«Cette crise nous empêchera de vivre si nous ne faisons rien», m’a dit, plus tôt ce mois-ci, Sabirah Mahmud, une jeune organisatrice de la mobilisation sur le climat âgée de 16 ans, plus tôt ce mois-ci.
J’avais invité Mahmud – la directrice de Youth Climate Strike en Pennsylvanie, une organisation nationale dirigée par des jeunes et engagée pour la justice climatique en faveur des communautés marginalisées aux Etats-Unis et dans le monde – à partager ses réflexions sur la crise climatique. Alors que nous étions assis ensemble sur un patio ombragé dans l’ouest de Philadelphie par le temps humide de septembre, Mahmud s’est tournée vers moi avec un regard déterminé et m’a expliqué pourquoi le leadership des jeunes est essentiel pour le mouvement de justice climatique.
«Nous avons droit à un avenir, et maintenant cet avenir est en péril, m’a-t-elle dit. Nous avons tous ces grands rêves et on nous demande toujours: “Que voulez-vous faire à l’avenir?” Je ne peux pas avoir de réponse à cette question à cause de cette crise. Je ne sais même pas si nous aurons un avenir ou quel genre d’avenir ce sera.»
Aux côtés de Mahmud se trouvent des centaines d’autres jeunes organisateurs de la grève pour le climat en Pennsylvanie qui se mobilisent dans les écoles dans le cadre des Fridays for Future, descendent dans la rue pour protester contre l’industrie des combustibles fossiles, développent les formes de protestation, éduquent le public et exigent un pouvoir décisionnel dans les débats nationaux et internationaux sur le devenir de la planète.
Reil Abashera, une lycéenne de 16 ans et résidente de Philadelphie, a décidé de se joindre à la lutte quand elle a appris la réalité scientifique de la crise climatique et a compris l’urgence de ce moment. «Nous n’avons pas dix ans pour changer les choses», m’a-t-elle dit. «Nous avons dix-huit mois.»
Le fait que ces conversations aient lieu à Philadelphie n’est pas négligeable. La «Ville de l’amour fraternel et de la sororité affectueuse» a une longue histoire de racisme environnemental qui va de pair avec son histoire de violence étatique contre les Noirs, de désinvestissement dans l’éducation publique, de criminalisation de la pauvreté et de ségrégation des communautés de couleur. Selon le Public Interest Law Center, les quartiers à faible revenu et les communautés de couleur de la ville sont depuis longtemps touchés de façon disproportionnée par la pollution atmosphérique due aux activités pétrolières et gazières. Cette pollution de l’air a entraîné une augmentation des taux d’asthme, de cancer, de dépression et de schizophrénie chez de nombreux enfants de Philadelphie. Pas plus tard qu’en juillet 2019, le conseil municipal de Philadelphie a approuvé la construction d’une usine de LNG [gaz naturel liquéfié] de 60 millions de dollars dans le sud de Philadelphie – une partie de la ville déjà fortement touchée par les toxines environnementales. Mahmud et ses ami·e·s, ainsi que des jeunes organisateurs du mouvement Sunrise, ont participé activement à la lutte contre l’usine de LNG. Ils ont pris part à des manifestations de rue, ont donné une tonalité aux voix dissidentes du sud de Philadelphie et ont assisté à des consultations publiques organisées par le gouvernement municipal.
La plateforme de la grève des jeunes pour la justice climatique donne l’occasion à de jeunes organisateurs comme Mahmud et Abashera de s’attaquer au racisme environnemental dans des endroits comme Philadelphie, et de commencer à s’attaquer aux causes sous-jacentes de notre crise climatique actuelle de manière plus générale. La liste des revendications endossées par l’organisation est principalement basée sur le Green New Deal et comprend la mise en œuvre de mesures pour faire face à la catastrophe environnementale pour les communautés de première ligne, le maintien et le respect des droits issus de traités et de la souveraineté des peuples autochtones, des investissements à long terme dans le logement et l’éducation, une transition équitable vers les énergies renouvelables et l’élimination des politiques et structures économiques qui créent des conditions de disparités considérables de richesse – «Change the System Not the Climate» se retrouvent sur plusieurs banderoles.
Changer le visage du mouvement
L’appel à des changements radicaux dans les systèmes sociaux, politiques et économiques qui gouvernent les Etats-Unis n’est toutefois qu’une réponse partielle à ce problème à plusieurs niveaux. Qui parle et s’organise au nom des personnes et des communautés les plus touchées par la catastrophe climatique est une préoccupation primordiale pour ces jeunes organisateurs. Les dirigeants du mouvement ont la capacité de façonner l’orientation et les objectifs politiques de la transformation sociale.
Utilisant l’infrastructure de Youth Climate Strike, Mahmud et Abashera remettent en question la problématique de ce qui a été un mouvement de justice environnementale en grande partie blanc. «Nous ne voyons pas assez de visages noirs et bruns; ce sont surtout des Blancs», a dit Mahmud.
