Israël-Liban-Iran. La nouvelle phase d’escalade militaire présidée par Netanyahou. Et «la Realpolitik» cynique de Biden

Dahieh, banlieue sud de Beyrouth, le 3 octobre 2024.

Par Patrick Cockburn

Les frappes aériennes israéliennes ont fermé la route Beyrouth-Damas [poste-frontière de Masnaa], qui est le lien le plus important entre le Liban et le monde extérieur. Dans le même temps, les bombardements à proximité de l’aéroport international de Beyrouth menacent de le fermer également. Dans une grande partie du sud du Liban, Israël a ordonné à la population de fuir vers le nord, à Beyrouth, bien que la capitale subisse des attaques aériennes incessantes.

L’invasion israélienne est déjà en train de transformer le Liban en Gaza II, avec un bombardement aérien impitoyable qui réduit en ruines les zones bâties. L’excuse israélienne est que le Hamas et le Hezbollah sont visés par des «frappes de précision».

Cette stratégie n’est pas une surprise puisque le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, l’a exposée lors d’une visite à la frontière israélo-libanaise en décembre dernier. Il avait déclaré: «Si le Hezbollah choisit de déclencher une guerre totale, il transformera de ses propres mains Beyrouth et le Sud-Liban, non loin d’ici, en «Gaza et Khan Younès.»

Guerre totale   

En fait, c’est Israël qui a déclenché la guerre totale en envahissant le Liban le 1er octobre. Son objectif évident est d’écraser le Hezbollah, ce que les Forces de défense israéliennes (FDI) n’ont pas réussi à faire au cours de l’année écoulée contre le Hamas à Gaza, une organisation militaire beaucoup plus faible.

L’ampleur de cet échec est involontairement admise par les FDI, puisqu’elles continuent de justifier les effroyables pertes civiles qu’elles infligent en affirmant que le Hamas est toujours présent partout dans la bande de Gaza et qu’il doit être éliminé. Ainsi, dans la ville palestinienne de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza – l’endroit identifié par Netanyahou il y a dix mois comme un exemple du type de châtiment qui pourrait être infligé à Beyrouth et au Sud-Liban – des frappes aériennes israéliennes et une opération terrestre menée par des chars ont tué au moins 51 personnes mardi 1er octobre, a déclaré le ministère palestinien de la Santé. Les forces de défense israéliennes ont expliqué que les membres du Hamas disposaient de «centres de commandement et de contrôle» à l’intérieur des écoles de filles de Muscat, Rimal, Bureij et Nuseirat.

Une dévastation similaire est maintenant infligée aux Libanais alors que l’opération israélienne s’étend vers le nord avec le même mépris total pour les victimes civiles qu’à Gaza et en Cisjordanie occupée. Dans cette «région», où vivent trois millions de Palestiniens, 18 personnes assises dans un café d’un camp de réfugiés de la ville de Tulkarem ont été tuées jeudi 3 octobre par une frappe aérienne israélienne [ce qui marque un degré supérieur d’escalade dans la répression]. Les FDI ont affirmé avoir tué le chef local du Hamas ainsi que «d’autres terroristes importants» [1].

Un fantasme dangereux

Dans la réalité, la stratégie israélienne consistant à remporter une «victoire décisive» en décapitant le Hamas et le Hezbollah par l’assassinat de leurs chefs et la destruction des «centres de commandement et de contrôle» est un dangereux fantasme. C’est aussi une stratégie qui a les conséquences les plus graves pour le Moyen-Orient et le monde. Les petites organisations peuvent être paralysées par la perte de leurs principaux dirigeants et les plus grandes peuvent être temporairement affaiblies, mais tant qu’elles conserveront un noyau dur de soutien populaire, elles survivront.

Le Hamas et le Hezbollah, mal aimés par beaucoup alors qu’ils contrôlaient leurs propres «Etats», sont aujourd’hui re-légitimés alors qu’ils combattent les FDI.

De l’IRA (Armée républicaine irlandaise) à Belfast Ouest dans les années 1970 aux Talibans dans l’Hindu Kush dans les années 2010, une occupation militaire qui inflige des punitions collectives à des communautés entières est le meilleur sergent recruteur pour un mouvement de guérilla En Afghanistan, je n’ai jamais trouvé les talibans très populaires avant qu’ils ne prennent le pouvoir; en revanche j’ai été profondément impressionné par la détestation dont le gouvernement afghan faisait l’objet de la part de presque toutes les personnes que j’ai rencontrées.

