Par Stefan Schulz
Qu’est-ce qu’un parti populaire, et pour qui? Thomas de Maizière [ministre de la Défense 2011-2013, de l’Intérieur 2013-2018, CDU-Union chrétienne-démocrate d’Allemagne] a récemment abordé cette question au Bundestag; c’était son dernier discours après trois législatures en tant que député. En tant qu’ancien chef de cabinet de la chancelière Angela Merkel [2005-2009], ministre fédéral et ministre d’Etat en Saxe, Thomas de Maizière fait le point: pour un parti populaire, dit-il, ce n’est pas la taille qui compte, mais le fait qu’il «veille au bien-être de la grande majorité de la population» et s’efforce d’atteindre un «équilibre entre les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux». Aujourd’hui, Thomas de Maizière ne se lance plus dans la campagne électorale. S’il le faisait, on pourrait lui poser la question évidente: alors êtes-vous toujours le parti du peuple?
Si vous lisez le manifeste électoral de la CDU et de la CSU [Union chrétienne-sociale en Bavière], vous ne trouverez aucun effort pour établir un équilibre entre les riches et les pauvres ou les jeunes et les vieux. Le bien commun est à peine mentionné. La «nouvelle prospérité» promise par le parti est du verbiage. Ou plutôt: c’est la prospérité des personnes âgées que la CDU veut défendre. Son programme électoral ne dit rien de la nouvelle prospérité pour la jeune génération.
Au lieu de cela, le parti se préoccupe de préserver les vieilles fortunes dans les mains de vieux et riches propriétaires, à qui l’on promet une «libération» de l’économie. Les jeunes activistes du climat, en revanche, doivent s’accommoder du fait que la CDU se contente de «soutenir» l’économie «sur la voie de la neutralité climatique» avec des «instruments efficaces basés sur le marché». On parle encore ici d’«incitations au lieu d’interdictions», de «liberté» et de «responsabilité individuelle». Le fait que le concept de liberté ait été récemment [en mai 2021] enrichi par la Cour constitutionnelle fédérale d’une composante temporelle, pour rappeler qu’en matière de politique climatique, la liberté d’aujourd’hui ne doit pas se faire au détriment de la liberté future des générations encore jeunes, est soigneusement ignoré par le parti.
Les «impôts sur les profits» devraient être plafonnés, est-il affirmé. Afin de garantir ces profits, d’autres éléments restent en l’état. Par exemple, les relations de travail à durée déterminée (CDD). Car il ne suffit pas de dire que «les contrats à durée déterminée sans limitation déterminée doivent continuer à être l’exception». En effet, ce n’est déjà plus une exception: environ 10% de tous les salarié·e·s en Allemagne travaillent sous contrat à durée déterminée, et près de deux tiers d’entre eux ont moins de 35 ans. En particulier, l’Etat, en tant qu’employeur, prend appui sur les contrats à durée déterminée comme étant l’état normal des choses dans le monde universitaire. L’Allemagne est un précurseur à cet égard dans de l’OCDE. Mais la CDU continue de fermer les yeux sur cette situation. Au lieu de cela, le taux maximal de l’impôt sur le revenu [42%] ne s’appliquera à l’avenir qu’aux revenus «sensiblement» plus élevés. [L’objectif est d’étendre le début de la zone de progression de l’impôt.]
La CDU écrit ensuite qu’elle souhaite un «nouveau départ dans la relation entre l’Etat et le citoyen», et que «l’Etat doit clairement se retirer à nouveau après la pandémie». La raison pour laquelle l’intervention de l’Etat s’est étendue n’est pas abordée. On peut noter que l’indemnité de chômage partiel a été versée afin de ne pas compromettre le paiement des dividendes aux actionnaires. Ou que l’aide dans le cadre du Covid-19 a été utilisée pour garantir le paiement des loyers. La CDU est le parti des propriétaires d’appartements. L’âge moyen des propriétaires dans ce pays est de 58 ans. Le Covid-19 ne les a pas mis en danger.
