Brésil: Globo et le PT

Par Valerio Arcary

1.- L’article publié par l’ancien rédacteur en chef d’O Globo, Ascânio Seleme, samedi 11 juillet 2020, «Il est temps de pardonner au PT», a été interprété comme une expression de l’opinion de la société. Le groupe Globo fait remarquer à la classe dominante qu’il est nécessaire de reconnaître le Parti des travailleurs (PT) et la gauche, car ils ont une force sociale et une capacité politico-électorale, car ils influencent un tiers de la société, car ils doivent être acceptés comme des sujets politiques nécessaires, voire indispensables, de l’opposition au gouvernement de Bolsonaro.

Bien que la référence directe dans l’article concerne le PT, parce que ce parti maintient une position majoritaire à gauche, il semble clair, sur la base des raisons invoquées, qu’il s’agit d’un changement de direction qui affecte toute la gauche brésilienne, donc aussi le Parti du socialisme et de la liberté (PSOL). Ce n’est pas une surprise totale, car depuis deux mois, le journal national invite à nouveau les dirigeants du PT et y compris la leader du PSOL à la Chambre des députés, Fernanda Melchionna.

Il s’agit d’une transformation majeure. Il est impossible de comprendre l’histoire des cinq dernières années sans étudier le rôle du groupe Globo [le groupe hégémonique dans le champ des médias] lors de la construction du soutien à l’opération Lava Jato et en faveur du retrait de Dilma Rousseff [en août 2016]. Bien qu’il ait pris ses distances avec le gouvernement de Michel Temer après le scandale de JBS [corruption avec le numéro un mondial de l’exportation de viande], le groupe Globo a participé à la campagne de dénonciation qui a abouti à la condamnation et à l’emprisonnement de Lula. Par conséquent, il a ouvert la voie à la montée de Bolsonaro jusqu’aux élections de 2018, en tant que porte-parole de l’extrême droite, soutenant Paulo Guedes [ministre ultra-libéral de l’Economie] et ses propositions pendant la campagne. Ce changement confirme une division au sein de la bourgeoisie brésilienne.

2.- Le groupe Globo réaffirme que le gouvernement Bolsonaro est une menace pour le régime de la Nouvelle République. L’article confirme une réévaluation de la position face au gouvernement Bolsonaro, après l’impact de la pandémie, mais il va plus loin. Il affirme que le PT et la gauche ne sont pas, à l’heure actuelle, un danger symétrique au bolsonarisme, ce qui renvoyait à la «théorie» des deux extrémismes, des deux menaces, des deux risques. Ce repositionnement mérite une analyse sérieuse.

Il ne s’agit pas seulement d’une attitude d’autodéfense face aux menaces directes qui pèsent sur sa place de principal groupe économique dans le domaine de la communication sociale. Bien entendu, il s’agit également d’un déplacement dans une situation de légitime défense. Ils n’ignorent pas que leur avenir en tant qu’entreprise est en danger. Le gouvernement Bolsonaro a déjà menacé le non-renouvellement de la concession, redistribué les fonds publicitaires officiels, favorisé les groupes de médias concurrents et, récemment, il menace le monopole des transmissions du championnat brésilien de football, une source majeure de financement du «joyau le plus précieux», la chaîne de télévision.

Mais ce serait manquer de perspicacité que de ne pas voir que le groupe Globo joue un rôle majeur dans la formation de la configuration politique de la classe dirigeante et des couches moyennes. Depuis la mi-mars, il a adopté une position critique à l’égard du gouvernement Bolsonaro: 1° il a condamné le déni anti-scientifique contre la pandémie; 2° il a souligné le danger des actions fascistes; 3° il a dénoncé les discours de défense de l’auto-coup d’État de l’aile bolsonariste; 4° il a soutenu les initiatives de la Cour suprême fédérale (STF) pour enquêter sur le réseau de fausses nouvelles financé par le Palais du Planalto [palais présidentiel]; 5° il a soutenu Rodrigo Maia à la présidence de la Chambre des députés lors de la prolongation de l’aide d’urgence; 6° il a accusé Bolsonaro d’avoir abusé de son pouvoir lors de la manœuvre d’intervention de la Police fédérale; 7° il a soutenu Sergio Moro [ex-ministre de la Justice démissionnaire] et les gouverneurs de l’opposition, comme João Dória [gouverneur de l’Etat de São Paulo].

