Par Rodrigo Cláudio “Bocão”
Bolsonaro a franchi une ligne, marquée du sans retour en arrière, dans sa stratégie de coup d’État et cela en participant à la manifestation en faveur d’une intervention militaire, ce dimanche 19 avril 2020. Il mobilise sa base de masse au sein de la petite bourgeoisie et dans les secteurs dits de «classes moyennes» prétextant un «coup» que prépareraient contre lui des instances législatives et leurs dirigeants. La radicalisation d’un secteur minoritaire de la population, prêt à défendre toutes les mesures autoritaires du gouvernement, est évidente. Les caricatures représentant la mort, les personnes à genoux dans les casernes, les provocations des rassemblements sur les plages font partie de cette action politique de mobilisation à caractère néofasciste. La plus grande erreur de la gauche serait maintenant de sous-estimer Bolsonaro, sa capacité de mobilisation et son influence sur l’appareil militaire du pays.
Depuis dimanche soir, plusieurs manifestations de membres du Congrès, de personnalités de la société civile, de membres du STF (Tribunal suprême fédéral), d’éditoriaux des grands médias ont condamné la participation de Bolsonaro à la manifestation réclamant le retour de l’AI-5 [Acte institutionnel numéro cinq – datant de 1967 et annulant la Constitution – adopté par la dictature installée en 1964]. Toutes ces initiatives visent à défendre la démocratie et les institutions du régime contre le coup d’État de Bolsonaro. Ce sont des manifestations très importantes, mais évidemment insuffisantes compte tenu de la gravité de la situation.
La déclaration sur Twitter du président de la Chambre des députés (depuis juillet 2016), Rodrigo Maia, après les événements d’hier est emblématique. Il a condamné la rhétorique du coup d’État, défendu l’État de droit démocratique et placé la lutte contre la pandémie du coronavirus au centre des préoccupations parlementaires. Les juges du Tribunal suprême fédéral, Gilmar Mendes et Luís Roberto Barroso, ont suivi la même voie. La lettre des gouverneurs des Etat s’inscrit dans la même direction. Aucune action concrète n’est proposée visant la conspiration et les actions criminelles de Bolsonaro [qui, lui, continue à nier la gravité de la pandémie].
Ce lundi 20 avril nous avons assisté à une apparente déclaration de «repli» de la part de Bolsonaro. Après tout ce que nous avons vu depuis le 15 mars, il n’est pas possible de le croire. La question qui demeure est de savoir quelle sera la position du parlement brésilien, de la Cour suprême et du procureur général de la république au cours de cette semaine décisive.
Tout indique que Rodrigo Maia et Davi Alcolumbre [président à la fois du Sénat et du Congrès depuis 2019] se limiteront à des déclarations de défense du parlement et de la démocratie dans l’abstrait. La même orientation devrait être empruntée par le procureur général de la République et le Tribunal suprême fédéral. Cela signifie fermer les yeux sur: les innombrables crimes de responsabilité, la fraude électorale, les manifestations anticonstitutionnelles, sur la politique «génocidaire» face à la crise du coronavirus. Et aussi «s’asseoir sur» les dénonciations pour crimes déposées auprès du procureur général de la République ainsi que sur les différentes demandes de mise en accusation (destitution) qui sont déjà présentées à la Chambre des députés et devant le pouvoir judiciaire. Tout en ignorant de plus le flot de fakenews déversées par la milice bolsonariste néofasciste. La docilité avec laquelle le centre politique et les institutions répondent au bolsonarisme correspond au maintien de la tactique d’usure du gouvernement Bolsonaro, dans la perspective des élections de 2022.
La gauche brésilienne ne peut pas s’incliner, passer ainsi sous la direction de Rodrigo Maia et accepter qu’aucune action énergique ne soit entreprise contre le gouvernement putschiste de Bolsonaro. Le moment est venu de renverser le gouvernement Bolsonaro, sinon cela coûtera des milliers de vies à la population brésilienne. La continuité ou non de ce gouvernement devient l’élément central de la lutte politique, y compris pour progresser dans la lutte contre le Covid-19.
Le PCdoB (Parti communiste du Brésil) a voté au sein de son comité central, en mars 2020, la formation d’un «Front de salut national» sur la base de la confirmation d’une croissance des secteurs d’opposition au gouvernement Bolsonaro. Il défend «la nécessité d’un leader reconnu pour unir le peuple et respecter les institutions». Conformément à cette décision, Orlando Silva (député du PCdoB) a déjà défendu dimanche soir, sur les réseaux sociaux, une tactique politique conforme à celle de Rodrigo Maia, ainsi que le rejet de mesures telles que la mise en accusation (impeachment) de Bolsonaro. Le PCdoB choisit la voie du transfert de la direction de l’opposition à Rodrigo Maia, selon sa tactique du«Front de salut national». C’est une grave erreur qui pourrait porter un coup fatal à la gauche brésilienne.
Nous défendons la voie opposée: le PSOL, le PT (Parti des travailleurs) et le PCdoB ont la responsabilité découlant du fait d’être des partis de gauche disposant d’une représentation parlementaire. Il s’agit dès lors d’exercer une pression politique sur Rodrigo Maia et des parlementaires du centre dans la perspective d’un renversement du gouvernement Bolsonaro, en menant une campagne dans les réseaux sociaux et les médias afin de mettre fin au gouvernement.
Il est décisif que la gauche n’adhère pas à la stratégie de Maia. Au même titre, elle doit aussi surmonter sa fragmentation en mettant en œuvre une tactique concrète qui rende crédible l’objectif du «Dehors Bolsonaro», que ce soit par le biais de la mise en accusation (impeachment), ou par une élection indirecte du président ou par toute autre forme juridique et politique disponible. (Article publié sur le site d’Esquerda online le 19 avril 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
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