeland Security) garde ces informations onfidentielles. Mais il est certain que même lorsque les juges fixent de nouvelles dates d’audience, de nombreux migrants sont néanmoins arrêtés dès leur sortie du tribunal.

De plus, l’ICE a désigné certaines prisons où les immigrants croupissent pendant des jours, voire plus d’une semaine, comme des centres de «rétention» plutôt que de «détention», affirmant que, comme dans le cas du 26 Federal Plaza à New York, elles «hébergent [les immigrants] jusqu’à ce qu’ils puissent être placés en détention». Cette nouvelle appellation prive les membres élus du Congrès du droit d’inspecter ces installations.

Il convient toutefois de noter que le 9 mai, lorsque quatre élus ont tenté d’entrer dans un centre de détention du New Jersey pour l’inspecter, des agents de l’ICE ont tenté de les en empêcher physiquement. Ras Baraka, le maire de Newark, a été arrêté avec l’élue à la Chambre des représentants LaMonica McIver, tous deux Noirs. Si les charges retenues contre Baraka ont été abandonnées, LaMonica McIver a été inculpée pour «obstruction et entrave à l’exercice des agents fédéraux». Une déclaration officielle du département de la Sécurité intérieure a affirmé que ces élus étaient des «manifestants» qui «ont pris d’assaut la porte et ont fait irruption dans le centre de détention». (New York Times, 9 mai 2025)

Et ces dits centres de rétention ne disposent pas de conditions pour des détentions de longue durée. Le centre 26 Federal Plaza, par exemple, qui est prévu pour des heures de détention, et non des jours, ne dispose pas des infrastructures pour les repas, les lits ou les douches.

Le profilage racial comme politique

Sans surprise, le zèle du gouvernement pour arrêter les migrant·e·s potentiellement sans papiers a conduit à un recours généralisé au profilage racial, entraînant l’arrestation de citoyens états-uniens sur la seule base de la couleur de leur peau. Aucune agence fédérale ne rend public le nombre de ces arrestations, mais les témoignages sont nombreux.

Une vidéo virale réalisée par Kenny Laynez-Ambrosio, un adolescent de Floride (disponible ici), montrant sa propre arrestation a révélé à des millions de téléspectateurs les tactiques inhumaines utilisées par les agents de patrouille à la frontière. Début mai, Laynez-Ambrosio se rendait à son travail de paysagiste à North Palm Beach avec sa mère et deux amis lorsque leur voiture a été arrêtée. Laynez-Ambrosio est citoyen, mais il a tout de même été arrêté.

Comme le décrit The Guardian le 25 juillet:

La vidéo de l’incident filmée par Laynez-Ambrosio, un citoyen américain de 18 ans, semble montrer un groupe d’agents en tenue d’intervention travaillant ensemble pour arrêter violemment les trois hommes*, dont deux sont sans papiers. Ils semblent utiliser un Taser sur l’un des hommes, en étrangler un autre et on peut les entendre dire à Laynez-Ambrosio: «Tu n’as aucun droit ici. Tu es un migo [diminutif de amigo mais servant à qualifier la personne de «chicano», terme péjoratif pour désigner les personnes originaires d’Amérique latine], mon frère.» On entend ensuite les agents se vanter et se moquer des arrestations, qualifiant l’utilisation du pistolet paralysant de «drôle» et plaisantant: «Tu peux sentir ça… 30 000 dollars de prime.»

Les centres de détention fédéraux portant des noms tels que «Alligator Alcatraz» (en Floride) [cela renvoie à la prison d’Alcatraz connue comme une prison de haute sécurité et antérieurement une prison militaire] et «Speedway Slammer» (dans l’Indiana, avec quelque 1000 places) montrent à quel point les agents se réjouissent de se moquer de la violence qui attend les migrants détenus dans leurs locaux. Un nouveau rapport du bureau du sénateur démocrate Jon Ossoff, de Géorgie, a recensé 510 cas crédibles de violations des droits humains depuis l’investiture de Trump en janvier.

