Une vague de protestations a envahi un nombre croissant de villes aux Etats-Unis samedi 30 mai. Plusieurs gouverneurs ont mobilisé la Garde nationale et des couvre-feux ont été décrétés dans plusieurs grandes villes, dont Atlanta, Chicago, Louisville, Denver, Miami et Milwaukee. Un homme de 19 ans a été abattu dans le centre-ville de Detroit, ainsi qu’un autre à Indianapolis. Par contre, le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, dénonce «la violence»… des manifestant·e·s. Ce sont les clivages de classes et de race qui sont enfouis par ces condamnations. (Réd.)
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Au lendemain du meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis, certains médias de notre pays se sont tournés vers des questions cruciales qui doivent être abordées.
Faut-il condamner le pillage?
Oui, nous devons condamner le pillage du Sud par les militaires occidentaux et les multinationales. Nous devrions craindre la possibilité terrifiante que le vaccin contre le Covid-19 soit séquestré, privatisé et vendu pour le profit; et le pillage des nations sous-développées et des personnes sous-assurées [contre la maladie] qui en découlerait.
Nous devrions lutter contre le pillage des «coffres» des nations sous-développées par des dettes odieuses et des programmes d’ajustement structurel élaborés et imposés par les institutions internationales, en ce moment même.
Mais devrions-nous nous préoccuper de l’autre type de pillage?
Il faudrait un monstre sans cœur pour ne pas se soucier du pillage des maisons et des bâtiments par les capitalistes vautours. Nous devrions nous organiser contre la vague imminente d’expulsions qui s’abattra sur nos communautés dès la réouverture des tribunaux. Et nous devrions lutter contre le vol de maisons et d’écoles solides; la destruction inutile de vies due au fait qu’ils doivent donner la priorité à la nourriture plutôt qu’au loyer.
Nous nous soucions du fait que des quartiers entiers de la classe ouvrière seront embourgeoisés [gentrifiés], leurs bâtiments remplacés par des logements pour des familles plus riches et plus blanches, qui apportent un plus gros butin au propriétaire. Nous devrions être scandalisés par le fait que la police pille les campements de sans-abri, et nous devons exiger que les maisons et les chambres vides et sûres ne soient plus accaparées au loin des personnes non hébergées.
Devrions-nous nous soucier du pillage réel?!?
Bien sûr! Les fonds d’investissement privés vont faire fortune grâce à la faillite d’entreprises dans tout le pays. En licenciant des salarié·e·s et en pillant leurs retraites, ils vont s’enfuir avec le paquet. Nous nous soucions de la tentative de pillage du service postal des Etats-Unis [dont la privatisation est à l’ordre du jour], par exemple, en détruisant d’innombrables bons emplois syndiqués et un service public essentiel afin de démanteler une institution publique et de la transformer en entreprise privée pour générer des profits.
Nous sommes scandalisés par le pillage continu des programmes sociaux des gouvernements locaux et des États par un Parti républicain fédéral qui souhaite les voir détruits et par une direction démocrate de la Chambre dont la solution à ce problème est d’accorder aux riches des États bleus [démocrates] un gigantesque allégement fiscal. Nous sommes dégoûtés que des représentants qui prétendent défendre les travailleurs / travailleuses et les opprimé·e·s laissent volontiers leur niveau de vie s’effondrer tout en accordant des réductions d’impôts aux riches.
Sans organiser une puissante lutte des salarié·e·s, nous assisterons au pillage réel des coffres publics alors que la classe des milliardaires s’est enrichie de 434 milliards de dollars pendant la pandémie.
Mais devrions-nous nous soucier du pillage de magasins comme Target et Autozone?
Il s’agit de la destruction de biens par des personnes enragées par le meurtre d’un homme noir innocent par un policier blanc. Devrions-nous, comme le «modéré blanc» de Martin Luther King [1], tergiverser sur un soulèvement antiraciste?
Devrions-nous blâmer les Noirs de la classe ouvrière pour s’en prendre à un gouvernement et à une économie conçus pour les réprimer, les exploiter et les soumettre, au cours d’une pandémie où le capitalisme a rendu leur survie pratiquement impossible [2]? Devrions-nous participer à cette condamnation rituelle, même si nos médias traitent constamment les mêmes actes de destruction de biens par les fans de sport comme de simples réjouissances et de l’exubérance, et le pillage des communautés ouvrières par les entreprises comme une affaire courante?
Non. George Floyd est important. Les vies des Noirs comptent. Et tant que nous ne pourrons pas construire un mouvement capable de vaincre le racisme et le capitalisme, tant que les travailleurs et travailleuses de toutes les races ne s’uniront pas contre les capitalistes et leur appareil répressif, il est bon que les patrons, les fonctionnaires du gouvernement et la police qui les protège se fassent parfois rappeler par une petite fureur prolétarienne que les vies noires comptent.
Si vous vous souciez du pillage, tournez vos yeux vers les militaires, la police, les compagnies pharmaceutiques, les vampires du capital-investissement, les propriétaires, les spéculateurs immobiliers et les milliardaires. Et exigez qu’un monde jadis dérobé à la grande majorité leur soit rendu. (Article publié par le site Jacobin, le 28 mai 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] https://www.africa.upenn.edu/Articles_Gen/Letter_Birmingham.html
[2] En avril le Washington Post rapporte ainsi que dans l’État du Michigan, 40 % des décès dus au Covid-19 proviennent de la communauté noire, alors qu’elle ne représente que 14 % de la population. (Réd.)
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La liste non exhaustive des Noirs morts aux mains de la police, depuis la mort d’Eric Garner en juillet 2014.
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