Brésil. La duperie Lava Jato décryptée. «Lula Livre!»

Editorial de Esquerda online

Dimanche soir, le 9 juin, le site The Intercept a publié un rapport explosif [Voir ici le rapport publié par Glenn Greenwald, Betsy Redd, Leandro Demori, daté du 9 juin 2019: https://theintercept.com/2019/06/09/editorial-chats-telegram-lava-jato-moro/]. On y rend publics des échanges [de 2015 à 2018] de missives, transmis par la messagerie cryptée Telegram, entre l’actuel ministre de la Justice du gouvernement Bolsonaro, Sergio Moro, alors juge responsable des éléments centraux des procédures du Lava Jato [«Lavage express» ou «Lava Jato Gate»], et le procureur Deltan Dallagnol et plusieurs autres procureurs qui ont travaillé dans cette opération juridico-policière depuis Curitiba [capitale de l’Etat du Paraná].

Les messages démontrent directement que la procédure judiciaire – connue sous le nom de «l’affaire du Triplex de Lula» [un appartement situé à Guarujà, dans l’Etat de São Paulo, dont Lula était censé être le propriétaire de fait; alors qu’il appartenait à une société OAS Empreendimentos SA] – a été totalement agencée par le juge Sergio Moro et les avocats de Lava Jato. L’accusation s’inspirait d’un article paru dans le quotidien O Globo, qui soulignait que l’ancien président disposait de parts pour un appartement qui serait situé dans la tour B de l’immeuble Solaris, à Guarujá.

Lula a fini par être accusé par l’opération Lava Jato d’avoir un triplex dans la tour A du bâtiment. La tour n’existait même pas lorsque l’affaire a été rendue publique. Les messages montrent que Dallagnol lui-même considérait les preuves mises en avant par l’accusation comme fragiles [1], quelques jours avant de les présenter lui-même, au moyen d’un célèbre «Power Point».

Le rapport d’Intercept montre également que les procureurs de Lava Jato ont discuté de la manière d’éviter l’interview de Lula, déjà emprisonné au siège de la police fédérale à Curitiba, pour le journal Folha de S. Paulo, des semaines avant les élections de l’année dernière. Ils en ont parlé ouvertement, tout en espérant que leurs paroles ne seraient jamais rendues publiques. Ils craignaient le retour du PT au gouvernement et ils voulaient donc empêcher l’interview de Lula ou la saboter en incluant plusieurs autres journalistes [2]. Le rapport montre aussi comment ils célèbrent l’accueil réservé à une action du Partido Novo [parti lancé en 2011 et enregistré comme parti par le Tribunal supérieur électoral en septembre 2015] par un membre du Tribunal suprême fédéral], interdisant de manière antidémocratique l’interview de Lula.

Mais le plus grave, c’est que l’échange de messages entre Moro et Dallagnol prouve qu’il y a eu collusion illégale entre le juge et le procureur. En d’autres termes, le juge qui était censé juger l’affaire de manière impartiale a arrangé les détails de l’affaire avec le procureur qui a le rôle d’accusateur. Une procédure totalement illégale qui viole la loi brésilienne.

En fait, l’échange de messages entre Moro et Dallagnol démontre sans équivoque que la condamnation de Lula était sans preuves, que son arrestation était politique et que l’entrave à sa candidature à la présidence était l’un des principaux objectifs de l’opération. Un approfondissement du coup d’Etat parlementaire représenté par la destitution [août 2016] sans que l’ancienne présidente Dilma Rousseff ait commis un crime de responsabilité.

Lava Jato a servi à manipuler les élections. Il est plus qu’évident que l’ingérence politique de Moro, Dallagnol et compagnie avait pour objectif d’exclure Lula du processus électoral l’année dernière. L’ancien président Lula, même en tant que prisonnier politique, étai en tête de tous les sondages d’intentions de vote. Il était de loin le plus susceptible d’être élu président dans le scénario politique préélectoral. En plus d’être emprisonné, l’ancien président a également été empêché de donner une interview pendant les élections suite à l’intervention de Lava Jato. Il ne fait donc aucun doute que le processus électoral a été antidémocratique et altéré en raison de l’action de cette opération.

Il est également important que les secteurs de la gauche brésilienne qui ont longtemps eu des illusions, des attentes ou exigé une sorte de «véritable Lava Jato», étant donné la gravité des dénonciations de The Intercept, qui prouvent le caractère sélectif et réactionnaire de cette opération, revoient immédiatement leur position politique antérieure.

