Israël-Palestine. «Ni les juges ni les diplomates ne viendront sauver Sheikh Jarrah»

Par Amjad Iraqi

Il était exaspérant de suivre les délibérations de la Cour suprême israélienne sur Sheikh Jarrah [quartier à majorité palestinienne de Jérusalem-Est] lundi 2 août. Au cours d’une audience visant à déterminer si les résidents palestiniens seront expulsés de force de leur quartier, les trois juges présidents ont proposé un accord qui permettrait aux familles de rester dans leurs maisons en tant que «locataires protégés» pendant plusieurs années, en échange du paiement d’une petite taxe de «location» [400 euros environ par année] fait au groupe de colons Nahalat Shimon, qui convoite agressivement les propriétés avec le soutien de la police. L’audience s’est terminée sur une impasse, obligeant le tribunal à en programmer une autre la semaine prochaine dans l’espoir que les parties cèdent d’ici là.

Ce que les juges ont décrit comme un «compromis» s’est toutefois révélé être un ultimatum. Les juges ont d’abord refusé d’accorder aux familles plusieurs jours pour examiner l’accord, sous prétexte qu’ils voulaient éviter toute pression médiatique supplémentaire et qu’il faudrait des siècles pour que tous les résidents se mettent d’accord. De nombreux Palestiniens présents dans la salle d’audience ont eu du mal à suivre les plaidoyers en hébreu (aucune traduction officielle n’a été fournie), ce qui les a obligés à se démener pour obtenir des informations sur leur sort. L’objectif des juges n’était pas marqué par la subtilité: il s’agissait de faire pression sur les parties pour qu’elles acceptent l’accord, et éviter la responsabilité de statuer sur une question aux enjeux politiques élevés.

La tentative du tribunal d’obliger les familles de Sheikh Jarrah à accepter les colons comme leurs propriétaires [1] est un rappel brutal que, pour les Palestiniens, le système juridique israélien ne peut jamais être une voie pour l’instauration d’une justice. Plutôt que d’accorder du crédit aux droits des Palestiniens sur leurs maisons, les juges semblaient vouloir à tout prix apaiser la résistance de Sheikh Jarrah tout en préservant les plans à long terme des colons pour ce quartier de Jérusalem. Comme l’a déclaré le juge Yitzhak Amit, «cet [accord] permettra de respirer pendant quelques bonnes années, jusqu’à ce qu’il y ait un accord immobilier ou que la paix s’installe» – ce qui revient à dire aux Palestiniens menacés que leurs occupants décideront de leur avenir une autre fois.

Une telle manœuvre n’est guère inhabituelle pour la Cour suprême qui, à de rares exceptions près, a régulièrement donné son aval à l’entreprise de colonisation d’Israël. Noam Sohlberg, l’un des juges qui siégeait lundi, réside lui-même dans une colonie de Cisjordanie. Même en présentant une solution ostensiblement «équilibrée» et «pragmatique», le tribunal n’a fait que renforcer les règles du pouvoir dans le cadre du régime colonial israélien: la légitimité des colons juifs et la subordination des Palestiniens.

Dans le drame qui se déroulait dans la salle d’audience, il était quelque peu vexant de voir le personnel diplomatique [entre autres de l’UE] assister à l’audience pour soutenir les familles palestiniennes. Depuis leurs bureaux et leurs résidences à Jérusalem, ces diplomates, dont beaucoup sont bien intentionnés, ont vu les autorités de l’Etat israélien et les groupes de colons transformer Sheikh Jarrah en un avant-poste de la violence et de la cruauté. De retour dans leurs capitales respectives, les ministères des Affaires étrangères et les fonctionnaires ont condamné à plusieurs reprises les colonies comme illégales au regard du droit international et comme une menace pour la création d’une capitale palestinienne à Jérusalem-Est.

Pourtant, même avec cette attention inégalée, le poids de ces acteurs politiques n’aboutit à rien sur le terrain. Sheikh Jarrah est peut-être aujourd’hui la communauté palestinienne la plus célèbre qui résiste au transfert – et pourtant, les gouvernements étrangers ne parviennent pas à exercer la pression nécessaire pour dissuader totalement Israël d’expulser les familles. Plutôt que d’exercer une pression économique et diplomatique sérieuse, ces Etats puissants ont en grande partie répondu par de simples préoccupations verbales – laissant les Palestiniens faire face aux colons, aux policiers et aux juges qui travaillent de concert pour les expulser.

L’activisme des habitants de Sheikh Jarrah, combiné au mouvement de solidarité croissant qui les soutient, contribue à bloquer les plans d’Israël et à renouveler la pression sur les gouvernements pour qu’ils joignent le geste à la parole. Mais le fait que le sort de Sheikh Jarrah reste si précaire montre à quel point la «communauté internationale» n’est guère plus qu’une coquille vide, un vide rempli de mots creux plutôt qu’un instrument pour une action. Si la Cour suprême rend un verdict d’expulsion des Palestiniens – ou si les colons et la police les éjectent violemment – la «communauté internationale» fera-t-elle le nécessaire pour protéger les familles? Ou bien continuera-t-elle à regarder comme des spectateurs, comme elle l’a fait pour d’innombrables autres communautés palestiniennes? (Article publié sur le site israélien +972, le 2 août 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Amjad Iraqi est rédacteur pour le magazine +972. Il est un citoyen palestinien d’Israël, basé à Haïfa.

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[1] I24News, la chaîne pro-israélienne, précise ainsi, le 3 août 2021: «En échange, les Palestiniens reconnaîtraient que Nahalat Shimon est enregistré comme propriétaire des habitations en Israël mais sans pour autant céder leur propriété à l’organisation juive. Le compromis laisse toutefois la possibilité au ministère de la Justice de rouvrir le dossier.» (Réd.)

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