Par Amira Hass
La Population and Immigration Authority (Autorité de l’Etat civil et de l’immigration) refuse d’accorder des visas de travail aux employé·e·s des organisations non gouvernementales internationales opérant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cela précisément au moment où la Cour internationale de justice est censée examiner si Israël respecte son ordonnance provisoire visant à garantir l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza [voir l’article ci-après sur la campagne contre l’UNRWA].
L’explication tardive donnée aux ONG internationales est un réaménagement du processus de délivrance des visas, mené jusqu’à présent conjointement par l’Autorité de l’Etat Civil et de l’immigration et le ministère de la Protection sociale et des Affaires sociales.
Le ministère des Affaires sociales refuse depuis plusieurs mois déjà de remplir sa participation à l’accord, bien que celui-ci soit consigné dans une procédure écrite.
Quelque 160 ONG d’aide internationale opérant dans la bande de Gaza et en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) sont enregistrées auprès du Département des relations internationales du ministère de la Protection sociale et des affaires sociales, qui est également chargé de renouveler chaque année leur statut d’organisation à but non lucratif.
Dans le passé, lorsque le service des visas n’a pas été assuré pour diverses raisons – par exemple, pendant la pandémie de Covid-19 – les visas ont été prolongés automatiquement. Cette fois-ci, cependant, l’autorité de l’immigration exige que les employé·e·s des ONG quittent le pays dès l’expiration de leur visa, même s’ils se sont correctement pliés à la loi.
Haaretz, qui s’est entretenu avec certains de ces employés, a déclaré qu’ils soupçonnaient que des motivations politiques se cachent derrière les complications bureaucratiques dans lesquelles ils se débattent [1].
Le refus d’accorder des visas à ces travailleurs humanitaires internationaux a perturbé les activités de dizaines d’organisations chargées d’apporter et de distribuer des soins médicaux, de la nourriture et de l’eau aux habitants de Gaza, dont la plupart souffrent de faim et de déshydratation aiguës.
Ces mesures bureaucratiques sapent également les efforts des ONG pour aider des dizaines de communautés palestiniennes de Cisjordanie qui ont été déplacées de force par la violence des colons et les pressions de l’administration civile et des Forces de défense israéliennes (FDI), ou qui doivent faire face à la violence des colons et aux pressions des autorités.
Des dizaines d’employés internationaux, pour la plupart des citoyens de pays occidentaux, ont été contraints de quitter leur emploi ou n’ont pas pu revenir de l’étranger dans leurs bureaux de Jérusalem-Est et de Ramallah. D’autres n’ont pas pu commencer à occuper leur nouveau poste dans le territoire palestinien. Certains ont décidé de rester à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie, bien que leur visa ait expiré, mais leurs déplacements sont limités car ils vivent dans la crainte constante d’être expulsés.
Les règlements de l’Autorité de l’Etat civil et de l’immigration, mis à jour pour la dernière fois en 2013, concernant les ONG internationales (à l’exclusion des organisations des Nations unies), stipulent que les demandes de visa ne seront traitées que si elles sont accompagnées d’une approbation de principe écrite (appelée lettre de certification) du ministère de la Protection sociale et des Affaires sociales.
Les lettres de certification sont envoyées aux employés avant leur arrivée en Israël, qui entrent alors dans le pays avec un visa touristique et soumettent ensuite une demande de visa de travail à l’autorité d’immigration. Les ressortissants de pays ne pouvant bénéficier d’un visa touristique à l’entrée doivent soumettre l’approbation du ministère au consulat israélien de leur pays respectif.
Les personnes se trouvant déjà en Israël peuvent soumettre une nouvelle demande de lettre de certification du ministère environ un mois ou deux avant l’expiration de leur visa. Le ministère est alors censé envoyer la lettre dans un délai de 14 jours. La même procédure s’applique aux membres de la famille des travailleurs humanitaires internationaux, y compris les enfants dans les écoles et les jardins d’enfants.
Les demandes de lettre de certification soumises entre juillet et septembre 2023 n’ont reçu de réponse qu’en novembre de la même année. Bien que les travailleurs des ONG internationales aient déjà eu l’occasion de constater que le ministère retardait les procédures, ils étaient inquiets car leurs visas étaient sur le point d’expirer.
Début novembre, le ministère les a informés qu’en raison de l’état d’urgence et de la surcharge de travail du ministère, l’autorité chargée de l’immigration prolongerait automatiquement leurs visas jusqu’au 8 février 2024. Cette prolongation n’a pas été accordée aux personnes qui se trouvaient à l’étranger à ce moment-là, y compris celles qui sont parties en raison du déclenchement de la guerre.
