Par Juca Guimarães
La (contre)réforme de la législation du travail du gouvernement issu du coup d’Etat institutionnel de Michel Temer (Mouvement démocratique brésilien) – initié par la destitution de Dilma Rousseff en août 2016 – a modifié plus de 200 articles de la Consolidation des lois du travail (CLT) (c’est-à-dire un ensemble de lois censées protéger les droits des travailleurs et travailleuses) et fête son premier anniversaire, ce dimanche 11 novembre 2018.
Tout au long de cette période, les prévisions les pires des spécialistes se sont confirmées et la (contre)réforme, qui a supprimé les droits fondamentaux des Brésiliens et Brésiliennes, n’a fait qu’aggraver la crise de l’emploi et des revenus. Actuellement, selon l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), 12,5 millions de personnes sont au chômage au Brésil.
Avec la fausse promesse d’être un «vaccin» contre la diminution de l’offre d’emploi, la proposition de «réforme» a servi les intérêts des marchés financiers et des entrepreneurs, selon l’analyste politique Marcos Verlaine, du Département intersyndical du conseil parlementaire (DIAP).
«Cette politique de modification de la CLT est envisaagée depuis longtemps. Ce n’est pas récent. Toutefois, depuis la «redémocratisation» (1985), les hommes d’affaires et le marché n’avaient pas été en mesure de rassembler les forces diverses nécessaires pour faire approuver le changement. Ces forces résidaient dans les fractions parlementaires du Congrès ayant cet objectif, les forces politiques dans la société brésilienne ainsi que le pari sur les difficultés futures du mouvement syndical à y résister», a affirmé Marcos Verlaine.
Pour affaiblir les syndicats, la réforme a attaqué la source de financement des fédérations syndicales. «Il y a eu une baisse de plus ou moins 80% des ressources financières des syndicats, avec la fin de la cotisation obligatoire. Cela a vraiment déséquilibré les rapports de forces dans les négociations», a-t-il poursuivi.
Les changements approuvés il y a un an, sous Temer [et même avant], selon Marcos Verlaine, ont radicalement modifié les caractéristiques de la CLT. Ils ont ouvert la voie à la précarité d’emploi.
«La consolidation des lois du travail est en train se prendre fin et la consolidation des lois du marché entre en vigueur. La législation actuelle privilégie l’employeur et le marché au détriment du travailleur», résume l’analyste politique. La création de nouvelles modalités d’embauche, avec une flexibilisation aiguë des droits du travail, des salaires plus bas et peu de marge de négociation, a donné le ton à la (contre)réforme.
La (contre)réforme du travail a également contribué à élargir les effets de la crise économique, qui empêche toute perspective de reprise d’une relance de l’activité économique, selon l’économiste Marilane Teixeira, chercheuse auprès du Centre d’études syndicales de l’économie du travail d’UNICAMP (Université d’Etat de Campinas).
«Ces contrats impliquent des normes salariales très instables. Si votre revenu est instable, vous ne pouvez pas planifier votre avenir. Vous n’avez aucune chance d’assumer un quelconque investissement, d’opérer un emprunt. Cela a un impact sur la consommation, la production et l’investissement. Les mesures [de la contre-réforme] débouchent sur l’impossibilité de contribuer à la reprise de l’activité économique» du côté de la demande, dit-elle.
Selon la chercheuse Marilane Texeira, l’un des changements les plus amplement appliqués par les employeurs dans les conventions collectives au cours des 12 derniers mois a été l’introduction de la «banque d’heures». [En voici le mécanisme: la Banco de Horas implique qu’un travailleurs-travailleuses qui a un contrat – et c’est le cas de moins en moins parmi eux-elles – peut travailler plus de 8 heures par jour, jusqu’à 10 heures par jour sans recevoir une prime pour heures supplémentaires. Et jusqu’à 40 heures sur quatre semaines. Un «léger» avantage pour le patronat en termes d’extraction de plus-value. Voir paragraphe 2, art. 59 de la CLT – Consolidação das Leis do Trabalho. Réd. A l’Encontre)
Pour les travailleurs bénéficiant d’avantages sociaux en vertu de la loi, cela a eu une incidence directe sur la rémunération, car cela implique une réduction du niveau de rétribution des heures supplémentaires. «La banque d’heures remplace les heures supplémentaires qui, pour une bonne partie des travailleurs, sont simplement incluses dans le salaire «normal». Il y a eu une baisse du revenu familial. C’est grave, car les deux tiers du produit national proviennent de la consommation des ménages. Lorsque la consommation des ménages est réduite en fonction de la baisse de leur revenu, l’impact est très important», a-t-elle souligné. [Il faudrait y ajouter le processus d’endettement privé qui prend les salarié·e·s à la gorge.]
