Alors que les réformes précédentes orientent déjà les retraites à la baisse, le futur régime universel devrait précipiter l’érosion des pensions. Explications.
L’exécutif a pris tout le monde de court. Pressés de faire voter la réforme des retraites, Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont préparé dans la plus grande discrétion l’utilisation du 49.3. C’est finalement samedi 29 février, après un conseil des ministres extraordinaire, en pleine crise du coronavirus, que le Premier ministre a en catimini dégainé l’arme constitutionnelle. Les deux motions de censure déposées mardi 3 mars n’ayant pas abouti, le texte, augmenté d’amendements (essentiellement ceux la majorité et apparentés) et de propositions des partenaires sociaux, a été adopté en première lecture, sans vote des députés.
Ce nouvel épisode s’ajoute à une série déjà peu reluisante. Malgré l’opposition d’une majorité de Français, une grève inédite et une étude d’impact contestée de tous bords – même par le Medef (patronat) et, surtout, le Conseil d’Etat –, le gouvernement persiste. Pourtant, lors de la présidentielle de 2017, la promesse initiale d’Emmanuel Macron paraissait si simple: «un euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous». A l’entendre, le système par répartition et son niveau de dépenses seraient préservés, il s’agissait seulement de le rendre plus équitable et transparent. Qui n’aurait pas signé? Trois ans plus tard, cette réforme, promise si simple et si juste, s’avère très complexe et contestable.
Un système généreux…
Il n’y a pas de quoi s’en réjouir. Certes, les Français peuvent être fiers de leur système de retraites. Bâti sur la seule solidarité intergénérationnelle, le régime créé à la Libération permet de garantir, relativement aux autres pays européens, un quotidien confortable à ceux qui ont passé l’âge de travailler. En France, les plus de 65 ans ont un niveau de vie qui représente 103,2 % de celui de l’ensemble de la population, selon l’OCDE, alors qu’il atteint 83,6 % au Royaume-Uni et 88,6 % en Allemagne. Sans parler du taux de pauvreté, infime dans l’Hexagone (3,4 %) par rapport à ceux enregistrés outre-Manche (15,3 %) et outre-Rhin (9,6 %).
De tels niveaux sont rendus possibles parce que nous avons décidé d’avoir un système généreux et donc comparativement plus coûteux. Le taux de cotisation est en moyenne de 28 % en France, quand la moyenne OCDE est de 18 %. Du côté des dépenses de retraites publiques, elles s’élèvent à 13,8 % du PIB alors que nos voisins y consacrent 10 à 12 %, parfois moins – mais ils doivent bien souvent compléter par une complémentaire privée.
… qui le sera beaucoup moins
C’est justement sur cette question des dépenses que l’horizon s’assombrit, mais ce n’est pas à cause d’un potentiel dérapage financier.
« Par rapport au niveau actuel, elles vont légèrement augmenter dans les cinq à dix ans à venir, essentiellement du fait de l’évolution démographique », a détaillé l’économiste Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques (IPP), lors d’une conférence à l’université Paris-Dauphine mi-février. D’après le Conseil d’orientation des retraites (COR), cela créera un déficit compris entre 8 et 17 milliards d’euros,
selon la norme comptable retenue. Une paille, quand on sait que les réserves de retraites culminent à 150 milliards et que la dette sociale sera résorbée en 2024, laissant la possibilité d’affecter autrement les 18 milliards d’euros qui sont aujourd’hui consacrés à son remboursement.
En réalité, la crainte n’est pas d’enrayer la hausse des dépenses, mais leur chute. « On a une énorme incertitude de long terme, et ce n’est pas une explosion du coût, c’est que le niveau des pensions va baisser ! », alerte l’économiste, qui a été consulté par Emmanuel Macron en 2016-2017 lorsqu’il élaborait son programme.
Selon les projections du COR, les dépenses de retraites seront à l’avenir maintenues à leur niveau dans le meilleur des scénarios, ou s’effondreront jusqu’à deux points de PIB dans le pire – ce qui, à la valeur actuelle du PIB, représente 50 milliards d’euros. En conséquence, si la pension moyenne, 1389 euros mensuels, correspond aujourd’hui à un peu plus de la moitié (52 %) du revenu d’activité moyen (salaire, traitement, bénéfice commercial, etc.), ce ne sera plus que 39 % dans les conditions optimales en 2070, 33 % dans la moins bonne situation. Là est tout l’enjeu : comment éviter cette chute?
