Par Sergio Ferrero Febrel et Rafael de Prado Pérez
La crise sociale et humanitaire vénézuélienne est une réalité. Tout en la minimisant, le gouvernement l’exploite largement pour s’assurer la loyauté d’une population dépendante de son aide alimentaire et de ses allocations. Dans l’autre camp aussi, on ne s’embarrasse pas trop de principes, tel celui de la neutralité qui doit conduire l’action humanitaire. Sa volonté de faire entrer depuis la Colombie nourriture et médicaments le 23 février prochain pour défier le gouvernement de Nicolas Maduro et tester la loyauté des forces armées constitue une instrumentalisation des plus grossières de l’action humanitaire que dénoncent des professionnels du secteur. (Rédaction de Barril-info)
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Les principes humanitaires énoncés dans les statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et à la Conférence internationale de Vienne en 1965 ont toujours fait l’objet de controverses, de manipulations et d’interprétations, généralement pour ceux qui, selon leur propre agenda politique, y trouvent un obstacle moral et éthique. Le Venezuela n’échappe pas à cette situation.
Dans l’après-Guerre froide, l’utilisation de l’aide humanitaire comme alternative à la politique est devenue une pratique courante, étant donné l’impossibilité de parvenir à des accords au Conseil de sécurité de l’ONU ou les risques liés aux interventions militaires. En outre, les médias et la société civile ont toujours été plus sensibles et moins critiques à l’égard de cette modalité d’action: existe-t-il un droit d’ingérence au travers de l’action humanitaire dans le cas du Venezuela, ou le principe de la souveraineté est-il violé? Il est clair que le droit international humanitaire n’est pas applicable aujourd’hui au Venezuela en l’absence d’un conflit armé non international (interne) ou international, mais cela ne dispense pas les États dans leur ensemble de respecter les principes humanitaires les plus élémentaires.
En ce sens, il est évident que la proposition d’établir des couloirs humanitaires entre la Colombie et le Venezuela place les forces armées vénézuéliennes face au dilemme d’empêcher ou d’accepter l’arrivée de nourriture et de médicaments dans le pays. Il s’agit d’une instrumentalisation flagrante de l’action humanitaire qui est utilisée comme un mécanisme de pression politique pour résoudre le problème de fond au Venezuela.
Si l’on peut admettre que l’aide offerte vise, en théorie, à soutenir le peuple vénézuélien selon les principes d’humanité et d’impartialité, le respect d’un autre principe central, la neutralité, définie comme l’absence de position vis-à-vis des différentes parties, est plus douteux. La proposition des États-Unis, de la Colombie et du Brésil, sous les auspices du Groupe de Lima de promouvoir une caravane humanitaire au Venezuela constitue une violation flagrante du principe humanitaire de neutralité.
[Le groupe de Lima, fondé en août 2017, réunit: Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Guyane, Honduras, Mexique, Panama, Paraguay, Pérou et Sainte-Lucie. Des différences internes s’expriment ouvertement sur le thème de «l’intervention directe des Etats-Unis» invoquée par Mike Pence, vice-président des Etats-Unis. Voir à ce sujet l’article du Guardian intitulé «Venezuela: US increasingly isolated as allies warn against use of military force», daté du 25 février 2019 (19h32), écrit par Joe Parking Daniels (Bogotá), Emmma Graham-Harrison (Caracas) et Sam Jones (Madrid). Voir aussi la presse de référence, Le Temps, article d’Anne Proenza. «Le groupe de Lima écarte l’usage de la force contre Nicolas Maduro» publié mardi 26 février 2019 à 04:42, modifié mardi 26 février 2019 à 08:01. Réd. A l’Encontre]
L’action humanitaire est présente au Venezuela depuis des années, malgré les difficultés imposées par le gouvernement de Maduro et la non-reconnaissance d’une crise humanitaire dans le pays. Les donateurs ont collaboré avec les organisations internationales, le Mouvement international de la Croix-Rouge, les ONG internationales et la société civile vénézuélienne pour répondre aux besoins créés par l’effondrement social et économique du pays. Ces actions se développent discrètement, sur base d’accords pour leur mise en œuvre et sans mettre la vie des gens en danger.