La tendance qui a vu le nombre de millionnaires doubler pendant le mandat d’Angela Merkel en Allemagne n’a pas été interrompue pendant l’année du coronavirus, bien au contraire. Dans le même temps, les contrats de location dans les centres urbains, qui sont majoritairement signés par des jeunes, dépassent désormais ce qui est «raisonnable». Dans des villes comme Francfort-sur-le-Main, plus de 40% en moyenne du revenu disponible est consacré au logement. Le programme de la CDU se tait à ce sujet. Le plafonnement des loyers est une «intervention juridiquement discutable et inappropriée» sur le marché, écrit le parti dans son programme. Le fait que la Cour constitutionnelle fédérale ait annulé le plafonnement des loyers à Berlin, strictement pour des questions de compétence, est omis.
Mais il en va du logement comme il en va déjà du travail. Les jeunes, en passe d’obtenir leur premier emploi et de fonder une famille, rendent attractifs les centres urbains avec leurs firmes. L’augmentation de valeur qui en résulte continue toutefois de revenir comme rente aux propriétaires et aux bailleurs, plus âgés pour la plupart. Toutefois, la CDU ne veut pas leur retirer cette possibilité, car «nous refusons une réintroduction de l’impôt sur la propriété».
Epargner pour l’avenir
Des chercheurs dirigés par l’économiste Moritz Schularick [Université de Bonn] chiffrent à 3000 milliards d’euros l’augmentation de la valeur des biens immobiliers rien qu’en Allemagne depuis 2011. Il s’agit, au fond, d’un gigantesque projet de redistribution des pauvres vers les riches, des jeunes vers les vieux, que la CDU poursuit avec son programme électoral actuel.
Les personnes désavantagées ici par les contrats de travail et de location sont les jeunes en Allemagne. Comment peuvent-ils se défendre contre le programme électoral de la CDU? Ils sont piégés dans un cul-de-sac démographique: deux tiers des élections au Bundestag [Chambre basse] sont décidées par l’électorat de plus de 50 ans. Mais la jeune génération dans ce pays n’est pas complètement à la merci de la CDU. Ils peuvent eux-mêmes voter différemment. Ils peuvent chercher un dialogue avec leurs parents et grands-parents afin qu’ils votent différemment pour eux.
La situation est différente pour un autre groupe de jeunes: les jeunes Européens. «Nous nous engageons en faveur du frein constitutionnel à l’endettement», écrit la CDU. Alors que la Chine et les Etats-Unis se livrent à une course à la souveraineté sur les technologies clés du XXIe siècle, la CDU met des brides sur notre pays. Pourquoi cela? Tout au long des pages du programme, la CDU s’extasie sur l’innovation et la recherche, les «meilleurs cerveaux» et l’«offensive de transformation numérique». Mais alors que les Etats-Unis viennent de lancer en juin leur prochain programme d’investissement de 250 milliards de dollars dans ce domaine, la CDU se désiste en la matière: le frein à l’endettement, le fétiche de l’austérité, est plus important pour elle que les technologies clés!
Le diktat de l’austérité qu’il impose aux jeunes Allemands, il veut aussi le dicter à tous ses voisins européens de la zone euro. «Nous voulons un rôle plus important pour le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires», indique le programme du parti. Mais cette promotion n’a pas pour but d’aider l’Europe à progresser pour suivre les Etats-Unis et la Chine. Au lieu de cela, le parti souhaite un rôle plus important «en particulier pour faire respecter les critères de stabilité».
La phrase suivante parle de «réformes structurelles et de consolidation budgétaire». Des «processus de réforme» doivent être lancés. Cette rhétorique donne des sueurs froides aux jeunes Espagnols, Grecs, Portugais et Italiens. Les souvenirs de la politique de la Troïka en Europe du Sud sont encore frais. Le taux de chômage élevé des jeunes, l’extrémisme politique et la pauvreté généralisée continuent de sévir dans les pays concernés. Et tout cela parce que la CDU veut garantir les ventes à l’étranger de l’économie exportatrice allemande, championne du monde?
Le frein à l’endettement nuit à l’Allemagne, et est désastreux pour l’Europe. La CDU, elle, pense en tirer un bénéfice qu’elle inscrit dans le programme de son parti avec la promesse d’une «nouvelle prospérité».
Le programme électoral actuel de la CDU/CSU ne peut être considéré que comme une lettre d’adieu à la jeune génération. Et il doit être lu comme une déclaration de guerre: à tous ceux qui n’ont pas de (vieille) prospérité à défendre. En Europe comme dans ce pays. (Article publié dans l’hebdomadaire Der Freitag, le 8 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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