Entretien avec Jean-Pierre Filiu conduit par Baudoin Loos
En publiant aux éditions La Découverte Main basse sur Israël, Netanyahou et la fin du rêve sioniste, le politologue français Jean-Pierre Filiu ne tente pas de dissimuler ses impressions: il choisit de montrer l’inusable Premier ministre israélien sous une lumière crue, dans un essai qui décrit de manière implacable la stratégie d’un homme, inspirée par son père historien, qui procède d’une vision profondément pessimiste des rapports de force.
• A l’occasion d’une conférence donnée pour l’Union des progressistes juifs de Belgique, l’auteur a répondu à nos questions. Voir à ce sujet l’article publié le 19 janvier 2019 sur ce site: une réflexion sur l’ouvrage de J.-P Filiu par Sylvain Cypel.
Vous commencez votre livre en expliquant sa naissance…
Oui, naissance qui est née d’un choc. On était en octobre 2015, et je venais d’entendre Binyamin Netanyahou s’exprimer devant le congrès sioniste mondial à Jérusalem, en anglais d’ailleurs, pour accuser le fameux mufti de Jérusalem Amine al-Husseini d’avoir inspiré à Hitler la « solution finale » à Berlin en 1941. Cette assertion a choqué les historiens, jusqu’à ceux de Yad Vashem – le musée de la Shoah à Jérusalem – dont l’un a parlé de «falsification de la Shoah», alors que l’historien Elie Barnavi qualifiait la sortie du Premier ministre de
«prostitution de la Shoah». J’ai alors pensé écrire un pamphlet sur cette affaire. Puis, en creusant, je me suis aperçu que, selon divers témoignages d’hommes politiques, Netanyahou parlait de la sorte à chaque entretien, ne fût-ce que pour détourner l’attention de ses interlocuteurs du processus de paix israélo-palestinien. J’ai donc pris conscience que ce mensonge d’Etat ne constituait pas un dérapage mais qu’il représentait un élément constitutif d’une stratégie de longue durée et d’un rapport à l’Histoire qui peut aller jusqu’à réécrire l’histoire du peuple juif, du sionisme et d’Israël dans la continuité des travaux du père de Binyamin, l’historien controversé Bension Netanyahou.
Ce qui amène l’actuel Premier ministre à développer un projet très personnel, qui part de fondements pessimistes…
Je suis surtout en quelque sorte à contre-pied face aux critiques de Netanyahou qui lui refusent sa cohérence intellectuelle. Je la lui reconnais sans réserve: ce n’est pas juste un opportuniste comme on le décrit souvent, mais il porte aussi une vision du peuple juif et un pessimisme radical relatif aux autres, les Arabes, les Européens, etc. Son pessimisme basé sur la peur s’étend au sionisme, qui incarne pourtant l’espoir, l’espérance, pour les Juifs, et cela alors que jamais Israël n’a été plus fort que maintenant. Et je note un contraste : il fait preuve d’une agitation frénétique s’agissant des ambitions nucléaires prêtées à l’Iran – il évoque un possible «holocauste nucléaire» – mais au même moment cet Iran s’implante sous ses yeux en Syrie, chez son voisin, et dispose ainsi désormais d’une quasi-continuité territoriale jusqu’à la Méditerranée…
Cet homme est prêt à tout, selon vous ?
Quand on voit le mensonge d’Etat mentionné plus haut à propos de la Shoah ou son aval de la loi mémorielle polonaise qui disculpe les Polonais de toute responsabilité dans la Shoah, ça fait beaucoup! Est-il capable de tout ? En tout cas, pour lui, le pouvoir représente l’immunité et inversement. Il entend transformer l’actuelle campagne électorale – les Israéliens sont conviés à des élections législatives anticipées le 9 avril prochain – en référendum sur sa personne car sa hantise est de subir le même sort qu’Ehoud Olmert, son prédécesseur qui, pour des délits de corruption moins graves que ceux mentionnés dans les enquêtes qui le concernent, a dû faire 18 mois de prison ferme.
