A 66 ans, Friedrich Merz «commence sa vie» à la tête de la CDU dans l’Allemagne post-Merkel

Par Wolfgang Michal

Friedrich Merz, 66 ans, a gagné le triathlon pour la présidence de la CDU: une année complète de natation, une année entière de course à pied, une année fatigante de vélo –exactement dans cet ordre [allusion au fait qu’il s’est présenté à la présidence de la CDU à trois reprises: une fois battu par Annegret Kramp-Karrenbauer, puis par Armin Laschet, avant le succès récent]. Mais la persévérance et l’obstination ont porté leurs fruits. En tant que multimillionnaire, Merz pouvait également se permettre cette compétition. Et c’est ainsi que la régie du parti CDU [Christlich Demokratische Union Deutschlands-Union chrétienne-démocrate] peut reprendre en janvier le vieux tube d’Udo Jürgens: «A 66 ans, la vie commence» [chanteur-compositeur autrichien, spécialisé dans les musiques populaires de ce pays, et vainqueur de l’Eurovision de la chanson en 1966].

Deux vieux hommes se réjouissent tout particulièrement du résultat net [62,1% des suffrages des membres de la CDU face à Helge Braun et Norbert Röttgen] pour leur Friedrich: le père biologique de Merz, Joachim, et son père nourricier politique, Wolfgang Schäuble. En effet, Joachim Merz [juge au tribunal régional d’Arnsberg en Rhénanie-du-Nord-Westphalie], membre engagé de la CDU pendant des décennies dans l’arrondissement de Hochsauerland, était tellement dégoûté par la «médiocrité» de la CDU d’Angela Merkel qu’il a quitté le parti après 51 ans [en 2007]. Il pensait que sa CDU était sur la voie directe qui mène vers le socialisme. Va-t-il maintenant, à bientôt 98 ans, y adhérer de nouveau [l’investiture de F. Merz sera officialisée lors du Congrès prévu pour les 21 et 22 janvier 2022]?

Wolfgang Schäuble se réjouit

Wolfgang Schäuble [ministre de l’Intérieur de 1989 à 1991 et de 2005 à 2009, puis ministre des Finances de 2009 à 2017] a lui aussi dû attendre longtemps ce moment de bonheur. Lui qui s’était engagé très tôt en faveur de Friedrich Merz et souhaitait le voir lui succéder à la tête du groupe parlementaire [Schäuble a été président du groupe CDU-CSU de novembre 1998 à février 2000, avant d’être président du Bundestag d’octobre 2027 à octobre 2021] a échoué, comme tant d’autres, face à la volonté de pouvoir d’Angela Merkel. A 79 ans, il connaît aujourd’hui une satisfaction tardive. Et les quelques survivants du mythique Pacte andin [en juin 2003, Der Spiegel avait annoncé un accord passé entre la génération post-Konrad Adenauer, accord passé en 1979 lors d’un voyage de Caracas à Santiago du Chili], cette alliance catholique et ouest-allemande d’hommes de la CDU du siècle dernier, ont dû faire sauter les bouchons de champagne. La «domination étrangère» protestante [Angela Merkel, fille de pasteur, venant de l’Allemagne de l’Est] pouvait enfin être secouée!

L’ère Merkel s’est donc terminée plus rapidement que de nombreux observateurs ne le pensaient. L’admiration que les journalistes, en particulier, portaient à la chancelière éternelle était devenue assez fade au sein du parti. Seuls 12% des membres votants de la CDU se sont prononcés en faveur du ministre soutenu par Merkel, Helge Braun [directeur de la Chancellerie fédérale et ministre fédéral de mars 2018 à décembre 2021, sous le gouvernement de Merkel IV], ce qui montre clairement à quel point les gens en ont assez de leur cheffe. En effet, avec sa manière de faire de la politique qui dépasse les clivages, ou plutôt qui écrase les clivages, la CDU/CSU a connu une chute vertigineuse au cours des dernières années, passant de 41,5% aux élections législatives de 2013 à 32,9 % en 2017, pour atteindre le chiffre humiliant de 24,1% en 2021. La CDU/CSU n’a jamais été aussi mal en 72 ans d’histoire. Friedrich Merz, «l’anti-Merkel», a qualifié à juste titre le résultat de désastre: la démocratie chrétienne allemande est un «grave cas de redressement politique menacé d’insolvabilité». Près des deux tiers des membres de la CDU ayant voté considèrent apparemment Merz comme un assainisseur approprié.

