Par Nikita Gerasimov
Si l’on en croit son secrétaire général, Jens Stoltenberg, l’OTAN sera à l’avenir présente sur toute la «ligne de contact» avec la Russie, de la mer Baltique à la mer Noire. Une place particulière revient à la Roumanie et à la Pologne, car ces deux pays ont une frontière directe avec l’Ukraine. Cela signifie qu’ils sont considérés comme particulièrement vulnérables face à tous les rebondissements de la guerre qui s’y déroule, depuis les flux de réfugié·e·s jusqu’à un éventuel débordement des affrontements. Au moins un drone en provenance d’Ukraine s’est déjà écrasé sur la frontière roumaine. En Pologne, on enregistre que les attaques de missiles russes sur l’ouest de l’Ukraine se rapprochent dangereusement de son propre territoire. En outre, Varsovie s’inquiète des mouvements de troupes en Biélorussie.
Dans cette situation, les deux pays sont devenus, en très peu de temps, les principales plaques tournantes de l’OTAN en Europe de l’Est. La Roumanie, qui n’a longtemps pas été une priorité pour l’Alliance atlantique, est considérée depuis le début de la guerre en Ukraine comme un partenaire à la frontière extérieure la plus importante de l’OTAN à l’heure actuelle, en raison de son accès direct à l’Ukraine et à la mer Noire.
Les bases militaires, qui avaient auparavant une valeur locale, sont désormais pleines à craquer de militaires et d’équipements de l’OTAN. Le gouvernement de Bucarest y voit notamment un stimulant économique bienvenu. Le développement de l’infrastructure militaire et le déploiement de milliers de soldats de l’OTAN sont liés à des investissements considérables. Il n’y a plus guère de voix pour mettre en garde contre le fait que le pays peut ainsi devenir une cible militaire. C’est d’autant plus vrai pour la Pologne qui a déjà vu se déployer depuis 2014 des troupes de combat de l’OTAN, faites de milliers de soldats, sur son territoire. La Pologne est d’ailleurs, régulièrement, le théâtre de manœuvres de l’Alliance.
Des armes nucléaires aussi en Biélorussie?
Début avril, le vice-Premier ministre Jaroslaw Kaczynski a exigé un élargissement significatif de la présence des troupes étatsuniennes en Europe, les portant à 150 000 hommes, dont environ la moitié devrait être stationnée en Europe de l’Est. Parmi elles, 50 000 soldats devraient être présents de manière permanente dans les pays baltes et en Pologne, à proximité immédiate des frontières russe et biélorusse. En outre, selon ce politicien conservateur de droite, il faut être ouvert à l’accueil d’armes nucléaires étatsuniennes. «Si les Etats-Unis nous demandaient de stocker des armes nucléaires en Pologne, nous serions ouverts à cette idée. Cela renforcerait considérablement la dissuasion vis-à-vis de Moscou.» L’initiative devrait toutefois venir de Washington. Mais en principe, la participation nucléaire devrait être étendue au flanc est de l’Alliance.
Des réflexions en ce sens existent depuis des années à Washington et à Varsovie. Jusqu’à la période présente, l’arrière-plan était constitué par des discussions – qui s’enflamment de temps à autre en Allemagne – sur un éventuel retrait des armes nucléaires étatsuniennes de son propre territoire. Le 19 novembre 2021, Jens Stoltenberg avait déjà déclaré que dans ce cas de retrait des stocks d’armes, ils ne pourraient pas être renvoyés vers les Etats-Unis, mais transférés dans des pays d’Europe de l’Est, membres de l’OTAN. Le premier candidat à un tel redéploiement a toujours été la Pologne, qui considère depuis longtemps qu’un tel transfert est non seulement possible, mais aussi souhaitable. Il est presque certain qu’une telle démarche provoquerait non seulement une sérieuse réaction russe, mais aussi les risques incalculables d’un armement nucléaire régional.
Fin novembre 2021, le chef d’Etat biélorusse Alexandre Loukachenko avait menacé, en réaction directe à la déclaration de Jens Stoltenberg, de mettre en place dans son pays un potentiel d’armes nucléaires russes. Les dépôts et l’infrastructure correspondante seraient disponibles. Après l’effondrement de l’Union soviétique et le retrait des arsenaux nucléaires dans les années 1990, les installations existantes n’ont pas été démantelées, mais conservées. Alexandre Loukachenko a mis en garde: un déploiement d’armes nucléaires des Etats-Unis en Pologne pourrait donc être immédiatement suivi d’une réponse russe en Biélorussie. Dans ce scénario, la frontière biélorusse-polonaise deviendrait, de facto, une «ligne de contact» nucléaire directe de l’Occident avec le bloc russo-biélorusse. Une situation qui dépasserait même l’état de menace propre à la guerre froide, lorsqu’il existait tout de même des «Etats tampons», exempts d’armes nucléaires, entre les ogives nucléaires russes et celles étatsuniennes. (Article publié le 21 avril 2014, par l’hebdomadaire Der Freitag; traduction rédaction A l’Encontre)
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