Comme le rapporte The Guardian le 6 août, «les violations présumées comprennent des décès en détention, des abus physiques et sexuels sur des détenus, des mauvais traitements infligés à des femmes enceintes et à des enfants, des soins médicaux inadéquats, la surpopulation et des conditions de vie insalubres, une alimentation et un approvisionnement en eau insuffisants, l’exposition à des températures extrêmes, le refus d’accès à un avocat et la séparation des enfants».

Des «criminels» dont le seul crime est d’exister

L’administration Trump a présenté les immigrants comme des «ennemis» envahisseurs et des criminels violents afin de justifier leur arrestation et leur expulsion. En réalité, selon les propres statistiques de l’ICE à la fin du mois de juin, 71,7% des immigrants détenus dans les centres de l’ICE à travers le pays n’avaient fait l’objet d’aucune condamnation pénale. Quatre-vingt-quatre pour cent des immigrants détenus dans les prisons et les camps de concentration de l’ICE ont été classés comme ne présentant aucun niveau de menace, c’est-à-dire qu’ils sont considérés comme n’ayant pas de casier judiciaire, et beaucoup d’autres personnes arrêtées avaient des antécédents pour des délits mineurs tels que des infractions au code de la route ou simplement pour avoir déjà été expulsées. La réalité derrière la rhétorique est que l’administration Trump veut simplement expulser autant d’immigrants que possible, même si cela signifie les renvoyer vers la torture, la violence et la mort.

Comment comprendre autrement les positions contradictoires adoptées par l’administration Trump lorsque, fin juin, le gouvernement a supprimé le statut de protection des Haïtiens fuyant la terreur et la violence dans leur pays d’origine? Comme l’a noté le Miami Herald le 27 juin, «un porte-parole du département de la Sécurité intérieure a déclaré vendredi que «la situation environnementale en Haïti s’est suffisamment améliorée pour que les citoyens haïtiens puissent rentrer chez eux en toute sécurité», alors même que le département d’Etat déconseille aux Américains de se rendre dans ce pays en raison des enlèvements, des troubles civils, des soins de santé limités et de la violence extrême des gangs. Cette semaine, l’agence a exhorté les Américains à «quitter ce pays dès que possible».

La rhétorique haineuse du gouvernement a été utilisée pour justifier l’expulsion d’immigrants non seulement vers leur pays d’origine, mais aussi vers des pays tiers avec lesquels ils n’ont aucun lien. Dans le cadre d’une politique qui reflète celle de la deuxième présidence Bush – lorsque les «combattants ennemis» de la soi-disant «guerre contre le terrorisme» étaient systématiquement enlevés et transférés vers des «sites noirs» [prisons secrètes] notoires dans divers pays où ils étaient emprisonnés et torturés –, certains expulsés sont envoyés vers des pays tiers dirigés par des dictatures connues pour leur brutalité, et certains vers des pays déchirés par des conflits violents.

Le régime Trump a conclu des accords (The Intercept, 25 juin 2025) avec au moins 19 pays, dont le Salvador, le Soudan, la Libye et le Rwanda, et cherche à en conclure avec des dizaines d’autres, afin d’accueillir les personnes expulsées des Etats-Unis – un plan que la Cour suprême a également approuvé fin juin dans son «shadow docket» («dossier fantôme»: hors calendrier). Cette politique délibérément cruelle et inhumaine a été défendue par Stephen Miller de manière effrayante: «L’ICE envoie des avions partout dans le monde en permanence. Quiconque est venu ici illégalement, nous le trouvons et nous le renvoyons.» Le gouvernement a récemment expulsé huit hommes vers le Soudan du Sud (on leur avait dit qu’ils étaient envoyés en Louisiane) et cinq hommes vers l’Eswatini, une minuscule monarchie absolue enclavée en Afrique australe, un Etat où, selon le propre rapport du département d’Etat, il y a «des exécutions arbitraires ou illégales, y compris des exécutions extrajudiciaires; des actes de torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par le gouvernement».