Qu’est-ce que cela signifie pour la CDU et la politique allemande? Un regard sur l’étranger peut aider. Aux Etats-Unis, en France, en Espagne, en Italie et dans de nombreux autres pays, les chrétiens-démocrates et les conservateurs sont aujourd’hui soumis à une double pression: au centre, les néolibéraux marché-compatibles leur disputent la bourgeoisie ouverte à une politique sociale; à droite, les partis nationaux-conservateurs, populistes de droite, voire d’extrême droite, qui n’ont plus aucun respect pour les conservateurs mous et agissent de manière toujours plus insolente. Merz tentera de puiser dans le réservoir d’électeurs des deux courants, et cela ne sera possible que s’il peut servir à la fois des positions de droite et néolibérales. Il doit localiser le point d’intersection entre le FDP [qui est membre de la coalition «feu tricolore] et l’AfD (Alternative für Deutschland) et mettre en évidence leur antipathie commune contre la «rage de réglementation étatique vert/gauche» et ensuite pousser les deux partis dans sa direction. Est-ce que cela peut réussir?

Le tabou de l’AfD tombe-t-il?

Contrairement à ce que l’on a parfois pu croire ces dernières années, Merz un excellent orateur. Il met les points sur les i (de son point de vue), il parle clairement et ne tergiverse pas comme les Verts, il n’est pas schtroumpf [qualificatif qui lui a été donné par Markus Soder, chef de la CSU bavaroise, soit une attitude aux apparences de benêt] et sans émotion comme Olaf Scholz. Merez piquera et harcèlera toujours Christian Lindner [ministre des Finances de la coalition «feu tricolore»] à cause de ses nouveaux amis [Verts et SPD], jusqu’à ce que le FDP revienne à la CDU, repentant, comme en 1982.

Contrairement à Merkel, Merz tentera de rassembler le «camp bourgeois» dispersé. Il compte parmi ce camp, outre le FDP, une partie notable de l’AfD. Il sera intéressant d’observer comment l’AfD et le FDP tenteront de se soustraire à cette double stratégie d’étreinte et d’étranglement: un sérieux virage du FDP vers le libéralisme de gauche et la radicalisation sociale et nationale de l’AfD semblent tout aussi possibles que la sortie du FDP de la coalition «feu tricolore» et la levée progressive des tabous sur les coopérations noir-bleu [soit dans l’ordre CDU et AfD]. La réaction du FDP et de l’AfD aux avances de Merz dépendra de manière décisive de l’habileté stratégique de la nouvelle direction du parti et de son art de ne pas mettre les pieds dans le plat chaque fois qu’un problème se pose. Sur ce point, Merz est bien plus réactif et moins stable que Merkel. Ses adversaires sauront exploiter cette faiblesse sans merci.

Réjouissez-vous, vous la gauche

Mais dans un premier temps, la retenue est de mise. Jusqu’au congrès du parti, en janvier 2023, le loup Merz mangera encore des kilos de craie [allusion au conte de Grimm Le loup et les sept chevreaux], et tant que la pandémie persistera, le changement de stratégie de Merkel à Merz ne sera guère visible. En temps de crise, l’Allemagne ne connaît pas de partis. La cohésion est le premier devoir du citoyen. Friedrich Merz n’y touchera pas. Mais une fois la crise passée, la différence fondamentale entre la politique de Merkel, qui dépasse les clivages, et celle de Merz, qui bâtit des clivages, deviendra évidente. Pour Die Linke, c’est une bonne nouvelle. (Article publié le 19 décembre sur le site de l’hebdomadaire Der Freitag; traduction rédaction A l’Encontre)

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