Annuler la sentence sur le triplex et libérer Lula immédiatement

La note publique sur l’épisode publiée par les procureurs de Lava Jato eux-mêmes, bien qu’ils dénoncent les journalistes pour n’avoir pas été entendus avant la publication, ne nie à aucun moment la véracité des messages publiés par The Intercept.

Une fois de plus, des secteurs de la grande presse, comme Fantástico, TV Globo, s’adressent rapidement au public afin de défendre les arguments des procureurs du Lava-Jato, essayant de falsifier et de disqualifier les dénonciations du rapport publié par The Intercept.

La divulgation de l’échange de messages démontre toute la farce construite autour du processus du triplex. Il n’y a aucune preuve qu’il appartenait à Lula et à sa famille. C’était un processus mis en place pour expulser l’ancien président de la course présidentielle de l’année dernière.

Nous ne soutenons pas le projet politique de conciliation de classe de la direction du PT, mais il n’est pas nécessaire d’être un partisan du PT et de Lula pour comprendre ce qui est en jeu et quelles étaient les intentions réelles des procureurs du Lava Jato.

Il n’y a plus de doute sur cette collusion. La matière révélée est une confirmation complète du caractère sélectif et politique du Lava Jato. L’emprisonnement de Lula est politique, et sa condamnation ne repose sur aucune preuve matérielle

Il est donc nécessaire d’intensifier la campagne #Lulalivre dans les rues [voir l’article sur ce thème publié sur ce site en date du 16 mai 2019], appelant les travailleurs et travailleuses, les jeunes et les opprimé·e·s à se mobiliser pour vaincre un autre chapitre sinistre du coup d’Etat parlementaire qui a commencé par la destitution de Dilma en 2016. Dès vendredi prochain, le 14 juin, lorsque la grève générale au Brésil sera confirmée.

Moro dehors du ministère de la Justice

Mais la libération immédiate de Lula n’est pas la seule conclusion importante face au scandale révélé dans la nuit du 9 juin.

L’échange de messages est plus que suffisant pour ouvrir immédiatement une enquête transparente et approfondie – avec contrôle de la société, de l’OAB (Ordre des avocats du Brésil) et d’autres entités nationales qui défendent les libertés démocratiques – sur l’opération Lava Jato elle-même et ses procureurs. A tout le moins, le Congrès national devrait mettre en place une Commission d’enquête parlementaire (CPI).

Il s’agit d’enquêter sur les objectifs et les procédures réels de cette opération juridico-policière, qui a été l’un des instruments fondamentaux pour tromper la majorité du peuple brésilien, qui a permis la mise en place d’un scénario favorable au coup d’Etat de destitution (Dilma), à l’arrestation de Lula et à l’élection d’un gouvernement d’extrême droite au Brésil. Il n’est pas possible d’accepter comme normal que les procureurs du Lava Jato agissent en passant outre les lois brésiliennes.

Une lourde charge pèse sur l’ancien juge de Lava Jato dont les actions partiales et illégales ont été décisives pour la condamnation sans preuve, l’emprisonnement politique et l’empêchement de la candidature de Lula, facilitant la voie pour l’élection de Bolsonaro. La performance de Moro dans le Lava Jato a été récompensée par l’actuel président Bolsonaro, avec sa nomination au ministère de la Justice. Sérgio Moro devrait être immédiatement démis de ses fonctions au ministère de la Justice. (Article publié sur le site d’Esquerda online, en date du 10 juin 2019; traduction A l’Encontre)

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[1] «Après avoir fait de Lula le «chef suprême» d’un vaste schéma de corruption, le procureur évangélique (Deltan Dallagnol) s’inquiète: «Ils diront que nous accusons sur la base d’articles de journaux et de preuves fragiles». (Le Monde daté du 12 juin 2019)

[2] D. Dallagnol est «paniqué quand, quelques mois avant l’élection présidentielle, la Cour suprême prétend autoriser une interview de Lula par le quotidien Folha de São Paulo. «Je suis préoccupée par un possible retour du PT [au pouvoir], mais je prie Dieu pour qu’un miracle nous sauve», lui écrit une de ses consœurs, Carol [PGR], à laquelle Dallagnol répond: «Oui pire.» (Le Monde, 12 juin 2019)

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