L’intention de l’administration d’expulser tout immigrant non citoyen, quel que soit son statut juridique actuel ou son casier judiciaire, vers n’importe quel pays de son choix – de préférence ceux où il risque l’emprisonnement, la torture ou la mort – a été clairement exprimée en mars dernier. A l’époque, l’administration Trump avait invoqué la loi de 1798 sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act) pour justifier l’expulsion de 250 hommes vénézuéliens et salvadoriens vers le tristement célèbre Centre de confinement pour terroristes (CECOT) au Salvador, après que Trump eut conclu un accord de 6 millions de dollars avec le dictateur brutal du Salvador, Nayib Bukele, qui a placé le pays sous loi martiale depuis 2022. Trump a affirmé que les expulsés étaient membres d’un gang vénézuélien violent, Tren De Aragua, et du gang salvadorien MS-13, une affirmation qui a été rapidement démentie (voir The Intercept, 27 mars)

L’enlèvement et l’expulsion vers le Salvador, le 15 mars, de Kilmar Abrego Garcia, résident du Maryland, ont été révélateurs. L’administration elle-même a affirmé qu’il avait été expulsé par erreur. Face au tollé général, même la Cour suprême a ordonné son retour. Trump a réagi en redoublant d’efforts, allant jusqu’à publier des photos truquées pour «prouver» que Garcia était membre du MS-13 et promettant de ne jamais le laisser revenir aux Etats-Unis, alors que Garcia avait fui le Salvador à l’adolescence pour échapper à la violence des gangs. Puis, dans un revirement complet, Garcia a été brusquement renvoyé aux Etats-Unis en juin pour être jugé pour trafic d’immigrants. Les manifestations très médiatisées et les demandes en faveur de sa libération ont sans doute contribué à faciliter son retour, mais les efforts déployés par l’administration Trump pour «reprendre» son expulsion sur la base d’une affaire judiciaire probablement fallacieuse montrent que la lutte sera encore longue alors que l’ICE intensifie sa campagne d’expulsion.

Mettre fin au droit du sol et promouvoir la «dénaturalisation»

Le premier jour de son second mandat, Trump a annoncé son programme anti-immigrés en publiant un décret mettant fin au droit du sol, la loi inscrite dans le 14e amendement de la Constitution [ratifié en 1868] qui accorde automatiquement la citoyenneté à toute personne née sur le sol américain. Cet amendement avait été adopté après l’abolition de l’esclavage afin de garantir que les anciens esclaves puissent devenir citoyens des Etats-Unis. Dans une affaire historique de 1898, la Cour suprême a statué qu’un homme né aux Etats-Unis, dont les parents chinois n’étaient pas citoyens américains, était citoyen par le droit du sol.

Après une série de poursuites judiciaires intentées par des Etats et des groupes de défense des immigrants, le décret a jusqu’à présent été bloqué par des juges fédéraux de district. Mais le mois dernier, la majorité conservatrice de la Cour suprême a accordé à Trump une victoire initiale dans son projet de mettre fin à la citoyenneté par droit de naissance en statuant que les tribunaux inférieurs ne peuvent pas imposer de mesures injonctives à l’échelle nationale pour des plaignants particuliers – bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur la constitutionnalité du décret de Trump et n’ait pas exclu d’autres moyens, tels que des recours collectifs, pour bloquer le décret. Cette décision a ouvert la voie à la possibilité que le décret de Trump soit appliqué dans certains Etats mais pas dans d’autres.

Plusieurs décisions de la Cour suprême en faveur de Trump – par exemple, les décisions autorisant Trump à procéder à des licenciements massifs de fonctionnaires fédéraux, à renvoyer des soldats transgenres, à mettre fin au statut de protection temporaire de centaines de milliers d’immigrants et à expulser des immigrants vers des pays tiers – ont été rendues rapidement sous la forme de décisions succinctes et non signées, sans aucune explication des motifs de la cour dans ce qui a été qualifié d’«urgence» ou de «dossier fantôme».

Pour l’instant, le décret sur la citoyenneté par droit du sol reste bloqué par une série de juges fédéraux de districts. Outre les multiples recours contre le décret de Trump devant les tribunaux de district et d’appel, plus de deux douzaines de procès sont en cours dans différents Etats et villes du pays. En fin de compte, l’affaire finira par être renvoyée devant la Cour suprême, où l’administration Trump comptera sur la majorité conservatrice pour invalider, ou du moins modifier, le 14e amendement.