Il a réussi à enterrer le processus de paix ce qui, à ses yeux, constitue un gros succès…
Oui, et il a procédé en deux temps. Durant sa première période aux affaires, entre 1996 et 1999, il a commis pas mal d’erreurs mais il en a beaucoup appris. A l’époque déjà, il avait réussi à contribuer à saboter la dynamique des accords d’Oslo de 1993, mais il avait dû signer l’accord sur Hébron par exemple, qui scindait la ville palestinienne en deux. Depuis son retour au poste de Premier ministre, en 2009, il ne veut plus rien donner. Certes, il a dû composer avec un Barack Obama qui souhaitait relancer les efforts de paix. Il a ainsi été contraint – ce fut ce discours à l’Université Bar-Ilan à Tel-Aviv – de parler de deux Etats, Israël-Palestine. Mais c’était comme un leurre. Il a alors sorti son exigence aux Palestiniens – reconnaître Israël comme un « Etat juif », ce qui n’avait été demandé ni aux Egyptiens ni aux Jordaniens avec qui Israël avait conclu la paix bien plus tôt.
L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche fut donc comme un miracle pour lui!
Bien sûr. Ses prises de position hors norme lui sont profitables. Mais n’oublions pas que Netanyahou a parié dès les années 1990, sur le parti républicain aux USA. Et cela malgré le positionnement des Juifs américains massivement arrimés au parti démocrate. Il a d’ailleurs entretenu des relations cordiales avec Sheldon Adelson, un milliardaire américain proche de Trump.
Pourquoi parler de «fin du rêve sioniste» dans son cas ?
Parce que le sionisme de Netanyahou s’articule sans la diaspora juive, ce qui est contre nature. Il préfère bénéficier du soutien des évangélistes américains, les sionistes chrétiens. Ceux-ci sont devenus la colonne vertébrale du soutien à Israël à la place de la communauté juive américaine. Cette diaspora juive a d’ailleurs réagi, notamment en promouvant l’ex-chef de l’opposition Isaac Herzog au poste de président de l’Agence juive à la place du candidat soutenu par Netanyahou.
Il a réussi à enterrer le processus de paix ce qui, à ses yeux, constitue un gros succès…
Oui, et il a procédé en deux temps. Durant sa première période aux affaires, entre 1996 et 1999, il a commis pas mal d’erreurs mais il en a beaucoup appris. A l’époque déjà, il avait réussi à contribuer à saboter la dynamique des accords d’Oslo de 1993, mais il avait dû signer l’accord sur Hébron par exemple, qui scindait la ville palestinienne en deux. Depuis son retour au poste de Premier ministre, en 2009, il ne veut plus rien donner. Certes, il a dû composer avec un Barack Obama qui souhaitait relancer les efforts de paix. Il a ainsi été contraint – ce fut ce discours à l’Université Bar-Ilan à Tel-Aviv – de parler de deux Etats, Israël-Palestine. Mais c’était comme un leurre. Il a alors sorti son exigence aux Palestiniens – reconnaître Israël comme un «Etat juif», ce qui n’avait été demandé ni aux Egyptiens ni aux Jordaniens avec qui Israël avait conclu la paix bien plus tôt.
L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche fut donc comme un miracle pour lui !
Bien sûr. Ses prises de position hors norme lui sont profitables. Mais n’oublions pas que Netanyahou a parié dès les années 1990, sur le parti républicain aux USA. Et cela malgré le positionnement des Juifs américains massivement arrimés au parti démocrate. Il a d’ailleurs entretenu des relations cordiales avec Sheldon Adelson, un milliardaire américain proche de Trump.
Pourquoi parler de «fin du rêve sioniste» dans son cas?
Parce que le sionisme de Netanyahou s’articule sans – voire même contre – la diaspora juive, ce qui est contre nature. Il préfère bénéficier du soutien des évangélistes américains, les sionistes chrétiens. Ceux-ci sont devenus la colonne vertébrale du soutien à Israël à la place de la communauté juive américaine. Cette diaspora juive a d’ailleurs réagi, notamment en promouvant l’ex-chef de l’opposition Isaac Herzog au poste de président de l’Agence juive à la place du candidat soutenu par Netanyahou. (Entretien publié dans Le Soir, en date du 4 février 2019)
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Conférence-débat
Le 11 février 2019, à Lausanne, 19h30, chemin des Fleurette 2 (à 100 mètres du restaurant Le Milan, direction Genève): deux enseignants, dans un groupe d’enseignants franco-suisses – en compagnie de Dominique Vidal – apporteront leurs témoignages et analyses de l’apartheid sioniste.
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