Par Guilherme Boulos
et Manuela d’Ávila
L’époque dans laquelle nous vivons représente la plus grande attaque contre la démocratie depuis la fin de la dictature militaire. Le coup d’Etat parlementaire qui a installé Michel Temer au pouvoir [avec la destitution Dilma Rousseff en août 2016], l’exécution de Marielle Franco et Anderson Gomes [voir sur ce site les articles consacrés à cet assassinat, en date des 17, 25 et 28 mars 2018] ainsi que l’offensive contre Lula [voir les articles datés du 10 et 14 avril], puis de l’attaque par l’extrême droite contre sa tournée dans le pays et, enfin, la décision absurde et illégale de l’arrêter, exigent l’unité de la gauche pour défendre la démocratie et s’opposer à l’escalade de la violence fasciste dans le pays.
En tant que pré-candidats à la présidence [1], il est clair pour nous que les différences programmatiques à l’approche des élections n’empêchent pas notre unité afin de réagir dans le sombre moment actuel.
Le visage le plus visible de la lutte démocratique dans le pays est la défense sans restriction de la liberté de l’ancien président et, en outre, de son droit de se présenter aux élections présidentielles de cette année. Lula est le plus grand leader social du Brésil. Le sortir du jeu politique est une manœuvre électorale grossière. Cette lutte n’appartient pas seulement à ceux qui sont d’accord avec les positions de Lula et du PT.
La portée de l’offensive est beaucoup plus large. Ceux qui pensent que Lula et le PT sont les seules cibles de cette incarcération se trompent. Tout cela fait partie d’une attaque contre le camp progressiste et contre les droits sociaux. Ça n’a pas commencé avec Lula et ça ne se terminera pas avec lui.
La décision mesquine de la Cour suprême de légitimer ce qui a été jusqu’à présent une mesure inconstitutionnelle, comme la détention provisoire, menace la présomption d’innocence et le droit à une défense pleine et entière de chaque citoyen. Sans parler de l’illégalité du fait que le juge Sérgio Moro a émis un mandat d’arrêt avant l’épuisement de tous les recours.
Lula n’est pas au-dessus de la loi. Ni lui, ni aucun·e d’entre nous. Pas même les juges qui l’ont condamné et les magistrats qui lui ont refusé le respect fidèle de la Constitution. Mais il n’est pas illégal non plus. Il a été condamné sans preuves; en deuxième instance, la procédure n’a été précipitée que pour rendre sa candidature irréalisable, en cherchant à résoudre les élections devant les tribunaux.
L’astuce procédurale de la juge Carmen Lúcia [présidente du Tribunal suprême fédéral qui a tranché en faveur l’incarcération de Lula face à l’égalité – 5 pour, 5 contre – des positions des juges] lui a refusé le droit de faire appel en toute liberté. La prison tente de faire taire sa voix, d’affaiblir la gauche et de perpétuer le coup d’Etat de 2016.
C’est une honte qu’il y ait un mandat pour l’emprisonnement de Lula sans aucune preuve matérielle pour cela. Et surtout alors que pour Michel Temer existent des enregistrements très compromettants faits dans les couloirs du Palais Planalto et que son conseiller direct a été filmé en train de courir avec des valises d’argent sur les trottoirs de São Paulo.
Et y compris Aécio Neves [candidat du PSDB lors des élections présidentielles de 2014, battu par Dilma Rousseff] dont nous avons connaissance d’une demande scandaleuse d’argent faite à Joesley Batista [qui était à la tête de la puissante firme de produits carnés JBS], entendue par tous les Brésiliens [car diffusée par les médias], dans laquelle il a même fait allusion à la mort d’un éventuel informateur de ses crimes. Temer continue dans le palais présidentiel du Planalto et Aécio Neves, au Sénat. D’une part, des procès sans peine; d’autre part, un châtiment sans preuve.
Nous soutenons que les cas de corruption devraient faire l’objet d’enquêtes et être punis, mais nous devons être prudents avec le discours qui utilise la prétendue lutte contre la corruption pour détruire les opposants politiques. Quand les juges agissent comme des chefs de parti, on ne peut pas parler de justice.
Si nous voulons lutter contre la corruption, nous devons mettre en œuvre une profonde réforme politique, en éloignant le pouvoir politique de l’influence du pouvoir économique et en rapprochant le peuple de la prise de décisions.
Tout le reste n’aboutit à rien d’autre que d’alimenter dangereusement un sentiment de frustration politique, ouvrant ainsi la porte à des solutions fascistes sans aucun engagement en faveur de la démocratie et des libertés constitutionnelles.
Il est urgent de construire une unité démocratique contre l’emprisonnement arbitraire de Lula, contre l’escalade de l’intolérance politique et pour la garantie d’élections libres. Autour de cette table doivent pouvoir prendre place celles et ceux qui, face à la barbarie, se positionnent en faveur de la démocratie.
La défense de la liberté de Lula est un critère de différenciation important dans cette bataille. Nous ne quitterons pas les rues et la lutte. Au-delà des élections, ce qui est en jeu, c’est l’avenir du Brésil. Nous nous opposerons à l’injustice, que ce soit en robe [justice] ou en uniforme [armée]. Lula libre! (Article publié dans Folha de São Paulo, le 8 avril 2018; traduction A l’Encontre)
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Guillermo Boulos est coordinateur national du MTST (Mouvement des travailleurs sans toit) et pré-candidat du PSOL pour les élections, en octobre 2018, à la Présidence de la République. Manuela d’Ávila, députée du PC do B dans l’Etat de Rio Grande do Sul, est la pré-candidate du parti pour l’élection à la Présidence de la République.
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