3.- Le groupe Globo révèle qu’il est conscient que sous-estimer le poids social et politique de la gauche brésilienne serait une erreur irréparable. L’ampleur de la crise nationale générée par la pandémie et la récession économique ouvrent la possibilité de mobilisations massives dans quelques mois. La tenue d’élections municipales peut ne pas suffire à canaliser l’agitation sociale. Le repositionnement du groupe Globo est également un avertissement à la classe dirigeante que le protagonisme de la gauche dans les rues sera inévitable. Plus important encore, cette agitation sociale s’accroît et pourrait s’étendre lorsque les conditions de confinement social imposées par la montée de la pandémie seront surmontées. Il y a beaucoup d’incertitudes à l’horizon. Les actions d’endiguement partiel des pulsions fascistes du bolsonarisme, après l’arrestation de Fabricio Queiroz [ex-assesseur du député de Rio de Janeiro, Flavio Bolsonaro, fils du président], ont apporté un soulagement relatif, mais leurs effets sont transitoires.

4.- Globo continue de parier sur la permanence de Bolsonaro jusqu’à la fin de son mandat, tant que la pression de la Cour suprême et du Congrès est suffisante pour contenir l’aile néofasciste. C’est la position qui prévaut dans la majorité de la bourgeoisie brésilienne. Une seconde destitution [après Dilma Rousseff], dans un intervalle aussi court, est toujours considérée comme un mal plus grand que la permanence de Bolsonaro. En particulier, parce qu’il y a une immense unité autour des projets de Paulo Guedes, y compris les privatisations.

Mais le groupe Globo indique sa position dans un camp d’opposition électorale pour 2022 et, surtout, prévient qu’une candidature centriste ne peut l’emporter au second tour que si elle parvient à entraîner les voix de la gauche, ce qui impose une nouvelle attitude envers certaines tendances des partis de gauche qui ont accepté l’accord par le biais d’un embryon de Front large articulé par le mouvement Juntos, pour la défense de la loi, de l’ordre et du marché [mouvement lancé par une série de personnalités soutenant de possibles alternatives présidentielles, allant de Fernando Haddad à Fernando Henrique Cardoso ou à Guilherme Boulos], et par le mouvement Derechos Ya, pour la défense de la démocratie, mais sans dénoncer les provocations du coup d’Etat, et encore moins exiger la fin du gouvernement Bolsonaro.

5.- Non moins important, l’interdiction de Lula reste un sujet tabou pour le groupe Globo, en fait pour la classe dirigeante. Lula doit rester maudit, condamné, écarté. Le PT et une gauche de concertation, qui accepte une place d’appoint dans l’opposition, doivent être acceptés. Ce n’est pas, bien sûr, parce que Lula est un radical, car même les pierres du jardin botanique savent qu’il ne l’a jamais été. Mais à cause de tout ce que Lula symbolise dans la conscience de millions de personnes, et qui peut encore être mis à feu lors du combat frontal contre Bolsonaro.

Il semble inévitable que le prochain procès de Lula face à la Cour suprême, lorsque l’annulation des peines construites dans le cadre de l’opération Lava Jato par le juge Sergio Moro sera mise en jugement, deviendra un conflit politique central et décisif. (Article publié A terra é redonda eppur si muove…, le 14 juillet 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Valerio Arcary est membre d’un courant du PSOL, Resistencia. Il intervient régulièrement sur le site Esquerda online.

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