En janvier 2024, lorsque des employés d’ONG d’aide internationale ont demandé le renouvellement de leur visa, le ministère a refusé d’accorder la lettre nécessaire, tant aux employé·e·s basés à Jérusalem et en Cisjordanie qu’à ceux et celles qui se trouvaient à l’étranger.
Le ministère n’a fourni aucune explication et l’autorité de l’immigration a refusé de traiter les demandes de visa au motif qu’il n’y avait pas de lettre de certification du ministère. L’autorité de l’immigration a exigé que les travailleurs dont les visas expiraient quittent le pays avant le 8 février, date d’expiration des visas.
Un juge du tribunal administratif, qui examine les décisions de l’Autorité de l’Etat civil et de l’immigration concernant l’entrée, la sortie, le séjour et la résidence en Israël, a rejeté l’appel d’un haut fonctionnaire de l’une des ONG internationales.
Le rejet de l’appel était fondé sur le fait que l’autorité de l’immigration avait agi légalement en n’accordant pas de visa, car la demande du fonctionnaire n’était pas accompagnée de la lettre de certification du ministère. Le juge a ajouté qu’il n’était pas du ressort du tribunal administratif d’examiner les considérations du ministère.
Yotam Ben-Hillel, un avocat représentant un forum d’ONG internationales, a demandé l’intervention de la procureure générale Gali Baharav-Miara. Dans une lettre envoyée au procureur général la semaine dernière, Yotam Ben-Hillel a fait remarquer que plusieurs des personnes qui n’ont pas pu renouveler leur visa étaient des hauts fonctionnaires responsables des activités de leurs organisations respectives en Israël et dans les territoires.
«Ils ont le mandat – en ce qui concerne la direction de leur organisation – de représenter l’organisation dans toutes les relations avec les autorités israéliennes, les missions étrangères et d’autres organisations internationales résidant en Israël. Ils sont responsables de la collecte de fonds, de la coordination du transfert de l’aide humanitaire, y compris vers la bande de Gaza – par exemple, dans les domaines de la fourniture de nourriture, d’eau, d’installations sanitaires, d’hygiène et d’abris –, de la gestion du budget, et sont les signataires désignés auprès des banques en Israël et dans les territoires.»
Les réponses fournies à Haaretz par les différentes autorités sont révélatrices de la confusion bureaucratique qu’elles ont provoquée. Le porte-parole de l’Autorité de l’Etat civil et de l’immigration a répondu qu’il fallait contacter le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires au sein du ministère de la Défense et du ministère des Affaires sociales pour obtenir une réponse.
Le ministère des Affaires sociales a invoqué la «situation sécuritaire» après le 7 octobre pour justifier le transfert de responsabilité à un autre organe gouvernemental, tout en soulignant qu’il avait demandé à être déchargé de cette tâche bien avant le 7 octobre, parce qu’elle ne relevait pas de ses compétences.
Il a nié que cette décision ait été motivée par des considérations politiques et a indiqué que la question des visas pour les employés des ONG internationales avait été transférée au Conseil de sécurité nationale d’Israël (NSC) et qu’après consultation, il avait été décidé de transférer cette question au ministère des Affaires étrangères.
Le COGAT (coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, unité du ministère israélien de la Défense) a transmis ses questions au ministère des Affaires étrangères. Le ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’il n’avait pas été invité à traiter la question des visas et qu’il ne s’attendait pas à ce que cette question lui soit transférée. Il a promis d’envoyer une réponse en bonne et due forme à Haaretz, mais aucune réponse n’a été reçue.
Le Conseil de sécurité nationale a déclaré que, contrairement à ce qui avait été affirmé, la question n’avait pas été transférée sous la responsabilité du NSC, mais que, le ministère des Affaires sociales affirmant qu’il ne disposait pas des outils nécessaires pour traiter cette question, le Conseil de sécurité coordonnait le travail de son personnel afin d’examiner une solution de remplacement appropriée.
Haaretz a également demandé aux ministères de la Justice et des Affaires étrangères s’ils ne craignaient pas que la Cour internationale de justice considère cela comme une violation des décisions de la Cour et comme la preuve qu’Israël ne fait pas d’efforts pour remplir ses obligations. Haaretz n’a pas reçu de réponse à ces questions. (Article publié par le quotidien Haaretz le 25 février 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
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Des ONG à l’UNRWA, pour aboutir au «plan de l’après-guerre» à Gaza
Par Charles-André Udry
Les nombreux obstacles accentués mis à la présence d’ONG humanitaires en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza s’inscrivent dans la volonté du gouvernement de Netanyahou d’empêcher toute présence de journalistes dans la bande de Gaza – alors que des actes génocidaires s’y déroulent – et de viser mortellement les journalistes palestiniens présents: quelque 122 membres de médias ont été tués depuis le 8 octobre. Mais cette politique renvoie aussi à la campagne contre l’UNRWA, qui ne date pas du mois d’octobre 2023.