Le piège de l’indexation sur les prix
Avant de répondre à cette question, encore faut-il savoir d’où vient le problème. Pour mémoire, l’administration calcule la pension en commençant par établir une moyenne des salaires les plus avantageux (les 25 meilleures années dans le privé, les 6 derniers mois dans le public). Mais une paye touchée en début de carrière ne vaut pas la même chose quarante ans plus tard. C’est pourquoi ils sont d’abord revalorisés. Tout comme les pensions, une fois la retraite liquidée. Au départ, les droits comme les pensions étaient indexés sur l’évolution des salaires, puis une loi de 1987, confirmée en 1993, les a calés sur celle des prix.
Or, « comme en moyenne, si la croissance économique est positive, la progression des salaires est supérieure à celle des prix, l’évolution des pensions décroche par rapport à l’évolution des recettes du système », explique Antoine Bozio. Autrement dit, quand l’économie est dynamique, les salaires et, en proportion, les cotisations collectées augmentent, alors que dans le même temps les pensions elles aussi progressent, mais à un rythme plus faible. Si bien qu’au fur et à mesure, l’écart se creuse et le niveau de vie des retraités décroche par rapport à celui des actifs. Ce phénomène est très bien documenté par une étude de l’Insee parue en 2014, qui expose également les effets des réformes de 2003, 2010 (le report de l’âge légal), 2014 (l’allongement de la durée de cotisation). Celles de l’Agirc-Arrco, la retraite complémentaire, en 2017 et 2019 contribuent également à réduire les dépenses (entre 0,1 et 0,6 point de PIB rien que pour l’accord de mai dernier).
Calendes grecques
La solution est donc de réindexer les droits et les pensions sur les salaires. Cette mesure est-elle dans le projet du gouvernement ? Dans sa communication, il répétait que les points du nouveau système seront revalorisés en fonction de l’évolution des salaires. A lire le rapport Delevoye puis le projet de loi, il s’agit plus précisément du « revenu moyen par tête ». Puisque dans le régime universel, il n’y aura pas que des salariés – mais aussi des indépendants, des fonctionnaires, etc. –, cet indicateur est censé refléter l’évolution agrégée des revenus d’activité de tous les travailleurs. A ce jour, il n’existe pas. A charge pour l’Insee de le construire.
Surtout, l’article 9 du texte discuté à l’Assemblée stipule que cette indexation se fera de manière progressive et ne sera pleinement appliquée qu’à partir de… 2045. D’ici là, le gouvernement ou ses successeurs auront largement le temps de détricoter la mesure si l’envie leur en dit. Quant aux pensions, elles continueront à être revalorisées en fonction de l’inflation, indique l’article 11. En résumé, l’exécutif manque l’occasion d’enrayer la baisse annoncée des pensions.
Des économies tout de suite
« En réalité, le gouvernement recule la mise en place de la réforme et se donne vingt-cinq ans pour profiter encore du mécanisme d’indexation prix », déplore Antoine Bozio. Il faut dire qu’Edouard Philippe n’était pas franchement emballé par la réforme. Obsédé par l’équilibre des comptes publics, le Premier ministre veut à tout prix faire des économies pour éviter le déficit annoncé en 2025. Pour ce faire, il entendait, comme le proposait le candidat LR François Fillon dans son programme en 2017, repousser l’âge de départ. Mais Emmanuel Macron avait promis qu’il ne toucherait pas à la barre des 62 ans. C’est alors qu’apparaît l’âge pivot.
Contrairement à l’indexation sur les revenus, celui-ci n’attendra pas 2045 pour être appliqué. Les personnes nées en 1975, premières à connaître le système à points, pourront légalement partir en retraite à 62 ans, à partir de 2037. Mais, à moins d’avoir effectué une carrière longue, il leur faudra travailler trois ans de plus pour éviter une décote.