Il est clair que les gouvernements israélien et américain ne voient pas les choses de la même manière. Les Etats-Unis, qui, il y a une semaine, appelaient à un cessez-le-feu au Liban, affirment aujourd’hui qu’une «invasion limitée» du Liban est justifiée. Ce n’est que la dernière répétition d’un schéma extraordinaire établi au cours de l’année écoulée, selon lequel Washington appelle Israël à faire preuve de retenue. Or, Israël ignore l’appel et escalade. Les Etats-Unis déclarent alors rétrospectivement qu’Israël a fait ce qu’il fallait et les livraisons d’armes américaines ne sont pas interrompues. Sans surprise, de nombreux observateurs concluent que les appels pathétiquement inefficaces de Joe Biden en faveur d’un cessez-le-feu ne sont qu’un écran de fumée permettant aux Etats-Unis de prétendre publiquement qu’ils cherchent à mettre fin à ces guerres, tout en les approuvant et en les soutenant dans la pratique.

Une «realpolitik» cynique

Il y a certainement des gens puissants à Washington qui sont d’accord avec cette «realpolitik» cynique. Le président Barack Obama a tourné en ridicule ce qu’il a appelé «le manuel de jeu de Washington», c’est-à-dire le point de vue d’une grande partie de l’establishment de la politique étrangère américaine selon lequel la plupart des problèmes peuvent être réglés par la force militaire. Il se peut également que Joe Biden doive donner l’impression de vouloir faire la paix afin de retenir les électeurs anti-guerre et les militants du parti démocrate le jour des élections, le mois prochain.

Mais cet argument n’est pas tout à fait convaincant. L’engagement d’Israël dans trois guerres n’est pas vraiment dans l’intérêt des Etats-Unis, même si elles sont menées contre des ennemis des Etats-Unis, car elles entraînent inévitablement les Etats-Unis dans des guerres qui ne sont pas si différentes de celles menées en Irak et en Afghanistan il y a 20 ans. En outre, ces guerres profiteront à Donald Trump lors des élections et démoliront la prétention de Joe Biden à restaurer la réputation de l’Amérique en tant que «garant de la paix» et de la «sécurité dans le monde».

Les électeurs étasuniens verront sur leurs écrans la silhouette trébuchante de Biden présidant, sans grande conviction, à l’escalade d’une crise dont il est en grande partie responsable. Ce que les démocrates voulaient, c’était que les électeurs oublient Biden, comme un oncle fou enfermé dans le grenier, et se concentrent sur Kamala Harris.

Joe Biden semble assez sain d’esprit lorsqu’il s’en tient à son téléprompteur, mais lorsqu’il s’égare pour parler aux journalistes, les résultats sont spectaculairement explosifs. Interrogé jeudi sur l’attaque par Israël des installations pétrolières iraniennes, Biden a déclaré: «Nous en discutons. Je pense que ce serait un peu… de toute façon» – s’interrompant au milieu de la phrase. Cette déclaration a fait grimper le prix du pétrole de 5%!

Plus tôt dans la semaine, il avait été interrogé sur les frappes aériennes israéliennes au Yémen, ce à quoi il avait répondu qu’il était en faveur de la «négociation collective», croyant à tort qu’on l’interrogeait sur les grèves [des dockers] en tant que forme de mouvement social

Aucun des commentateurs évoquant les problèmes que le Hamas et le Hezbollah rencontreront pour remplacer leurs dirigeants assassinés n’a réfléchi au fait que les Etats-Unis sont eux aussi sans dirigeant.

Si Israël parvient à stopper les exportations de pétrole iranien ou à détruire ses raffineries [au moyen de l’offensive militaire en préparation, conjointement avec les cercles du Pentagone], l’Iran prendra très probablement des mesures contre les 30 % du commerce mondial de pétrole qui s’écoulent du Golfe par le détroit d’Ormuz. Une frappe sur les installations nucléaires iraniennes pourrait ou non réussir à détruire des équipements essentiels, mais elle propulserait certainement l’Iran vers la fabrication d’un dispositif nucléaire.

Une guerre entre l’Iran et Israël soutenue par les Etats-Unis ne changerait peut-être pas le régime de Téhéran, mais elle pourrait facilement produire un nouveau régime à Washington – dirigé par Donald Trump [souhait de Benyamin Netanyahou]. (Article publié sur INews en date du 5 octobre; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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[1] Pour une analyse du soubassement du «système» de légitimation de la politique répressive, génocidaire, du gouvernement Netanyahou et son «acceptation» par les gouvernements occidentaux et leurs prolongements médiatiques, nous renvoyons à l’ouvrage de Didier Fassin, professeur au Collège de France, Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza, Ed. La Découverte, septembre 2024. (Réd.)

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