Les «canaux humanitaires» sont donc déjà ouverts et de nombreuses organisations travaillent déjà au Venezuela. Certaines entités vénézuéliennes comme Acción Solidaria ont créé tout un système d’envoi de médicaments à domicile, qui a permis à de nombreux malades chroniques de survivre. Le Mouvement international de la Croix-Rouge ou les Nations Unies, entre autres, mettent en œuvre des actions humanitaires dans le pays depuis des mois. Il est vrai qu’elles sont insuffisantes et qu’une réponse humanitaire plus forte et plus large est nécessaire dans le pays, mais elle ne peut être fondée sur les intérêts politiques de groupes de pouvoir, qu’il s’agisse des partisans de Maduro ou ceux de Guaidó, ni sur une conjoncture régionale toujours plus polarisée. La fin ne justifie pas les moyens.
Mais la politique n’est pas le seul facteur déterminant. L’acheminement de l’aide humanitaire proposé est une illusion d’un point de vue opérationnel. Même en supposant qu’une partie des forces armées donne carte blanche à l’entrée de cette aide dans le pays, il est difficile de voir comment, où et selon quels critères cette aide serait acheminée.
De plus, cette initiative humanitaire met dans une situation difficile ceux qui, pendant des années, en silence et avec peu de moyens, font tout leur possible pour venir en aide aux plus nécessiteux. C’est mettre l’aide humanitaire d’un côté du conflit et l’identifier à un de ses acteurs, ce qui impliquera d’office la stigmatisation de ceux qui dénoncent la situation alimentaire et sanitaire critique dans le pays tout en aidant à y faire face. Bref, l’aide humanitaire devient un autre terrain de polarisation. de fait, depuis le début de la crise, le terme humanitaire a été stigmatisé par le régime comme un instrument d’ingérence étrangère.
L’exode vénézuélien représente un problème de sécurité et un coût social élevé pour les gouvernements de la région ainsi que pour l’Espagne. Toutefois, pour apporter une réponse efficace et stabiliser le Venezuela, il est peu judicieux d’utiliser l’action humanitaire comme terrain de jeu ou champ de bataille politique. C’est un artifice, peu viable d’un point de vue opérationnel dans le contexte actuel et qui ne fait qu’entraver encore plus la recherche d’une solution de fond et le travail humanitaire en cours de développement.
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Sergio Ferrero Febrel a travaillé comme fonctionnaire international des Nations Unies en tant que Chef du Programme d’urgence et de catastrophe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Colombie et comme Délégué de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en Colombie.
Sergio Ferrero Febrel a travaillé comme fonctionnaire international des Nations Unies en tant que Chef du Programme d’urgence et de catastrophe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Colombie et comme Délégué de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en Colombie.
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Etats-Unis-Venezuela. La stratégie brouillonne de Washington au Venezuela»
Par Marie Bourreau (RFI: correspondante à New York)
Pour les diplomates onusiens, la stratégie américaine au Venezuela est de plus en plus floue. « On navigue à vue », estime d’ailleurs hors micro l’un d’eux.
Mardi 26 février, l’envoyé spécial américain Eliott Abrams a indiqué qu’une résolution appelant au passage d’aide humanitaire serait mise aux voix avant la fin de cette semaine. Le texte devrait aussi appeler à une élection présidentielle libre, transparente et crédible.
Sans surprise, la Russie et la Chine, qui soutiennent le régime de Maduro, s’y opposeront. Ce qui pose la question de l’objectif final des Américains. Pour les Européens, le coût politique d’un veto bloquerait toute perspective de solution pacifique et démocratique respectueuse de la volonté du peuple vénézuélien, ce qu’ils appellent pourtant de leurs voeux. Certains craignent aussi qu’un veto ne serve à justifier une intervention possiblement militaire dans le pays, même si les Etats-Unis s’en défendent.
Le chef de la diplomatie vénézuélienne a, de son côté, affirmé que la tentative de coup d’Etat avait échoué et appelé les Etats membres à revenir à la raison. (Mis en ligne, le 27 février 2019)
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Venezuela: le Groupe de Lima écarte le recours à la force
Par Marie-Eve Detouef (RFI)
Le Groupe de Lima a réitéré, lundi 25 février à Bogota, son appel au président vénézuélien Nicolas Maduro à quitter le pouvoir mais a écarté l’« usage de la force ». Les 14 pays membres alertent par ailleurs la Cour pénale internationale (CPI) sur la « grave situation » au Venezuela.