Ces organisateurs participent à la grève des jeunes contre le changement climatique avec l’intention explicite d’améliorer le leadership, l’expérience et les connaissances des communautés autochtones, noires (Black) et brunes (Brown) dont la présence est souvent réduite ou effacée dans les débats publics sur la justice climatique, même si ces communautés sont confrontées aux réalités quotidiennes des catastrophes climatiques et défendent avec ardeur le changement à l’échelle locale. Citant le nombre croissant de personnes déplacées par le changement climatique, y compris celles qui cherchent refuge aux Etats-Unis et qui sont confrontées aux technologies violentes de contrôle aux frontières, Mahmud a souligné combien il est vital que les jeunes issus de l’immigration soient fortement présents dans le mouvement. L’accent mis sur l’internationalisation se reflète également dans le leadership national de Youth Climate Strike, principalement des jeunes de couleur. Mahmud espère que cela deviendra une tendance dominante au sein du mouvement pour la justice climatique.
En construisant une large base de solidarité et d’action autour de la justice climatique qui lie les efforts des populations indigènes comme le Red Deal [Pacte rouge: mouvement contre le vol des terres indigènes et leur pollution par les firmes pétrolières et minières], qui souligne les limites du Green New Deal et l’étend encore plus loin, aux communautés noires, brunes et immigrantes de couleur, Mahmud et Abashera montrent clairement que la justice climatique doit avoir une portée globale.
«Le changement climatique n’est pas un problème isolé», a dit Mahmud. «Il s’agit de migration, de pauvreté, de capitalisme, d’éducation, de colonialisme. Il s’agit des soins de santé et de toutes ces choses. Nous devons nous poser la question: qu’est-ce qui cause vraiment ce problème?»
La justice climatique doit être un projet internationaliste
Ce qui frappe peut-être le plus dans la façon dont Mahmud et Abashera s’organisent pour la justice climatique, c’est l’accent qu’ils mettent sur l’internationalisme. Bien qu’ils aient tous deux grandi à Philadelphie, leur intérêt pour les changements climatiques transcende les frontières coloniales des Etats-Unis.
Les parents d’Abashera ont émigré du Soudan vers les Etats-Unis, où les températures continuent d’augmenter, où l’eau se fait de plus en plus rare, où la fertilité des sols est faible et les sécheresses graves sont devenues courantes.
«Il fait extrêmement chaud là-bas et il est devenu très difficile de trouver de l’eau propre et l’eau qui existe est contaminée», m’a dit Abashera. «Je regarde comment nous vivons et consommons aux Etats-Unis et c’est un tel privilège et nous ne réalisons pas ce que cela signifie pour nous de vivre comme ça, et ce que cela provoque dans d’autres parties du monde. Nous devons prêter attention aux changements climatiques ici à Philadelphie, mais nous devons nous y attaquer à l’échelle mondiale.»
Pour Mahmud, la fille d’immigrants du Bangladesh, la lutte pour la justice climatique doit être menée avec une mise en accusation des Etats-Unis et un accent sur le rôle que les Etats-Unis ont joué dans la création de la crise en premier lieu.
«Je savais que ces problèmes d’inondations et d’élévation du niveau de la mer, de taux de cancer et de déplacements existaient au Bangladesh, mais je n’ai jamais fait le lien», a dit Mahmud. «Je pensais juste que c’était normal. Je ne savais pas que c’était en partie à cause des changements climatiques et de pays comme les Etats-Unis qui n’assument pas la responsabilité de leurs actes. Les pays qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’essor du changement climatique sont réellement touchés par ce phénomène. Les Etats-Unis doivent en tenir compte.»
Les Etats-Unis ont contribué davantage au problème de l’excès de dioxyde de carbone que tout autre pays sur la planète. Selon le Worldwatch Institute, «les Etats-Unis, avec moins de 5% de la population mondiale, utilisent environ un quart des ressources mondiales en combustibles fossiles – brûlant près de 25% du charbon, 26% du pétrole et 27% du gaz naturel mondial».
Tandis que ces jeunes organisateurs mobilisent des manifestants dans les rues de Philadelphie, ils opèrent également dans un esprit d’internationalisme – liant les luttes pour la justice environnementale dans les quartiers où ils vivent avec la dévastation de la crise climatique dans le Sud global. Leur organisation transcende les frontières géographiques, exigeant que nous ouvrions les yeux et que nous agissions selon notre responsabilité envers les communautés nationales et le reste du monde pour une catastrophe climatique qui est, en fait, «made in America».
Pour les jeunes dirigeants qui se mobilisent alors que le monde est au bord du désastre climatique, l’urgence de ce moment est on ne peut plus évidente. En préparation de la prochaine grève mondiale de la jeunesse sur le climat le 20 septembre 2019, Mahmud avait ce message à envoyer aux politiciens à Washington: «Nous pouvons vous voir. Vous n’êtes pas protégés. Et nous venons vous chercher.» Le temps de se rebeller, disent-ils, c’est maintenant. (Article publié sur le site Truthout, le 19 septembre 2019, il s’inscrit dans le cadre d’une collaboration de publications du nom de Covering Climate Now; traduction rédaction A l’Encontre)
Jaskiran Dhillon est professeure associée auprès la New School de New York.
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