La stratégie démesurée de Trump se retourne contre lui

La stratégie excessive de l’administration Trump semble toutefois se retourner contre elle. Comme l’a rapporté Politico (11 juillet): «Mais à mesure que la répression de Trump s’intensifie, l’opinion négative des Américains sur l’immigration s’est inversée.» Un sondage Gallup publié le 11 juillet a montré :

Les Américains sont nettement plus favorables à l’immigration depuis un an, la proportion de ceux qui souhaitent une réduction de l’immigration étant passée de 55% en 2024 à 30% aujourd’hui. Dans le même temps, 79% des adultes, un chiffre record, estiment que l’immigration est une bonne chose pour le pays.

Ces changements inversent une tendance à la hausse des inquiétudes concernant l’immigration qui avait commencé en 2021 et reflètent des changements au sein de tous les grands partis politiques.

Avec la forte baisse des passages illégaux à la frontière cette année, les Américains sont moins nombreux qu’en juin 2024 à soutenir des mesures strictes de contrôle des frontières, tandis que davantage sont favorables à l’octroi d’une voie vers la citoyenneté aux immigrants sans papiers déjà présents aux Etats-Unis.

Le même sondage révèle que les Américains sont beaucoup plus nombreux à exprimer leur désapprobation qu’à approuver la gestion de l’immigration par le président Donald Trump.

De plus, les procureurs de Los Angeles ont lamentablement échoué à obtenir du grand jury [institution au sein d’un tribunal qui a le pouvoir de mener une procédure officielle pour enquêter sur les actes criminels et de déterminer si des accusations doivent être retenues] qu’il inculpe la grande majorité des personnes accusées d’«agressions» et d’«obstruction» lors des manifestations anti-ICE en juin. La raison est simple: les arrestations et les accusations sont en grande partie fondées sur des mensonges.

Comme l’a rapporté The Real News Network:

Le Los Angeles Times rapporte que Bill Essayli, qui a été nommé par la ministre de la Justice Pam Bondi au début de l’année pour occuper le poste de procureur fédéral du district central de Californie, s’est récemment mis en colère et a été entendu «hurler» contre les procureurs du tribunal fédéral du centre-ville de Los Angeles lorsqu’un grand jury a refusé d’inculper un manifestant anti-ICE qui était visé par des accusations criminelles potentielles.

Et selon le LA Times, ce refus d’inculper les manifestants est loin d’être un cas isolé.

«Bien que son bureau ait engagé des poursuites pénales contre au moins 38 personnes pour des fautes présumées commises lors des manifestations du mois dernier ou à proximité des lieux où se sont déroulées les rafles d’immigrés, beaucoup ont été classées sans suite ou réduites à des délits mineurs», écrit le journal. «Au total, il n’a obtenu que sept inculpations, qui doivent généralement être prononcées au plus tard 21 jours après le dépôt d’une plainte pénale.»

Il est extrêmement rare que les procureurs ne parviennent pas à obtenir l’inculpation par un grand jury, qui doit seulement déterminer s’il existe des «motifs raisonnables» de croire qu’un suspect a commis un crime et qui n’entend pas les arguments de la défense pendant la procédure.

 […] Le représentant Ted Lieu (démocrate de Californie) a également critiqué les procureurs pour avoir utilisé des déclarations facilement discréditables d’agents de l’ICE afin d’obtenir des mises en accusation. «Je suis un ancien procureur et je peux confirmer que n’importe quel procureur peut obtenir d’un grand jury qu’il inculpe un sandwich au jambon», a-t-il écrit. «Sauf le procureur général de Los Angeles. Pourquoi? Parce que cet article montre que LES AGENTS DE L’ICE INVENTENT DES HISTOIRES. Vous voulez que vos agents soient respectés? Dites-leur d’arrêter de mentir.”»

