Par Frontier Fridays
Cette semaine [21 au 28 octobre], la junte a séché le sommet de l’ASEAN après avoir vu sa représentation déclassée ; a été révélée la campagne de torture systémique de l’armée; les partisans de l’armée ont organisé des manifestations; et des journalistes ont été accusés de terrorisme. (Réd. Frontier Fridays)
La junte ne participe pas au sommet de l’ASEAN
La junte n’a finalement pas participé au sommet de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) de cette semaine, après que le bloc régional soit resté ferme et a décidé d’exclure le commandant en chef de la junte Min Aung Hlaing en raison de l’absence de progrès dans la résolution de la crise politique. A la place, l’ASEAN avait invité un secrétaire permanent du ministère des Affaires étrangères du régime, une rétrogradation gênante. Dans une déclaration faite la nuit précédant le sommet, le ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’il avait «tous les droits de participer» et qu’il n’accepterait d’être représenté que par Min Aung Hlaing ou par un ministre de la junte. Dans une déclaration ultérieure, la junte a insisté sur le fait qu’elle ne boycottait pas l’ASEAN et ne ferait pas de déclaration contre elle.
Lors du sommet de l’ASEAN, le régime militaire a fait l’objet d’une avalanche de critiques, avec personne présent pour le défendre. Les commentaires du Cambodge, qui s’apprête à prendre la présidence de l’ASEAN pour 2022 et donc à nommer le prochain envoyé spécial pour le Myanmar, ont peut-être été les plus surprenants. Le Premier ministre Hun Sen a choqué beaucoup de monde en condamnant publiquement la décision de la junte de ne pas participer au sommet, soutenant apparemment la décision d’exclure Min Aung Hlaing. «L’ASEAN n’a pas expulsé le Myanmar du cadre de l’ASEAN. Le Myanmar a renoncé à son droit», a-t-il déclaré, selon Reuters. «Nous sommes maintenant dans la situation d’une ASEAN moins un. Ce n’est pas à cause de l’ASEAN, mais à cause du Myanmar.»
Ces commentaires sont surprenants étant donné l’aversion typique de Hun Sen pour toute forme d’ingérence étrangère ou de conséquences pour les violations des droits. Le lendemain, son ministre des Affaires étrangères, Prak Sokhonn, a confirmé que le Cambodge soutenait la décision d’exclure Min Aung Hlaing, affirmant que la crise au Myanmar était un «sujet de grave préoccupation» qui a des «répercussions négatives sur la région». Et cela affecte la crédibilité de l’ASEAN. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour ceux qui attendaient avec nervosité de voir si le Cambodge – dont le bilan en matière de droits de l’homme est épouvantable – allait poursuivre les efforts du Brunei [qui présid l’ASEAN en 2021] ou adopter une position plus souple. Il convient toutefois de rappeler que le Cambodge est extrêmement loyal envers la Chine et qu’il a déjà torpillé les efforts de l’ASEAN pour le compte de la Chine à propos des différends relatifs à la mer de Chine méridionale. Si la Chine décidait de soutenir plus complètement la junte à l’avenir, ce qui est possible, la position du Cambodge sur la crise du Myanmar changerait probablement aussi brusquement.
La campagne de torture de la Tatmadaw
L’Associated Press a publié une nouvelle enquête sur le recours à la torture dans tout le pays, montrant clairement qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés mais d’une politique systémique. Nous vous recommandons de lire l’intégralité de cet excellent article [en langue anglaise], même si nous vous prévenons qu’il est difficile à lire [https://apnews.com/article/myanmar-torture-military-prisons-insein-abuse-390fe5b49337be82ce91639e93e0192f ].
Selon AP, sur les 28 prisonniers interrogés, tous sauf six ont subi une forme de torture. Ceux qui étaient détenus dans les mêmes centres ont effectué des récits similaires, bien qu’ils aient été interrogés séparément, ce qui suggère que ce traitement relevait d’une une procédure standard. L’une des personnes interrogées a déclaré à l’AP s’être fait entailler la peau avec des tenailles; on lui avait donné des coups de pied répétés dans la poitrine, on lui avait enfoncé un pistolet dans la bouche et on l’avait forcé à s’agenouiller sur des pierres pointues pendant des heures d’interrogatoire. «Il n’y avait aucune pause – c’était constant», a-t-il déclaré. Un autre prisonnier a déclaré que son compagnon de cellule, âgé de 18 ans, avait vu ses parties génitales fracassées à plusieurs reprises avec une brique.
Un sergent qui a fait défection de l’armée a déclaré avoir assisté à la torture à mort de deux prisonniers dans l’Etat de Chin, ajoutant que les soldats avaient ensuite attaché des perfusions aux cadavres et forcé un médecin militaire à rédiger un faux certificat de décès. Le sergent a déclaré que l’ordre de dissimuler ces décès provenait des deux officiers les plus haut gradés de l’Etat de Chin, établissant ainsi une responsabilité directe de la part de la hiérarchie militaire.