Pour saisir le sens de cette campagne, il faut faire référence à quelques données historiques. L’UNRWA, créée en 1949, fait suite à l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leurs territoires, ce que Ilan Pappé a qualifié de nettoyage ethnique dans son ouvrage intitulé The Ethnic Cleansing of Palestine, Oneworld Publications, 2007. Il s’agit de la Nakba pour les Palestiniens. Dès lors se posait un problème: pourquoi les réfugiés «produits» par la Nakba – qui peuplent aujourd’hui l’essentiel de l’enclave de Gaza – n’ont pas relevé de l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), agence de l’ONU, créée en 1946 et remplacée en 1952 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés? La réponse: l’OIR se devait de gérer la masse des réfugiés provoquée par les massacres et les déplacements de populations au cours de la Seconde Guerre mondiale. La mission de l’OIR était, comme Pierre Jacobsen l’indique dans la revue Population (n° 1, 1951) «d’assumer la protection juridique des personnes déplacées et des réfugiés placés sous son mandat, mais elle doit également leur fournir une assistance matérielle et trouver une solution durable pour eux, soit en les rapatriant, soit en les aidant à s’incorporer à une communauté nouvelle».
Dès lors, pour le gouvernement israélien et ses proches alliés, il fallait éviter que l’OIR prenne en charge les réfugiés palestiniens avec les objectifs de l’OIR mentionnés. D’où la création en décembre 1949 de l’UNRWA qui ne prend en charge que les réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Il s’agissait ainsi d’un «cas à part».
Au moment où la consolidation coloniale – qu’Henry Laurens, professeur au Collège de France, qualifie de «colonisation de refoulement» – se fait tous les jours plus manifeste, la mise en question radicale de l’UNRWA s’insère dans le programme politique du gouvernement israélien. Les accusations de complicité présumée de 12 employés de l’UNRWA (sur 13’000 présents à Gaza) avec le Hamas lors des massacres et crimes du 7 octobre 2023 permettent une nouvelle escalade contre l’UNRWA.
Campagne internationale et lobby diplomatique doivent être déployés afin d’étouffer financièrement l’UNRWA et donc d’étrangler les centaines de milliers de réfugiés palestiniens. Philippe Lazzarini, le jeudi 22 février, ne pouvait dès lors que déclarer: «C’est avec un profond regret que je dois aujourd’hui vous informer que l’Agence a atteint un point de rupture, avec les appels répétés d’Israël à son démantèlement et le gel des financements de donateurs face à des besoins humanitaires à Gaza sans précédent… La capacité de l’Agence à remplir son mandat donné par la résolution 302 de l’Assemblée générale est désormais gravement menacée.»
L’actualité de cette agression contre l’UNRWA et les «barrières administratives» contre les ONG internationales, comme le mentionne Amira Hass dans l’article ci-dessus, est encore renforcée par le prétendu «plan d’après-guerre à Gaza» présenté par le premier ministre israélien le jeudi 22 février. A ce propos, Jean-Philippe Rémy et Hélène Sallon, dans Le Monde daté du 25 et 26 février, écrivent: «La volonté israélienne de faire place nette à Gaza va au-delà de l’UNRWA. La responsabilité de l’administration, dans le futur, devrait en effet être confiée, selon le plan de Benyamin Netanyahou, à “des entités locales ayant une expérience de la gestion des affaires”, lesquelles ne doivent pas avoir été affiliées à “des Etats ou des organisations soutenant le terrorisme”. Cela exclut les fonctionnaires locaux qui auraient été associés au Hamas, de près ou de loin, au risque de créer un vide que les “entités locales”, concept flou, risquent de ne pas combler. Aucune mention n’est faite du rôle futur de l’Autorité palestinienne.»
Il serait temps, pour ne pas dire opportun, que les médias dits d’information – et les porte-parole de forces politiques «de gauche» et syndicales, en Suisse par exemple – saisissent la dimension historique et politique de la campagne contre l’UNRWA. Est-ce trop demander? L’exigence d’intelligibilité historique semble en la matière difficile à être satisfaite. (26 février 2024)
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