Trump accélère la répression militaire, progressivement

Mais l’administration Trump, imperméable à la désapprobation croissante de l’opinion publique, n’a fait que monter les enchères.

Le «grand et beau projet de loi» [budget] de Trump, qui a été adopté par le Congrès début juillet, promet d’étendre massivement le dispositif de contrôle de l’immigration. Le National Immigration Justice Center a qualifié ce projet de loi de «caisse noire» pour les agences chargées de l’application des lois sur l’immigration, car il «débloque plus de 170 milliards de dollars pour gonfler le complexe industriel de l’immigration dirigé par les agences Immigration and Customs Enforcement (ICE) et Customs and Border Protection (CBP) du département de la Sécurité intérieure (DHS), au profit des dirigeants de prisons privées et des entrepreneurs publics. L’impact sur les communautés à travers le pays sera désastreux et marquera un recul historique des droits des immigrants et de leur accès à la justice »

L’ICE est actuellement en pleine campagne de recrutement afin d’augmenter ses effectifs déjà considérables. Elle a supprimé toutes les conditions d’âge, offre des primes à la signature pouvant atteindre 50 000 dollars et le remboursement des prêts étudiants jusqu’à 60 000 dollars afin d’attirer le plus grand nombre de candidats possibles dans les plus brefs délais.

En réalité, l’appel lancé par l’ICE aux Américains «patriotes» pour qu’ils rejoignent ses rangs est très susceptible d’attirer ceux qui cherchent à gagner leur vie en battant et en kidnappant des immigrants.

Comme l’a fait remarquer (The Bulwark, 13 août), Vanessa Cárdenas, directrice exécutive du groupe de défense des droits des immigrants America’s Voice: «Prenez un adolescent qui a plus de testostérone que de sagesse, armez-le de fusils et de cagoules, donnez-lui des voitures rapides et, pour couronner le tout, faites-lui miroiter des primes en espèces pour des arrestations rapides et sans discernement. Ajoutez à cela la culture d’impunité et d’abus de pouvoir de l’ICE. Que pourrait-il bien arriver?»

Le 11 août, comme indiqué en début d’article, Trump a déployé la Garde nationale, cette fois à Washington, DC, feignant à nouveau une «urgence» inexistante. Lors d’une conférence de presse truffée de propos racistes, Trump a affirmé que «notre capitale a été envahie par des gangs violents et des criminels sanguinaires, des bandes de jeunes sauvages, des maniaques drogués et des sans-abri». Washington DC, comme d’autres grandes villes américaines, connaît un taux de criminalité violente historiquement bas, le plus bas depuis 30 ans, de sorte que l’argument «d’urgence» avancé par Trump est manifestement faux.

C’est néanmoins l’excuse invoquée par l’administration Trump pour prendre le contrôle fédéral de la police municipale et nommer le directeur de la Drug Enforcement Administration, Terry Cole, «commissaire de police en situation d’urgence» doté de tous les pouvoirs du chef de la police. Trump a, à toutes fins utiles, placé la ville de Washington DC sous tutelle fédérale.

Le 12 août, le Washington Post a rapporté que l’administration Trump évaluait «des plans visant à créer une «force d’intervention rapide en cas de troubles civils internes» composée de centaines de soldats de la Garde nationale chargés de se déployer rapidement dans les villes américaines confrontées à des manifestations ou à d’autres troubles, selon des documents internes du Pentagone… Le plan prévoit que 600 soldats soient en état d’alerte permanente afin de pouvoir être déployés en moins d’une heure.»

Ces derniers développements démontrent que Trump et ses plus proches conseillers s’efforcent de repousser les limites du régime autoritaire, afin d’établir des précédents qui pourront servir de tremplin pour restreindre et réprimer davantage les expressions authentiques de la démocratie et de la dissidence, tout en réalisant leur vision des Etats-Unis comme un pays réservé aux hommes blancs.

Si cela n’était pas déjà évident, cela l’est désormais: nous tous, quel que soit notre statut migratoire, souffrirons si l’administration Trump continue de faire avancer son programme autoritaire, car il n’a jamais été uniquement question d’immigration. (Article reçu le 17 août 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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