Le retraite
L’avocat Guilherme Portanova, spécialiste du droit des retraites, évoque la relation entre la (contre)réforme du travail et les retraites et, dès lors, les prestations versées par l’Institut national de sécurité sociale (INSS). Le taux de croissance de l’encaissement net des cotisations – après déduction des «contre-chèques» [document certifiant le dépôt du salaire sur un compte bancaire] et la part récoltée par les entreprises – a diminué de 58%, en moyenne, neuf mois après la mise en œuvre de la réforme, par rapport au même nombre de mois durant l’année précédente.
«La réduction du taux de croissance de la collecte est liée au chômage élevé et, en grande partie, à la précarité du travail provoquée par la réforme de la CLT», analyse-t-il. Avant la réforme, la collecte moyenne des cotisations était de 29,7 milliards de R$ (7,903 milliards de dollars) avec une croissance de 5,39%. Après l’entrée en vigueur des nouvelles règles, la moyenne était de R$ 30,4 milliards (US$ 8,09 milliards), soit une croissance de seulement 2,25%.
Mesures en matière de justice
Une enquête présentée par Le Tribunal supérieur du travail (TST) montre que le nombre de nouveaux recours portant sur la législation du travail et son application a diminué de 36,2% avec la (contre)réforme. De janvier à septembre 2017, 2,01 millions d’actions en justice [tribunaux de prud’hommes] ont été déposées. Entre janvier et septembre 2018, avec la (contre)réforme en vigueur, il y en a eu 1,28 million.
Pour Estanislau Maria de Freitas Júnior, avocate spécialisée en droit du travail auprès de la USP (Université de São Paulo) et en politiques publiques, et active auprès de la Fondation pour le développement administratif (FUNDAP), cette réduction reflète le changement qui a modifié le rapport des forces entre employeur et travailleurs.
«Les entreprises continuent de commettre des irrégularités et de ne pas se conformer à la loi. Mais avec la (contre)réforme, il est maintenant plus risqué pour le travailleur d’intenter une action en justice en raison de la nouvelle règle qui oblige la partie perdante à payer les frais de l’avocat de l’autre partie. C’est une pratique de droit civil qui a été importée dans le droit du travail avec la (contre)réforme», a-t-elle expliqué.
Offres d’emploi
Le principal argument du gouvernement du coup d’Etat institutionnel de Michel Temer pour faire approuver la (contre)réforme avec des coupes dans les droits du travail était «la création d’emplois». L’estimation du ministre du Travail de l’époque, Ronaldo Nogueira [membre du PT, mais surtout de l’Assemblée de l’Eglise de Dieu], était de 2 millions d’emplois au cours des deux premières années. La thèse ressemble à la phrase que le président élu Jair Bolsonaro a prononcée le samedi 10 novembre lors du Jornal Nacional de Globo TV: «Le travailleur devra choisir entre plus de droits et moins d’emplois, ou moins de droits et plus d’emploi.»
Les données du Registre général des employés et dhômeurs (CAGED: Cadastro Geral de Empregados e Desempregados) détruisent cette thèse émise sur un ton de menace. Au cours des 12 premiers mois, le solde des emplois créés dans le pays était de 372’000. Il manque plus de 620’000 emplois pour atteindre l’objectif d’un million estimé par l’équipe gouvernementale du coup d’Etat de Michel Temer, seulement pour la première année.
«Il s’agit d’un maigre résultat et de nombreux emplois sont des emplois temporaires (par intermittence), c’est-à-dire que le travailleur a été embauché, mais il se peut qu’il n’ait pas été appelé au travail. En d’autres termes, il est formellement embauché, mais sans revenu, car à disposition, mais sans appel», comme le confirme Marcos Verlaine.
Selon ce technicien du DIAP, le travail intermittent, qui établit la possibilité de payer les heures réellement effectuées, selon l’appel de l’employeur, est un indicateur fort de la précarité du travail. «Pour obtenir un revenu, il ou elle devra travailler dans plusieurs endroits différents. Et il-elle n’a aucune garantie du salaire qu’il-elle va recevoir», dit-il.
Un autre problème lié à l’emploi intermittent est la contribution à l’Institut national de sécurité sociale (INSS). Selon la règle gouvernementale, la contribution minimum est basée sur le salaire minimum, qui est de 954 R$ (254 dollars). Si le travailleur intermittent n’atteint pas ce revenu mensuel il devra verser une cotisation complémentaire pour combler la différence à l’INSS.
«Imagine comme c’est sérieux. En plus de se trouver avec ce type de salaire au cours du mois, le «salarié» peut rester endetté auprès de l’INSS. S’il ne verse pas la cotisation supplémentaire, il va perdre du temps de cotisation dans le compte final de retraite, avec la baisse qui en découle», explique Guilherme Portanova (Article publié dans Brasil do Fato, le 12 novembre 2018; traduction A l’Encontre)
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