Reportage-chronique: «Poutine abandonne l’espoir d’un accord avec l’Ukraine et se tourne vers une stratégie d’occupation du territoire»

Poutine et le patriarche Kirill

Par Max Seddon à Riga et Henry Foy à Bruxelles

Vladimir Poutine a perdu tout intérêt pour les efforts diplomatiques visant à mettre fin à sa guerre avec l’Ukraine et semble plutôt décidé à s’emparer d’autant de territoire ukrainien que possible, selon trois personnes informées des échanges avec le président russe.

Poutine, qui envisageait sérieusement un accord de paix avec l’Ukraine après que la Russie a subi, le mois dernier, des revers sur le champ de bataille, a déclaré aux personnes impliquées dans la tentative de mettre fin au conflit qu’il ne voyait aucune perspective de règlement.

«Poutine croit sincèrement aux absurdités qu’il entend à la télévision [russe] et il veut gagner gros», a déclaré une personne informée des pourparlers.

Bien que Moscou et Kiev se soient mis d’accord sur un premier projet de communiqué lors d’une réunion à Istanbul fin mars, les pourparlers se sont enlisés après que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé la Russie de commettre des crimes de guerre contre des civils dans des villes comme Boutcha et Marioupol.

Selon deux des personnes informées, Poutine a déclaré que les efforts de paix étaient dans une «impasse» et a été furieux après que l’Ukraine a coulé le Moskva, le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire.

«Il y avait de l’espoir pour un accord. Poutine faisait des allers-retours. Il doit trouver un moyen de sortir gagnant de cette affaire», a déclaré l’une de ces personnes.

Après le naufrage du Moskva, «Poutine était opposé à toute signature. […] après le Moskva, il n’a pas l’air d’un gagnant, parce que c’était humiliant», a ajouté cette personne.

Les responsables ukrainiens et occidentaux ont toujours douté de son engagement en faveur des pourparlers de paix, le soupçonnant d’être un moyen de gagner du temps pour l’offensive menée par Moscou.

Le président russe semble avoir une vision déformée de la guerre, telle qu’elle a été exposée par ses généraux et décrite à la télévision russe, ont déclaré les personnes informées de ses conversations.

Elles ont ajouté qu’il a insisté, malgré toutes les preuves du contraire, sur le fait que ses forces n’ont pas pris les civils pour cible lors d’attaques telles que le siège de l’aciérie Azovstal, dernier bastion des forces ukrainiennes dans la ville de Marioupol, en grande partie détruite.

Des intermédiaires tels que le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président du Conseil européen Charles Michel et le milliardaire Roman Abramovich, ex-propriétaire du Chelsea FC, ont tenté de convaincre Poutine de rencontrer Zelensky dans l’espoir de débloquer la situation.

Les négociateurs russes et ukrainiens ont mis la plupart des autres questions en veilleuse tout en essayant de trouver un accord sur les garanties de sécurité pour Kiev si celle-ci déclare sa neutralité et abandonne son projet d’adhésion à l’OTAN.

Toutefois, Vladimir Poutine a déclaré à Charles Michel, lors d’un appel téléphonique vendredi 22 avril, que les discussions avaient échoué parce que l’Ukraine «a dressé un mur» et a déclaré que «ce n’était pas le bon moment» pour rencontrer Volodymyr Zelensky, selon une personne informée de cette conversation.

Les négociateurs ont interprété cette déclaration comme signifiant que la Russie pense pouvoir capturer davantage de territoires, plutôt que comme une indication que les pourparlers ont besoin de plus de temps pour trouver des points d’accord.

Poutine évite la rencontre avec Zelensky «de toutes ses forces», a déclaré une personne impliquée dans les pourparlers de paix. «Il veut que tout soit décidé avant leur rencontre personnelle.»

Samedi 23 avril, Zelensky [dans une conférence de presse faite dans le métro de Kiev] a déclaré qu’il souhaitait que les pourparlers se poursuivent, mais que l’Ukraine ne continuerait pas à négocier si des personnes étaient tuées à Marioupol ou si les autorités russes de la région méridionale occupée de Kherson organisaient un référendum séparatiste.

Les responsables de Kiev craignent que Poutine n’aille plus loin que l’objectif déclaré de la Russie de capturer la région frontalière orientale du Donbass et tente plutôt de s’emparer de tout le sud-est, coupant l’Ukraine de la mer, selon des personnes impliquées dans la tentative de mettre fin à la guerre.

L’Ukraine est confiante dans sa capacité à repousser les troupes russes après avoir mis en échec le plan initial de Poutine visant à s’emparer rapidement du pays, mais les responsables s’inquiètent de plus en plus de la possibilité pour Moscou de recourir à des armes nucléaires tactiques en cas de nouveaux revers, ont déclaré deux de ces personnes.

Lors d’une réunion avec Charles Michel à Kiev mercredi 20 avril, Volodymyr Zelensky a déclaré que l’opinion publique ukrainienne n’était pas favorable à la poursuite des pourparlers de paix, ajoutant qu’il était conscient que la lutte contre Poutine était plus populaire que les concessions, selon une personne informée de leur conversation.

Erdogan s’est entretenu avec Zelensky dimanche 24 avril dans le but de relancer les négociations bloquées. Dans un communiqué, le dirigeant turc a déclaré qu’Ankara était prêt à apporter son aide. Erdogan a déclaré vendredi 22 avril qu’il espérait également s’entretenir avec Poutine dans les jours à venir.

Le porte-parole de Poutine, Dmitri Peskov, et un représentant d’Abramovich n’ont pas répondu immédiatement aux demandes de commentaires. (Article publié sur le site du Financial Times, le 24 avril 2022, à 16h50; traduction rédaction A l’Encontre – Reportage supplémentaire de Laura Pitel à Ankara)

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