Les 14 pays membres du Groupe de Lima « décident de solliciter la Cour pénale internationale afin qu’elle prenne en considération la grave situation humanitaire au Venezuela, la violence criminelle de Maduro contre la population civile et le refus de l’accès à l’aide internationale, qui constituent un crime contre l’Humanité », selon leur déclaration finale lue par le ministre des Affaires étrangères colombien, Carlos Holmes Trujillo.
Le Groupe de Lima soutient une transition démocratique « sans usage de la force ». Les pays membres « réitèrent leur conviction que la transition vers la démocratie doit être menée par les Vénézuéliens eux-mêmes pacifiquement, ainsi que dans le cadre de la Constitution et du droit international, soutenu par des moyens politiques et diplomatiques, sans usage de la force ».
Pas question d’utiliser la force contre Nicolas Maduro. L’issue à la crise vénézuélienne doit être pacifique. C’est ce qu’avait déclaré d’entrée de jeu le vice-ministre des Relations extérieures péruvien Hugo de Zela Martinez. Dimanche 24 février déjà, le Chili et plus discrètement le Brésil s’étaient prononcés en ce sens. (RFI, 26 février 2019) Le vice-président américain Mike Pence (d) et l’opposant vénézuélien Juan Guaido, président par intérim autoproclamé, lors de la réunion du Groupe de Lima, à Bogota, le 25 février 2019. Diana Sanchez / AFP
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Citation du reportage proposée par l’auteure: «Malgré les déclarations réitérées de Donald Trump, de John Bolton, d’Elliott Abrams, de Mike Pence, il n’y a pas pour l’heure de menace militaire de la part des alliés latino-américains. Thomas Posado, docteur en sciences politiques à l’université Paris 8, spécialiste du Venezuela, 26 février 2010, émission de Jelena Tomic, RFI)
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Débat-Venezuela: «Les rumeurs d’intervention militaire au Venezuela ont été alimentées pendant quarante-huit heures»
Reportage de Marie Normand à San Antonio del Tachira au Venezuela
«Les rumeurs d’intervention militaire au Venezuela ont été alimentées pendant quarante-huit heures» par les déclarations du vice-président américain Mike Pence, et de Juan Guaido, président autoproclamé par intérim, qui avait fait savoir qu’il demanderait à la communauté internationale de considérer « toutes les options ». Julio Borges, le député vénézuélien en exil à Bogota, avait même été plus loin en affirmant lundi matin que Juan Guaido allait demander le recours à la force.
« Pour vous, président Guaido, un message très simple du président Trump : nous sommes avec vous à 100% », a déclaré le vice-président des Etats-Unis Mike Pence à Juan Guaido à Bogota. « Nous espérons une transition pacifique vers la démocratie. Mais le président Trump a été clair : toutes les options sont sur la table », a-t-il ajouté pendant la réunion. Le président colombien Ivan Duque a, lui, réclamé un « encerclement plus fort et efficace » de Nicolas Maduro.
L’UE s’était prononcée contre une intervention militaire
L’Union européenne a demandé lundi d’« éviter une intervention militaire » et précisé être en contact avec toutes les parties impliquées dans la crise, selon Maja Kocijancic, porte-parole de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
Les Etats-Unis demandent une nouvelle réunion à l’ONU
« Les Etats-Unis ont demandé pour demain (mardi 26 février) une réunion publique sur le Venezuela », a indiqué un diplomate sous couvert d’anonymat cité par l’AFP. Interrogé pour savoir si Washington pourrait à cette occasion mettre aux voix son projet de résolution, qui est sur la table du Conseil de sécurité des Nations unies depuis début février, un autre diplomate a répondu également sous couvert d’anonymat : « On verra ». La dernière réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Venezuela remonte au 27 janvier.
La fermeture de la frontière vendredi dernier, sur décision du président Nicolas Maduro, affecte durement la population de la région. L’immense majorité des habitants vivent du commerce avec la Colombie : ils y travaillent, y achètent des produits de base difficiles à trouver ou très chers côté vénézuélien. C’est en revanche une aubaine pour les passeurs, qui plus que jamais acheminent personnes et marchandises par des passages clandestins.
«Regarde, tu peux voir là tous ces gens avec leurs valises, ils cherchent à quitter le pays. Comme la frontière est fermée, ils doivent passer par les « trochas» , les passages clandestins. Là, c’est une de ces trochas, qu’on appelle La Caracola…» (Venezuela, 26 février 2019)
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