Le mécanisme a tellement plu à Matignon que le Premier ministre aimerait bien en faire profiter les générations nées entre 1960 et 1975, qui ne sont pourtant pas concernées par le régime à points. Devant le Cese en décembre, Edouard Philippe avait annoncé le recul progressif de l’âge requis pour obtenir une pension à taux plein à partir de 2022. Il s’établirait alors à 64 ans en 2027. Autrement dit, les personnes qui ont tous leurs trimestres et 62 ans en 2022 devraient encore travailler quelques mois pour échapper au malus. Pire, l’âge pivot n’avantagerait pas ceux qui ont commencé à travailler plus tard. La règle la plus désavantageuse entre l’âge pivot et la durée de cotisation étant prioritaire.
Une baisse plus forte avec la réforme
L’objectif du gouvernement est de réaliser 12 milliards d’euros d’économies. Pour calmer le jeu, lors des conflits sociaux de cet hiver, Edouard Philippe a consenti à lancer une conférence de financement, sur proposition de la CFDT. Sa mission est de trouver un autre mécanisme pour faire des économies entre 2022 et 2027, mais « sans augmenter le coût du travail », a prévenu Matignon, donc sans accroître les cotisations. Si d’ici le 30 avril, syndicats et patronat ne se sont pas mis d’accord, le gouvernement reprendra la main et le Premier ministre a déjà fait savoir que son mécanisme préféré pour réaliser des économies reste l’âge pivot. Suite à l’utilisation du 49-3, la CGT et FO l’ont quittée, refusant de « servir d’alibi dans une conférence où tout est joué d’avance ».
Problème : en renvoyant aux calendes grecques l’indexation des salaires, mais en appliquant tout de suite des mesures d’économies, que ce soit via l’âge pivot ou un autre dispositif, le gouvernement ne redresse pas du tout la courbe des dépenses de retraite pour les années à venir. Dans son étude d’impact, il présente les chiffres de façon à montrer que les dépenses après la réforme vont suivre la même évolution que si les règles restaient inchangées. En réalité, comme l’a démontré l’économiste ;ichaël Zemmour dans les colonnes d’Alternatives Economiques, les dépenses vont baisser davantage avec la réforme. Ainsi, plutôt que d’éviter la chute, l’exécutif nous y précipite.
A quelle vitesse ? Impossible à dire. Dans ses 1 000 pages d’étude d’impact, le gouvernement n’a visiblement pas trouvé la place d’indiquer les effets de sa réforme sur l’évolution de la pension moyenne par rapport au revenu d’activité moyen.
Et si on augmentait les cotisations ?
« La réforme en cours ressemble beaucoup, dans sa structure, à celles menées dans les années 1990 en Allemagne, en Italie et en Suède », compare Michaël Zemmour, chercheur à Sciences Po. « Le gouvernement fige le niveau de cotisations puis, comme le niveau des pensions par rapport au dernier salaire va baisser, il encourage le développement de produits d’épargne retraite pour compléter. Au bout du compte, on aura une retraite publique de base, qui fait un bon travail mais qui ne permet pas de maintenir son niveau de vie, et qu’il faudra compléter par un régime privé. Un peu comme la couverture maladie chez nous, où on a une mutuelle en plus de la Sécu. »
Il s’agit d’un changement important, car les retraités français vivent essentiellement de leur pension publique, qui représente en moyenne 88,6 % de leurs revenus selon la Drees, le service statistique du ministère de la Santé. Sans doute cela aurait mérité un débat : « On sait que pour assurer un même niveau de pensions, cela va coûter plus cher, la question est : quelle part on met plus dans un système public et quelle part on met dans un système privé ? », résume Michaël Zemmour.
Selon l’économiste, le passage à une structure mixte, alliant pension publique et complémentaire privée est moins avantageux. « Cela profite à ceux qui sont dans les bonnes entreprises, qui peuvent souscrire à un plan épargne retraite intéressant, et aux hauts revenus. Alors que les systèmes avec une forte pension publique ont tendance à entraîner moins d’inégalités. » Lui, défend une augmentation des cotisations sociales. (Article publié sur le site d’Alternatives Economiques, en date du 4 mars 2020)
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