En complément de ces excellents reportages, des récits d’abus horribles sont relayés par d’anciens détenus récemment libérés lors de l’amnistie de masse. Une écrivaine transgenre de la ville de Mandalay a parlé des abus sexuels et des tortures qu’elle a subis lors de son interrogatoire après avoir été arrêtée en septembre et accusée d’incitation en vertu de l’article 505-A du Code pénal. Saw Han Nway Oo a déclaré qu’elle avait été emmenée dans un centre d’interrogatoire du palais de Mandalay et accusée d’avoir reçu une formation militaire de l’Armée d’indépendance kachin. Là, on l’a coupée avec un couteau, on lui a jeté dessus de l’eau chaude et on l’a frappée avec la crosse d’un fusil et des fils électriques. Elle a déclaré que les soldats l’avaient également forcée à leur montrer ses parties génitales pour voir si elle avait «subi une opération», qu’elle avait été contrainte de porter des vêtements masculins et qu’elle avait été envoyée dans le quartier des hommes de la prison d’Ohbo.
Une vague de manifestations pro-militaires
Le désaveu de l’ASEAN semble avoir inspiré la rare multiplication de rassemblements pro-militaires, principalement concentrés dans les bastions militaires comme la capitale administrative de Nay Pyi Taw. L’Associated Press et les médias locaux ont également rapporté que les manifestations intégraient quelques moines bouddhistes nationalistes. Ces manifestations provocatrices surviennent à un moment de tension politique incroyable dans le pays.
Quelques heures après une manifestation dans le canton de Meiktila, dans la région de Mandalay, un véhicule de police a été frappé par une explosion, faisant plusieurs victimes. Une photo montre au moins un policier allongé à plat ventre sur le sol, qui semble gravement blessé ou peut-être mort. Le média Voice of Myanmar, basé à Mandalay, affirme que deux policiers ont été tués, tandis que deux autres policiers et un soldat ont été blessés. Un résident a déclaré que le véhicule avait été «utilisé pour surveiller les personnes participant à la manifestation pro-militaire plus tôt dans la journée».
Myanmar Now rapporte que des groupes relativement petits de manifestants se sont rassemblés dans 13 communes de Nay Pyi Taw, scandant des slogans condamnant le mouvement de résistance et condamnant l’ASEAN. Dans le district de Kyaukse, dans la région de Mandalay, une trentaine de personnes se sont rassemblées pour une manifestation, des témoins affirmant que certains participants étaient armés. Dans la ville de Mandalay, l’ultranationaliste Michael Kyaw Myint, président du parti pro-militaire Yeomanry Development Party, a mené une manifestation sous l’escorte des forces de sécurité. «Mandalay sera libérée du terrorisme», peut-on le voir crier dans un clip vidéo qu’il a publié sur sa page Facebook. Dans la capitale de l’Etat Mon, Mawlamyine, la foule était plus importante, avec environ 200 manifestants escortés par une centaine de soldats de la junte.
Bien sûr, nombre de ces manifestations ont violé les restrictions du COVID-19, ou les mesures de sécurité limitant les rassemblements imposés en réponse aux protestations anti-coup d’État. Mais d’une manière ou d’une autre, nous pensons qu’aucun des organisateurs ou des participants ne sera confronté à des problèmes juridiques ou à une répression violente (ce qui est d’autant plus hypocrite que les dirigeants élus du pays sont en procès pour avoir prétendument violé les restrictions Covid-19).
Des journalistes accusés de «terrorisme»
La junte a intensifié sa guerre contre le journalisme en inculpant – cette semaine [du 21 au 28 octobre] – au moins six journalistes en vertu de la loi antiterroriste. Des accusations ont été portées contre Win Naing Oo, chef du personnel de la chaîne locale Channel Mandalay, et cinq journalistes du Zeyar Times, basé à Sagaing, dont le rédacteur en chef Saw Yan Paing. Tous ont été initialement inculpés en vertu de l’article 505-A du Code pénal, mais leur chef d’accusation a été modifié pour devenir une accusation plus grave. Win Naing Oo a été inculpé en vertu de l’article 52(a) de la loi antiterroriste qui prévoit une peine de trois à sept ans de prison. Les charges retenues contre lui pourraient être liées au fait qu’il a été arrêté dans une planque située dans la commune de Sintgaing, qui aurait également hébergé des membres des PDF (People’s Defence Force). Les PDF sont liées au Gouvernement d’unité nationale.
Les cinq journalistes du Zeyar Times ont été inculpés en vertu des sections 50(a) et 50(c) de la loi antiterroriste, qui prévoit une peine minimale de 10 ans et maximale de prison à vie. Trois des accusés sont toujours en fuite, dont le rédacteur en chef Saw Yan Paing, tandis que la page Facebook du journal a été supprimée. Les deux détenus sont D Myat Nein – qui a été arrêté alors qu’il couvrait pour son journal les conséquences d’une explosion en juillet, et Pyae Phyo Aung, qui a été arrêté ce mois-ci, après avoir reçu l’ordre de se rendre dans un poste de police et de signer une déclaration indiquant qu’il ne travaillait plus pour le journal.
Dans d’autres nouvelles concernant la répression des médias, l’audience de libération sous caution du directeur de la rédaction de Frontier, Danny Fenster, a été reportée cette semaine, le juge s’étant apparemment cassé le bras. La décision est maintenant attendue pour le 3 novembre. Nous remercions également le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong, qui a expressément demandé la libération de Danny Fenster lors de la réunion de l’ANASE avec le président américain Joe Biden. (Lettre d’information de Frontier publiée le 29 octobre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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